LES QUESTIONS DU CANDIDE



L'ÉTUDE LA MUSIQUE FACE À LA PERFORMANCE ET AU SAVOIR

Cette page fait suite à DEVENIR MUSICIEN, UN APPRENTISSAGE SEMÉ D'EMBÛCHE


Avec sa noblesse, la musique dessine parfois dans le cœur de l'homme le désir de s'affranchir de ce qu'il redoute ou de ce qu'il hait le plus en lui. Son apprentissage conduit souvent à des remises en question sur le terrain de la personnalité. Il peut même s'insinuer dans le tissu social de l'individu à travers des projets musicaux plus ou moins réalistes (suivant l'expérience et la concertation). Leurs présences apportent généralement une motivation et une exaltation suffisantes pour relancer la pratique instrumentale quand le désir de continuer s'essouffle.


METTRE LA MUSIQUE EN ORDRE DE MARCHE

La musique a-t-elle des vertus ?

En musique, quel que soit votre objectif, vous rencontrerez toujours des exigences auxquelles vous devrez vous soumettre. La musique ne se pliera jamais à vos désirs. C'est à vous de trouver les moyens de la comprendre, et à travers sa pratique, de voir si vos objectifs sont réalistes, en symbiose avec votre personnalité. Si vous souhaitez établir une relation entre vous et la musique, une des premières leçons qu'elle vous apprendra, c'est sa loyauté : si vous ne donnez rien, si vous n'allez pas vers elle, elle ne vous renverra rien en échange !

Cette justice, qui poursuit tout musicien durant toute sa vie, prend naissance dès les premiers contacts avec l'instrument. Ainsi, quand un enfant est éveillé, vif, intelligent, il se rend vite compte que le message délivré par la musique est bien loin de ce qu'il peut rencontrer dans sa vie quotidienne, à l'école ou ailleurs. Le mensonge et l'injustice n'ont pas de place en musique.

Que signifie "Aimer la musique" ?

Quand nous disons : "j'aime la musique", nous signalons à notre entourage notre sensibilité à des sons et à certains de leur mariage. Nous ressentons des émotions à la sonorité d'un instrument ou à l'écoute d'une œuvre. Ces sensations ne sont pas artificielles, elles sont bien réelles. Elles sont vécues dans l'instant, sans calcul. C'est par elles que notre amour pour la musique s'épanche. Le côté intellectuel ou réfléchi n'intervient que lorsqu'on pose notre attention sur des détails précis liés à un savoir.

Il ne faut donc pas "mettre la charrue avant les bœufs" ?

Oui, en effet. Malheureusement, la mise en place de connaissances ou d'une pratique instrumentale précoce, avant même d'avoir éduqué l'oreille à l'écoute de nombreuses formes musicales ou combinaisons sonores, est une pratique encore trop répandue de nos jours. Ainsi, le côté instinctif laisse sa place à un savoir pas toujours justifié ni nécessaire. C'est totalement absurde, mais bien réel ! D'ailleurs, comment peut-on savoir si un jeune enfant aime la musique, quand les adultes, eux-mêmes, sont souvent incapables de définir cet amour précisément. Qu'est-ce qui les attire ou les repousse dans la musique ? Il est bien rare qu'ils sachent y répondre. Ce n'est certainement pas à coup de leçons, d'exercices ou de déchiffrage de morceaux, qu'ils découvriront l'existence d'une véritable relation avec la musique !

Que commande alors le bon sens ?

Celui d'accorder une grande importance à l'écoute de la musique. Celle-ci doit être ouverte et libre, sans aucune restriction envers telle ou telle forme musicale. Plus vous prendrez le temps de découvrir et d'observer, plus vous aurez de chance d'augmenter votre potentiel émotionnel et créatif en musique.


LES EFFETS DE MODE ET LA MUSIQUE EN MAO

Encore plus qu'hier, la musique et son apprentissage s'inscrivent dans des effets de mode et d'imitation. Face à une société forgeant de plus en plus d'individualités, de nombreuses personnes abordent la musique sans posséder la flamme du désir. Ils recherchent à travers elle, parfois, une façon de transformer leur vie, à la recherche d'un idéal. D'autre part, quand l'apprentissage de la musique devient un jeu, une distraction, qu'elle n'est plus motivée par un besoin profondément enraciné, c'est la société de consommation qui montre souvent le bout de son nez en créant des besoins superficiels. Les lettres de noblesses de la musique, autrefois si belles, se dissolvent alors dans un enseignement de masse où tout devient terne, stérile, sans aucune imagination. A force de vouloir démocratiser l'enseignement de la musique, et par manque de vigilance, ce sont ses moyens d'expressions naturels qui se sont appauvris.

La MAO est-elle une duperie ?

