TECHNIQUE ET MAO



ACCORDER UN PIANO EN TEMPÉRAMENT ÉGAL

UN PEU DE PHYSIQUE

Les Anciens, comme Pythagore, recherchaient l'Harmonie en toute chose. Ils avaient remarqué que certaines notes de musique "sonnaient" bien ensemble. En étudiant les cordes vibrantes, qui permettent d'accéder concrètement à la notion de fréquence, ils se sont aperçus que ces notes qui sonnaient bien ensemble étaient dans des rapports de fréquence particuliers.


La fréquence d'une note obtenue au moyen d'une corde vibrante (violon, piano, guitare...) correspond au nombre de vibrations de cette corde chaque seconde. Ainsi la 3e corde du violon (la) effectue chaque seconde 440 aller-retours : elle vibre à la fréquence de 440 hertz (440 Hz). Ceci n'est d'ailleurs vrai que pour l'époque moderne, cette fréquence de 440 Hz, celle du 'la' du diapason, n'étant qu'une convention permettant d'accorder les instruments entre eux. Autrefois le diapason était bien plus bas, ce qui ne manquera pas de poser quelques problèmes pour certains airs chantés (et pourrait aussi relancer le débat sur l'oreille "absolue"… mais ceci est une autre histoire).

Ces rapports de fréquences particuliers ont un lien avec les harmoniques d'un son : lors de l'émission d'un son (de fréquence f) le générateur du son (qu'il soit une corde vibrante, une anche, un tuyau sonore...) émet des harmoniques de fréquence double (2 x f), triple (3 x f), quadruple (4 x f), etc.

Le premier rapport de fréquences évident est l'unisson (1 x f) : deux cordes (ou deux anches vibrantes, deux tuyaux sonores, etc.) vibrent à la même fréquence, elles sont en phase.

Le deuxième rapport de fréquences, tout aussi flagrant, s'appelle l'octave (2 x f) : pendant qu'une corde fait un aller-retour, l'autre (à l'octave supérieure) en fait deux.

Le troisième rapport est la quinte juste, situé à un intervalle de 12e (3 x f). Il faut la descendre d'une octave - et donc diviser sa fréquence par deux - afin de la "recadrer" dans l'octave de base. La fréquence de la quinte correspondra alors à la fréquence de la fondamentale multipliée par 1,5, soit 3 divisé par le rapport de l'octave, 2. Pendant que la corde "fondamentale" fait un aller-retour, la corde de l'intervalle de 12e en fait 3, et à l'octave, pendant que la corde de la fondamentale fait 2 aller-retours, la corde de la quinte en fait 1,5.

Le quatrième rapport est l'octave redoublée (par définition) (4 x f).

Le cinquième rapport est la tierce juste (5 x f)… mais nous n'irons pas plus loin.

Et ainsi de suite...

Étant donnés deux générateurs de son (corde, anche, tuyau), si on désaccorde légèrement l'un des deux on entend des battements. Le son est périodiquement amplifié et diminué. La fréquence de ces battements est égale à la différence des fréquences des deux sons. Il s'agit d'un phénomène classique d'interférence entre deux fréquences (ce phénomène existe aussi en optique).


EXEMPLES (UTILISATION D'ONDES SYNTHÉ)

ATTENTION ! Pour protéger vos oreilles et les haut-parleurs de votre appareil, il est recommandé de baisser le volume avant d'écouter les sons suivants.

2 notes de fréquence 440 Hz vibrant à l'unisson : pas de battement.

2 notes de fréquences 130,8 Hz vibrant à l'unisson : pas de battement.

2 notes de fréquences 440 et 441 Hz : 1 battement par seconde.

2 notes de fréquences 130,8 et 131,8 Hz : 1 battement par seconde.

2 notes de fréquences 440 et 442 Hz : 2 battements par seconde,

2 notes de fréquences 130,8 et 132,8 Hz : 2 battements par seconde,

Exemples ad libitum avec 3 et 4 battements par seconde...

LE POURQUOI DES INTERVALLES JUSTES

La première idée des Anciens était d'obtenir des quintes justes (fondamentale de fréquence f, quinte juste de fréquence 1,5 x f). Mais si on parcourt le cycle des quintes, on sait qu'au bout de 12 quintes on retrouve la fondamentale (à la 7e octave). En accordant ces 12 quintes justes, on va multiplier la fréquence f de la fondamentale 12 fois par le facteur 1,5 et la fréquence sera alors de 1,5¹² x f soit environ 129,75 x f. Puisqu'on est retombé sur la fondamentale, on pourrait aussi bien obtenir cette fréquence en multipliant la fréquence f de la fondamentale 7 fois par le facteur 2 (définition de l'octave), sa fréquence sera alors 27 x f soit 128 x f.

