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LA COULEUR ET LE TIMBRE DES ACCORDS AU PIANO

À travers cette leçon, je vais vous éveiller à l’un des paramètres fondamentaux que tout pianiste et claviériste devrait aborder au plus tôt : celui d’écouter les sons produit par son clavier. La sensibilité auditive par l’écoute, en somme !


POURQUOI CETTE LEÇON ?

Fondamentalement, faire résonner une note au piano est extrêmement facile, puisqu’un enfant de 3 ans est capable de le faire. Vous entendez la note, oui, mais… faites-vous toujours attention à sa justesse ou à sa particularité sonore. Pas toujours, car le piano et tous les autres instruments à clavier sont (logiquement) accordés et réglés de façon à être utilisés immédiatement. Vous posez vos doigts et les sons surgissent. C’est tout simple.

Si j’attire votre attention sur cette particularité propre aux instruments à clavier, c’est que le violoniste ou le guitariste, pour ne citer qu’eux, doivent faire des « efforts » quotidiens et continus pour que leurs notes soient justes et belles. De même, ils doivent apprendre à accorder leur instrument le plus tôt possible, car c'est par cette pratique quotidienne qu'ils intègrent le plus naturellement du monde l'importance d'avoir un instrument 'juste' chaque fois que leurs doigts se posent dessus.

Si vous pensez aux capacités de l’oreille pour entendre la note juste, vous avez raison... mais cela ne suffit pas ! Entendre la résonance d'un son est un élément à ne pas négliger. La concentration doit être bien présente au moment d'accorder correctement une guitare ou un violon. Ce ne sont pas les accordeurs de piano qui me contrediront, eux qui doivent régler un instrument qui contient généralement plus de 200 cordes !


LA RELATION PIANO/PIANISTE

Au fil de mes expériences pédagogiques, j'ai souvent constaté ce paradoxe : celui de voir de nombreux pianistes qui, malgré des années de pratique, sont incapables d'évaluer la justesse de leur instrument, et cela même approximativement !

Lors d'une interprétation, et contrairement au pianiste, le guitariste et le violoniste doivent en même temps : se concentrer sur l'interprétation, sur la justesse de la note, mais également sur sa sonorité, et cela, au moment même où elle est jouée ! Il existe bien sûr des apprentissages techniques qui permettent de limiter les fautes, mais un violoniste, un sitariste ou un tromboniste, même d'un très haut niveau technique, n'est jamais à l'abri d'une note attaquée un peu trop haute ou un peu trop basse.

Chez le bienheureux pianiste, la justesse des notes ne dépend aucunement d'une position des doigts sur les touches du clavier. Il n'existe aucune raison pour qu'une note frise (sauf défaut mécanique) ou pour qu'elle soit jouée fausse (sauf bien sûr si l'instrument est désaccordé). Pour le pianiste, la crainte d'avoir un instrument juste ou faux ne repose pas sur ses épaules, mais sur celles de l'accordeur. C'est une question de confiance. Quand le pianiste a la conviction que son instrument est juste après le passage de l'accordeur - ce qui est généralement le cas -, il n'y prête plus attention et il focalise son attention sur l'interprétation et uniquement sur celle-ci.

Concernant les claviers numériques, la question est d'une tout autre nature étant donné que leur accord repose sur de l'échantillonnage. Sachez que rien, en théorie, ne vient confirmer leur justesse. Mais ceci est une tout autre histoire... Autant éviter une polémique quelconque.

Si ces propos sur la relation directe entre la touche du piano enfoncée, le son qui en résulte et son utilisateur vous semble évidente, il ne faut pas croire que cela offre que des avantages, car nos oreilles sont par nature des organes certes sensibles, mais paresseux. Les oreilles entendent bien ce qu'elles veulent 'bien' entendre... C'est-à-dire qu'elles sont capables de percevoir des sons, mais pas toujours en les écoutant avec discernement.

Cette leçon ne vise pas directement à améliorer la justesse de vos oreilles, car les propos qui suivent n'ont rien à voir avec de la dictée musicale ou un quelconque relevé. Le but principal se situe ailleurs, au niveau de l'écoute de son instrument, des sons qu'il produit, de leur couleur et de leur résonance. Avec un peu de pratique et d'attention, cela vous permettra de prendre conscience que la beauté sonore d’un piano s’identifie surtout à travers les harmonies qui sont jouées, mais aussi grâce à la structure acoustique qui les amplifie.