Les technologies modernes, notamment la MAO (Musique Assistée par Ordinateur) renforcent l'illusion en donnant une certaine crédibilité sur le terrain de l'expression. Grâce à un assistanat calibré et à certaines connaissances techniques, l'apprenti musicien se sent pousser des ailes. Il réalise une musique techniquement en place, cadrée au millimètre et sans fausses notes. Les outils d'aujourd'hui sont particulièrement performants, puisqu'ils sont dotés "d'intelligence artificielle" ! De quoi tromper son monde, celui des enfants, comme celui des adultes… mais pas celui qui connaît vraiment la musique !

Commencer l'apprentissage de la musique par la MAO, c'est avant tout dépendre des outils que l'on possède, de leurs possibilités comme de leurs limites. Dans ce cadre, la musique est souvent synonyme de programmation. C'est tout un langage, une dimension artistique bien particulière qui a, pour le moment, cloisonné toute sa production musicale sans avoir trouvé le fil conducteur qui le relie aux autres formes d'expressions musicales que je qualifierai de "classique".


LA PÉDAGOGIE FACE AU NUMÉRIQUE

L'enseignement de la musique peut-il se passer de l'informatique ?

La musique est toujours en constante évolution. Celle d'aujourd'hui est adossée à une technologie numérique naissante faisant corps dans une même énergie créative. Si les moyens mis à la disposition des compositeurs ont évolué (ou changé), la plupart des pédagogues et enseignant ont bien du mal à s'en servir de façon efficace.

Si l'on accepte la technologie numérique comme un moyen incontournable d'apprentissage, on doit alors ne pas s'offusquer de faire allégeance à certaines approches pédagogiques centrées sur cet univers. Pour l'instant, il n'est pas utile de tirer le signal d'alarme. Le plus souvent, les professeurs de musique sont face à des CD-Roms éducatifs visant simplement à les remplacer dans les tâches les plus austères : lecture de notes, éducation de l'oreille, dictées rythmiques, etc. Les CD-Roms, visant l'enseignement d'un style de musique (blues, jazz, rock…), sont souvent construits comme des méthodes. Ils n'ont pas encore l'épaisseur nécessaire, aptes à remplacer un enseignant de façon efficace.

Le rapport avec la connaissance "Comment apprendre et comment utiliser son savoir", lui, n'a pas encore bougé. Ce qui est quelque part normal, puisque les moyens éducatifs mis en place par les écoles sont encore à la remorque ou mal adaptés. Il ne suffit pas d'installer des ordinateurs dans une salle avec des logiciels, pour que d'un coup de baguette magique, tout change !

D'autre part, il est difficile pour un enseignant de remettre en question certaines habitudes liées à sa propre éducation musicale. Ce n'est pas seulement une question de formation, de contact avec l'instrument ou de méfiance envers une technologie. Si un enseignant considère le solfège comme SA discipline de prédilection, il lui sera difficile d'admettre qu'un jeu éducatif, même bien conçu, vienne se substituer à lui.

Mais l'enseignant n'a-t-il pas tort de refuser les outils numériques ?

Oui et Non... Un monde codé, formaté par des outils parfait et sans état d'âme, ne reflète guère les origines de la musique. Quand il n'y a plus de place pour l'erreur ou le doute, il est quelque part normal que l'enseignant s'interroge ou refuse strictement de tels moyens, même si à l'occasion ils peuvent se révéler utiles et pratiques.

Par force, si ce n'est par conviction, les enseignants sont de plus en plus nombreux à admettre qu'il est difficile de tourner le dos au numérique. En s'opposant à ces nouvelles formes d'apprentissage, un enseignant risque de voir ses jeunes élèves partir voir ailleurs. Comme le phénomène va croissant, le doute n'est aujourd'hui plus permis… même si des interrogations subsistent !

Le monde éducatif d'hier est donc menacé ?

Sans être d'une menace permanente, il faut reconnaître que l'arrivée d'Internet et des CD-Roms éducatifs ont modifié le rapport avec la connaissance. Pour un enseignant démuni, ces outils peuvent devenir à moyen terme de redoutables concurrents, d'autant plus que leur côté attractif convient parfaitement à la jeune génération qui voit dans cette forme d'apprentissage un lien direct avec leur mode de vie.

La mise en place d'un univers musical tourné exclusivement vers le numérique modifie la vision, la perception de la connaissance, mais ne doit pas vous faire oublier que la musique conserve toujours les mêmes bases. Pour le moment, les outils numériques utilisent les notes et les rythmes comme des assistants bienveillants. Les instruments acoustiques sont bien là, mais pour combien de temps encore ?


EN AVANT, LES MÉTHODES !

Les méthodes sont-elles illusoires ?