Nous avons donc deux notes portant le même nom que la fondamentale mais dont la fréquence diffère de 129,75 - 128 = 1,75 x f. Cet intervalle, ramené à l'octave - divisé par 27, s'appelle un comma. En toute rigueur, il s'agit du comma pythagoricien, il en existe d'autres que nous ne considérerons pas ici. Cela n'est pas acceptable, et d'ailleurs presque toutes les musiques du monde ont privilégié des octaves justes (ou pures). Comment faire ?

La solution, utilisée depuis le Moyen-âge, consiste à "rétrécir" les quintes et par voie de conséquence à "élargir" les quarte, complément de la quinte dans l'octave. Cette solution s'appelle "donner le tempérament". Jusqu'à l'arrivée du tempérament égal, à la fin du 18e siècle (1), de nombreuses façons d'accorder les instruments à sons fixes furent utilisés. Ces tempéraments diffèrent par la manière de répartir le comma redondant entre toutes les quintes. Sur un cercle de quintes, le total des altérations doit être égal à -1.


Exemple : le tempérament Meantone :

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Dans ce tempérament, toutes les quintes sont rétrécies de 1/4 comma, sauf la quinte Ab-Eb qui est élargie de 7/4 comma (total 7/4 - 11/4 = -4/4 = -1). Cette quinte est horrible à entendre, on l'appelle la "quinte du loup". Ce tempérament apparaît à la Renaissance et privilégie un maximum de tierces pures, au détriment des quintes, trop étroites.

Pour finir, nous avons parlé de justesse à propos des quintes, mais ce problème de justesse ou de pureté existe aussi pour les autres intervalles, tierce et sixième, seconde et septième, etc. Les différents tempéraments proposés depuis la nuit des temps ont privilégié une chose ou une autre : un maximum de quintes pures, un maximum de tierces pures, etc.


LE TEMPÉRAMENT ÉGAL

L'accord moderne, à partir de la période romantique, a résolu ce problème en proposant le tempérament égal, c'est-à-dire que toutes les quintes sont rétrécies du même intervalle, 1/12 de comma pythagoricien, ce qui donne bien un total de -1. Pour la petite histoire, ce tempérament n'est pas celui qu'a utilisé Bach pour son œuvre Le clavier bien tempéré, bien que cet œuvre soit généralement jouée de nos jours dans le tempérament égal. Dans ce tempérament, les intervalles sont tous égaux : entre do et do#, la fréquence est multipliée par racine douzième de 2, ainsi qu'entre do# et ré, etc. Nos oreilles "modernes" se sont faites à ce tempérament et nous ne saurions revenir en arrière, sauf à privilégier les musiques du Moyen-Âge ou de la Renaissance. Nous avons perdu le caractère propre à chaque tonalité, mais nous avons gagné la possibilité de moduler et de transposer à l'infini.

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QUE FAUT-IL RETENIR POUR ACCORDER UN INSTRUMENT DE MUSIQUE EN TEMPÉRAMENT ÉGAL ?



  • Il est impossible d'obtenir à la fois des octaves pures, des quintes pures, des tierces pures, et plus généralement des intervalles purs : on privilégie les octaves pures.
  • L'accord des quintes se fera en rétrécissant celles-ci (en rendant la quinte supérieure d'une note plus grave que juste) de 1/12 de comma pythagoricien.
  • Inversement, l'accord des quartes se fera en élargissant celles-ci (en rendant la quarte supérieure d'une note plus aiguë que juste) de 1/12 de comma.

OUI, MAIS... CONCRÈTEMENT ?

Nous avons vu que, lorsque les fréquences de deux notes de musique d'un intervalle donné sont dans un rapport "pur", nous n'entendions pas de battements. Puisqu'il s'agit d'accorder des octaves pures et des intervalles "impurs" (tempérés), les octaves seront accordées sans battement et les autres intervalles avec des battements dont la fréquence est indiquée au-dessus des portées ci-dessous.