ÉDUQUER LES OREILLES

Avec de la pratique et du recul, nous pouvons apprendre à éduquer nos chères oreilles pour qu'elles soient en mesure de reconnaître une couleur sonore et de lui attribuer un nom : là un accord majeur, ici un accord mineur... créant ainsi une identité sonore, un standard que nous pouvons ensuite partager musicalement.

Malheureusement, au piano, la connaissance de l'harmonie a ses revers, et plus exactement celle qui consiste à étudier les accords. Pressé d'aboutir à un résultat sonore quelconque, leur connaissance balaye bien souvent, en vérité, l'écoute des sons et de leur interaction, puisque des règles instruites et programmées par avance nous conduisent directement à des solutions toutes préparées, à ce qu'il faut apprendre et retenir. On ne se pose même plus la question du pourquoi de la sonorité. En fait, aucune réflexion n'est conduite sur le son, ses couleurs et ses particularités. L'émotion n'est pas stimulée, et si elle l'est, elle ne l'est pas avec un esprit de curiosité. La pratique de la recherche sonore ou parfois de l'éveil musical sont des pratiques aptes à créer ce lien invisible qui propulse la musique et ses sons dans une autre dimension.

La sonorité du piano étant directement exploitable, la plupart des enseignants ont tendance à zapper le son, sa particularité, sa résonance, pour entrer dans le vif du sujet : la technique et le déchiffrage. Très rarement, le son est au cœur de l'enseignement. Dans les écoles et les conservatoires, on essaye bien d’éduquer l’oreille, mais on aborde que très rarement (parfois jamais) la relation plus ou moins fusionnelle qu’il existe entre le musicien et l’émotion suscitée par le son. C'est la pratique instrumentale qui domine avant tout. Une fois de plus, l'apprentissage musical est « tronquée » et l'appel à la curiosité en berne !


LES COULEURS MAJEURES ET MINEURES

Le contenu harmonique se divise globalement en harmonies majeures et mineures. Ces dernières indiquent la tonalité d’un morceau de musique et détermine sa « couleur »... Mais qui dit harmonie, dit aussi accord. C’est donc à travers la polyphonie des notes et leur résonance que je vous propose de travailler votre écoute et de découvrir quelques nouvelles sensations.

En musique, on dit souvent que l’accord majeur sonne vif et joyeux tandis que le mineur est triste. La pratique musicale vous apprendra qu’il existe des revers à cette 'théorie' pourtant très répandue. Toutefois, cette affirmation est utile en soulevant une question primordiale : quel accord choisir pour quel résultat sonore ? Pour un compositeur, cette question est fondamentale, car elle met en jeu, très directement, les acquits, les compétences et les goûts.

La distinction entre majeur et mineur s’applique principalement aux accords et aux gammes.

Tandis que les accords vont produire une masse sonore compacte, la gamme va « diluer » la couleur majeure ou mineure de note en note. Dit autrement, l’accord est basé sur différentes couleurs sonores qui reposent sur des intervalles majeurs et mineurs et qui, en se superposant, permettent d’aboutir à la construction d'un accord.

Exemple :
do, mi, sol pour un accord majeur,
do, mi b, sol pour un accord mineur,
do, mi, sol # pour un accord augmenté,
etc.

La gamme, de son côté, produit un dégradé de couleurs qui en s’étalant de note en note fait ressortir progressivement ses particularités sonores.

Exemple :
fa, sol, la, si b, do, ré, mi, (fa), pour la gamme de FA majeur.

Pour comprendre toute l’importance de ces propos, je vous propose à présent de réaliser les deux tests qui suivent et qui sont basés sur l’écoute attentive d’accords majeurs et mineurs.


PREMIER TEST : S'ÉVEILLER AUX COULEURS DES ACCORDS MAJEURS ET MINEURS

Sur un instrument correctement accordé...

Le premier test auditif est tout simple. Il va consister à éveiller votre sensibilité en laissant résonner un accord majeur (exemple en DO : do, mi, sol) suivi du même accord, mais en mineur (exemple en DO : do, mi b, sol). Laissez surtout résonner l’accord pendant quelques secondes, c’est très important et écoutez-le attentivement. Imprégnez-vous de sa substance sonore.

Dans la mise en pratique, ne vous contentez pas de jouer les accords seulement en position fondamentale, bien au contraire, testez des positions différentes en utilisant des renversements dits 'fermés' ou 'ouverts'.

Exemples accord DO majeur fermé à une main :
mi, sol, do
sol, do, mi

Exemples accords DO majeur, ouverts à deux mains et faisant varier les basses à la main gauche :
m. g. : sol - m. dr. : mi, sol, do.
m. g. : mi - m. dr. : sol, do, mi.