Il existe de nombreuses méthodes. Elles fleurissent en nombre depuis une cinquantaine d'années. Des musiciens/pédagogues, plus ou moins compétent, veulent faire croire aux novices que de nouvelles techniques sont capables de faciliter l'approche de la théorie, de transcender l'étude du rythme ou du déchiffrage. Or, les méthodes existent depuis très longtemps. Nous pouvons remonter au 20e… 19e… 18e siècle et peut-être plus encore. Chacune à leur époque, et dans leur contexte, ont voulu démontrer leur efficacité.

Le problème d'une méthode de musique n'est pas la méthode en elle-même. La plupart sont souvent pleines de ressources. Leur principal défaut est de développer qu'un aspect technique ou en montrant qu'une partie infime des voies musicales existantes. Dans la plupart des méthodes, l'essentiel est occulté. Le terrain de la découverte, de l'imaginaire et de la curiosité, si essentiel en musique, brille par son absence. En suivant une méthode, l'élève est capable de progresser tout en ignorant ou en passant à côté d'une voie musicale qui est peut-être plus en accord avec sa personnalité.

Aucune méthode ne changera les fondements de la musique. Pour le moment, il existe toujours les mêmes notes, toujours autant de combinaisons rythmiques, faciles et difficiles, et les mêmes pièges techniques.

Un jour ou l'autre, il est nécessaire de voir la réalité en face. Ceux qui auront abordé la musique en progressant, non pas dans sa globalité (en n'excluant aucunes pistes), mais seulement à travers une vision tronquée (celle de la méthode), le regretteront amèrement. Quand il s'agira d'accéder à une dimension supérieure ou plus en accord avec une certaine réalité musicale, l'utilisateur de la méthode risque de jeter un regard de désolation sur le temps perdu et sur l'énergie gaspillée. Une méthode, quelle qu'elle soit, constitue une étape, alors que le véritable apprentissage de la musique est constitué d'une succession d'étapes qui s'enchaînent, se croisent ou se regroupent parfaitement pour former un tout indissociable.


LE GOÛT DE LA PERFORMANCE ET LE SAVOIR

Pourquoi la performance technique a-t-elle pris autant d'importance ? Serait-ce pour se démarquer ou pour s'affronter soi-même ? La performance technique ne serait-elle construite que pour assouvir des pulsions intérieures que nous tentons vainement de maîtriser ?

En musique, la notion de performance technique est capable de tendre, mais jamais de détendre celui qui s'y essaye ! Alors pourquoi a-t-on pris une telle direction ? Un petit rappel s'impose…

Il suffit d'écouter les musiques anciennes, antérieure au 16e siècle, pour s'apercevoir que le musicien donnait au mot musique un apparat bien différent de celui d'aujourd'hui. La musique naviguait dans d'autres sphères, bien plus sages, tout en conservant un aspect culturel et récréatif. La mélodie était beauté, les rythmes un rien osés et les harmonies habillées de notes discrètes. Il n'y avait là aucune tentation de rompre les règles d'alors, ni aucun plaisir à courir vers une performance quelconque. Le musicien servait la musique et non le contraire.

Pourquoi cette transgression a-t-elle vu le jour ?

L'arrivée d'instruments beaucoup plus techniques, jusqu'alors inconnu, a modifié les comportements des musiciens et en premier lieu celui des compositeurs. Devant les possibilités sonores apportées notamment par les claviers (d'abord l'orgue, le clavecin et ensuite le piano), la vision musicale des compositeurs s'en est trouvée élargie.

L'imagination, face à une flûte ou à un luth, n'est pas la même que lorsque celle-ci est face à un instrument à clavier dont la tessiture et les possibilités techniques sont beaucoup plus étendues. Avant que naisse la pédale forte, le seul frein à l'imaginaire des compositeurs était le nombre de doigts.

Quand le piano est devenu un instrument plus performant et son clavier plus souple, des compositeurs, tels Chopin ou Liszt, ont alors développé une technique galopante sur le clavier, créant des œuvres souvent très difficiles à interpréter. Déjà, avec le compositeur Jean-Sébastien Bach, certaines amarres avaient été lâchées, dont celle de l'harmonie.

L'étude de la musique et sa pratique, en devenant de plus en plus cérébrale, a favorisé et obligé une prise en main technique des instruments, ce qui a eu pour conséquence d'exclure de nombreux musiciens autodidactes au jeu spontané et intuitif de se faire connaître. Ce changement de direction a poussé un grand nombre d'interprètes sur les sentiers de la performance. Sans encore parler de compétition, comme dans le sport de haut niveau, les examens ont fait leur apparition et la technique s'est envolée (tout en engendrant une certaine rivalité entre musiciens). Ainsi, même si les fondations de la musique étaient toujours là, la plupart des musiciens empruntaient de façon systématique un même chemin, celui de la technicité et du brio.