Vous remarquerez que les accordeurs de piano sont munis d'une espèce de "coin" en matière souple, et d'une clé d'accord. Le premier sert à étouffer les vibrations des cordes doubles et triples, en insérant ce coin sous une des cordes doubles (ou entre deux des cordes triples) pendant qu'ils accordent la deuxième (ou la troisième). L'autre corde (ou les deux autres) est accordée à l'unisson (en supprimant les battements). La clé d'accord sert bien sûr à tendre ou détendre les chevilles. Lors de son utilisation, les accordeurs évitent d'incessants aller-retour afin que la cheville ne prenne pas trop de jeu dans son logement. Le réglage final de la tension d'une corde s'effectue toujours "en montant", ce qui garantit une meilleure stabilité de l'accord.

Si l'on a des difficultés à accorder un intervalle de quarte, on peut toujours accorder l'octave supérieure (respectivement inférieure), puis accorder une quinte inférieure (respectivement supérieure). Enfin, une fois qu'une octave est accordée, les autres notes sont accordées à l'octave (pas de battement). Bien entendu, si le piano est passablement désaccordé, il faudra s'y reprendre à plusieurs fois. La tension totale des cordes étant de l'ordre de dix tonnes, au bout d'un moment la fréquence des cordes déjà accordées baisse.

Souvent, dans la pratique, les accordeurs ne "comptent" pas réellement les battements et utilisent plutôt leur oreille et leur expérience, ce qui fait qu'un accord n'est jamais identique à un autre. (de nos jours, certains utilisent un accordeur électronique, mais chut… il ne faut pas le dire ;-))

par Jean-Pierre Vidal
(source : G. C. Klop - Harpsichord Tuning - Course Outline)




L'AVÈNEMENT DU TEMPÉRAMENT ÉGAL

Le tempérament égal a vu son avènement lors du développement extraordinaire de la musique européenne, du milieu du 18e siècle au début du 20e, dans des esthétiques aussi différentes que celles d'Haydn, de Chopin ou de Stravinsky. Le choix des tonalités, cependant, conserve, dans l'œvre d'un Mozart par exemple, une grande importance, y compris dans toute l'œuvre écrite pour piano seul, et constitue un fil conducteur pour saisir la signification de telle ou telle composition. Ceci va à l'encontre du principe de base du tempérament égal, pour lequel les tonalités majeures ou mineures sont toutes de couleur égale.

Il semblerait que la généralisation de l'utilisation du tempérament égal s'est faite dans la deuxième moitié du 18e siècle.



PRINCIPE TECHNIQUE POUR ACCORDER UN PIANO EN TEMPÉRAMENT ÉGAL



L'accord commence par l'accord du A3 au moyen du diapason (si vous n'avez pas de diapason, sachez qu'en France la tonalité d'accueil du téléphone est un A3), puis du A2 (220 Hz, octave inférieure, pas de battement), ensuite comme indiqué sur la portée ci-dessous : accord de A1 sans battement, puis 2 tierces majeures en montant A1-C#2, C#2-E#2 (F2), la tierce F2-A2 servant de point de contrôle. Outre les indications de battements, il faut veiller à ce que les trois tierces "se ressemblent", c'est-à-dire qu'on doit avoir la sensation du même intervalle pour les trois.

NB : dans les portées ci-dessous, une ronde correspond à la note que l'on accorde, une ronde noircie à une note déjà accordée. Si les deux notes sont noircies, il s'agit d'un point de contrôle.

La suite de l'accord s'effectue par quintes et quartes montantes ou descendantes, dans l'intervalle B2-B3, comme sur les portées ci-dessous :

Mise en garde : cette présentation n'a d'autre but que pédagogique. Si les clavecinistes, les harpistes ainsi que les violonistes accordent eux-mêmes leur instrument, je vous déconseille d'accorder vous-même votre piano. Les accordeurs de métier sont là pour ça, et vous ne sauriez faire mieux qu'eux. Ils ont plusieurs années d'étude et de pratique à leur actif. Cela dit, rien ne vous empêche de vérifier l'accord de votre instrument avec cette approche technique.

À CONSULTER

POURQUOI DOUZE NOTES PAR OCTAVE ? (LE PRINCIPE DE L'ACCORD EN TEMPÉRAMENT ÉGAL)

POURQUOI FAUT-IL ACCORDER LE PIANO RÉGULIÈREMENT ?

LE TEMPÉRAMENT À QUINTES JUSTES DE SERGE CORDIER

LE SUPER TEMPɨRAMENT DE RAYMOND FONSÈQUE

LA RELATION INTERPRÈTE/FACTEUR

TECHNIQUE "DOSSIERS DIVERS"
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