Le changement de basse vous permettra d'évaluer quelle est la position qui met le plus en avant la couleur majeure (ou mineure, s'il s'agit d'un accord mineur).

De même, essayez de constater la couleur produite par un accord majeur et mineur suivant la hauteur où il est joué sur le clavier. N’hésitez pas à écarter vos deux mains s’il le faut. Vous constaterez que chaque position engendre des changements de couleur plus ou moins marqués tout en utilisant le même accord. Vous pouvez également « briser » chaque accord en les arpégeant, tout en maintenant chaque note jouée enfoncée ; l’important étant d’entendre la totalité de la résonance produite.

Si vous en avez les connaissances, rien ne vous empêche de poursuivre ce test avec un accord diminué (exemple en do : do, mi b, sol b) et augmenté (exemple en do : do, mi, sol #). Ces deux accords ont des particularités sonores évidentes, surtout l’augmenté qui « tend vers le haut », et dont la couleur laisse imaginer que quelque chose va se produire ou s’est déjà produit. Ce côté déterminé s’explique par la superposition de deux tierces majeures : do-mi et mi-sol #.


DEUXIÈME TEST : MÉLANGER LE MAJEUR ET LE MINEUR

Vous allez à présent jouer une suite d’accords qui associe des accords cadencés en majeurs et mineurs, de façon à rendre ce second test musicalement plus intéressant. L’exemple ci-dessous propose un accord différent par mesure. Les accords utilisés sont les suivants :
RÉ mineur / LA mineur / FA majeur / DO majeur.

Quand vous aurez joué très lentement cet enchaînement, vous modifierez l’ordre des accords pour en tirer d'autres observations et sensations. Par exemple : DO majeur / LA mineur / FA majeur / RÉ mineur.


CONCLUSION

Le point capital de ces deux tests est d’avoir à l’esprit que la résonance sonore d’un accord à un impact sur nos sensations, sur notre perception à accepter ou à rejeter telle ou telle sonorité. L’étude de l'harmonie, qui en est le prolongement intellectuel, n’est-elle pas à la source de nombreuses révolutions sonores ?

Ainsi, quand un compositeur cherche un accord pour poursuivre son morceau, il souhaite obtenir une couleur sonore qui séduise son oreille. Parfois, il cherchera l'accord en usant de ses expériences passées ou en s’appuyant sur des règles « formatées », comme par réflexe, mais c'est bien souvent l'accord inattendu qui créera la surprise émotionnelle. Sur le fond, il n'a même pas besoin d'identifier l'accord, même s'il est en mesure de le faire. Une constatation s'impose : Rien n’est dû au hasard. Tout est dans l’éducation musicale, pour ne pas dire sonore !

Si, par moment, vous sentez que vous « dérivez », arrêtez-vous un instant ou travaillez autrement, en choisissant par exemple une autre sonorité (si toutefois vous travaillez sur un clavier numérique ou un synthétiseur). Vous remarquerez alors qu'en utilisant les mêmes positions d'accord avec un autre son (piano électrique, xylophone, guitare, etc.), la "charge émotionnelle" sera très différente. Ce que vous aurez aimé avec le son du piano, vous le rejetterez peut-être avec le son d'une guitare. Cela démontre, sans ambages, que l'habillage sonore d'un simple accord de DO majeur est capable de provoquer des sentiments divers.

Le défaut majeur des pianistes est d’être dans l’immédiateté, dans l'urgence d'obtenir la sonorité directement, sans autre effort. Les instruments à clavier autorisent cela, mais il est parfois difficile pour un pianiste d’avoir la concentration nécessaire pour apprendre à "entendre", d'avoir un minimum de recul pour finalement s’immerger dans la sonorité.

Dans les années 70, le pianiste de jazz Keith Jarrett faillit bien arrêter à tout jamais le piano pour se retourner vers le saxophone, avec le désir farouche d'obtenir « la note », de la façonner pour la reconstruire selon sa volonté. Une sacrée leçon qui en dit long sur le rapport physique et acoustique qu'il peut exister entre l'instrument et l'instrumentiste.

Par ELIAN JOUGLA



- SOMMAIRE DES LEÇONS GRATUITES -

1 - ARRANGEMENT
2 - ÉVEIL MUSICAL
3 - HARMONIE
4 - IMPROVISATION
5 - PIANO ET TECHNIQUE
6 - RYTHME
7 - SOLFÈGE/THÉORIE
8 - PROGRAMMATION & LOG.
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