Au 20e siècle, l'accélération des nouvelles technologies a comme usurpé encore davantage les messages originaux de la musique. Il y a eu, bien sûr, l'arrivée de la musique impressionniste qui calma l'effervescence des phrases transcendantes, et le jazz, qui tenta pendant un temps d'apporter un coin de liberté et de spontanéité à travers ses musiciens autodidactes. Malheureusement, le dictat pédagogique installé dans la tête de nombreux enseignants et transmis de génération en génération ne pouvait gommer certaines habitudes et certains travers ; surtout quand ceux-ci étaient toujours reliés à des instruments capables de rappeler un passé glorieux.

Les instruments électriques, comme la guitare ou le synthétiseur ont-ils apporté un changement ?

Socialement et économiquement, oui, bien sûr. Quand, à partir de 1920, 1930, les premiers instruments électrifiés sont arrivés, ils ont créé l'étonnement. Cependant, tout a vraiment démarré avec la guitare électrique, à cause du mouvement musical qui l'a accompagné, le rock'n'roll. Ce fut le départ d'une véritable explosion musicale, sociale, mais également économique.

Et côté pédagogique ?

Non, pas vraiment ! Même s'ils sont les cousins des modèles acoustiques, l'utilisation technique de la guitare électrique ou de la basse électrique n'avait à l'époque pas encore d'histoire. Ces instruments étaient nouveaux et tout se conjuguait au présent. La chance de voir une nouvelle pédagogie, capable de concevoir un nouveau rapport avec l'étude de la musique, était offerte. Un changement de cap pouvait se dessiner. Malheureusement, les instruments électriques n'ont jamais eu la possibilité de perturber l'enseignement de la musique dite "classique". Ils ont même développer un sentiment de rejet et d'abêtissement, et cela, même si plusieurs générations de musiciens les ont pratiqués, développés, ayant même inventé des techniques de jeu à leur intention.

Prenons l'exemple du synthétiseur. Apparu dans les années 50, il a mis plus de 30 ans pour troquer sa place d'instrument "gadget" pour celle d'instrument de premier plan. Aujourd'hui, l'histoire retient son importance dans l'évolution de la musique électronique et dans sa relation avec la création sonore. Pourtant, son étude reste confidentielle, si ce n'est qu'elle brille par son absence dans les écoles, faute d'enseignants formés ou faute de réelles volontés.

De la guitare à la basse, en passant par l'orgue ou le synthétiseur, les instruments électriques ont été considérés à tort, et pendant longtemps, comme des instruments de qualité inférieure. Ils n'ont jamais été vraiment stigmatisés, car ils ont toujours représenté une manne économique, mais ils ont eu la faiblesse, ou plutôt n'ont jamais eu l'opportunité d'attirer les musiciens classiques. C'est pourquoi un cloisonnement entre "classique" et "moderne" a vu rapidement le jour, un cloisonnement injuste qui ne se justifie aujourd'hui encore que par la différence d'approche, ce qui est absolument regrettable !

Bien-sûr, l'enseignement a fait de même : la musique classique conservant ses apriorismes et la musique "moderne" recherchant encore et toujours un enseignement plus stable et plus crédible.


CONCLUSION : LA MUSIQUE TOUJOURS

À notre époque où tout va très vite, où nous prenons de moins en moins de temps pour penser et réfléchir à ce que nous entreprenons, la musique est capable de nous montrer quelques chemins de traverse pour s'évader, mais surtout pour se poser et réfléchir. Développer la connaissance de soi a un impact sur celui qui entre en contact avec l'apprentissage de la musique. L'enseignement s'en trouvera renforcé et sera capable d'éveiller, sinon de révéler l'intelligence de celui qui l'étudie.

NB : Ces observations et commentaires ont été mis en ligne dans le seul but de vous mettre en accord avec cet art. Si le propos est parfois incisif, direct, il cherche avant tout à dire certaines vérités et certaines observations constatées. Il existe encore un trop grand nombre d'échecs injustifiés et d'abandons, faute de véritables réflexions. L'amour de la musique ne devrait jamais être sacrifié sur l'autel de la concurrence, de la différence ou de la performance, elle a trop de vertus pour mériter cela.


Entretien réalisé auprès d'Elian Jougla par W. D. Lugert  Mag. 'Musik und Unterricht' (Piano Web - 08/2010)

SOM. "LES QUESTIONS DU CANDIDE"
SOM. "ESPACE COURS"
ACCUEIL
PARTICIPER/PUBLIER : EN SAVOIR PLUS
Facebook  Twitter  YouTube
haut
haut

Accueil
Copyright © 2003-2024 - Piano Web All rights reserved

Ce site est protégé par la "Société des Gens de Lettres"

Nos références sur le Web - © Copyright & Mentions légales