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GLENN GOULD BIOGRAPHIE/PORTRAIT AU-DELÀ DU PIANO

En 2008, la sortie du film “Glenn Gould, au-delà du temps“, réalisé par Bruno Monsaingeon, donnait aux admirateurs de Glenn Gould, l’occasion de redécouvrir ce pianiste inclassable. Pour construire son film, le réalisateur s’était appuyé sur des documents déjà existants, mais également sur d’autres inédits. Face à ses interlocuteurs, les réponses de Glenn Gould semblaient avoir traversé le temps. Dans un monde musical, le classique, où chaque faux pas, chaque distance prise sur les conventions soulèvent plus souvent les critiques au lieu d’encenser l’originalité de la démarche artistique, les remarques et attitudes du pianiste étaient les bienvenues.


GLENN GOULD, UN MYTHE, UNE PERSONNALITÉ

La place ostentatoire de la musique classique, mais aussi sa difficulté à se remettre en questions, a trouvé chez le pianiste des réponses à son immobilisme. Son point fort a été sa façon de stimuler les esprits quand ses expérimentations musicales remettaient en cause une certaine idée de l’interprétation pianistique. L’héritage musical de plusieurs générations de pianistes paraissait voler en éclat, tant les repères musicaux pris par Gould ne semblaient reposer sur aucun critère connu.

Glenn Gould a été surtout une des personnalités les plus singulières du monde de la musique classique. C’est un artiste qui a divisé la critique. Ce n’était pas un provocateur, à l’image d’une rock-star, mais un artiste qui avait fini par construire sa personnalité autour d’attitudes singulières.

© Library and Archives Canada.  - Glenn Gould

Ceux qui ne l’aimaient pas, se faisaient un plaisir de relever ses excentricités. Déjà, dans les années 60, son modernisme pianistique rencontra une forte opposition. Qu’il soit arc-bouté sur son clavier ou qu’il implore de longs silences que la partition ignore, Glenn Gould, par ses attitudes non conventionnelles, ne pouvait que déplaire aux conservateurs. Était-il parti en croisade pour dépoussiérer certaines interprétations pianistiques ?… Peut-être bien ! Étaient-elles trop statiques à son goût ? Certainement ! Si vous savez lire la musique, je ne peux que vous conseiller de suivre (ou de tenter de suivre) certaines partitions quand Glenn Gould est aux commandes de son piano. C’est un bon moyen pour pénétrer au cœur de sa “philosophie musicale”.

Si l’on se penche sur l’aspect économique de l’artiste, sa relecture du répertoire classique semble prendre du poids avec le temps. Aujourd’hui, Glenn Gould est une référence auprès de nombreux mélomanes de musique classique et la vente de ses disques met en lumière le bien fondé de sa vision artistique.

Qu’il soit adoré ou détesté, Gould se faisait fort d’être remarqué. Aussi, quand l’intelligence de son discours musical s’est arrêtée subitement à Toronto, en 1982, son décès sema la consternation dans le milieu artistique (Gould est mort d’une congestion cérébrale). À l’inverse d’autres pianistes comme Rubinstein ou Backaus, la disparition de Glenn Gould provoqua beaucoup de peine et d’émotion. Son éloignement de la scène en pleine gloire et sa vie quelque peu monacale, pour ne pas dire marginale, avaient placé le pianiste dans le sillage des artistes emblématiques. Dans un monde musical réglé au métronome, il avait réuni tous les éléments indispensables pour faire de lui un véritable mythe et sa disparition, aussi soudaine que violente, contribua à enflammer toutes les passions.


QUAND GLENN GOULD QUITTA LA SCÈNE

Comme un « Keith Jarrett » d’avant-garde, ses concerts étaient liés à tout un rituel. Son originalité était sa force. Elle était présente partout, le poursuivant comme une ombre, même entre les quatre murs fermés des studios d'enregistrement. Pour autant, l’homme n’était pas un être sombre, triste, c’était un être qui pouvait devenir drôle à l’occasion. Il portait notamment une attention toute particulière à la gesticulation. Il suffit de regarder une vidéo pour comprendre toute l’attention qu’il portait à ses gestes, lorsque ses doigts venaient effleurer les touches du clavier.

Gould avait ses phobies, comme la peur malade de prendre l’avion, trop risqué à son goût. C’est là, peut-être, une des raisons qui le poussa à cesser son activité scénique. D’autant plus que, conjugué à une certaine forme de puritanisme, la course au sensationnel ou à la surenchère ne faisait pas partie de ses désirs profonds. Gould ne voulait pas cesser toute activité pianistique, mais seulement trouver un moyen où il pouvait assouvir ses besoins créatifs à son propre rythme. La mise en condition particulière des studios d’enregistrement convenait bien à l’artiste. C’est donc avec une certaine logique qu’il orienta sa carrière pianistique uniquement vers l’enregistrement discographique.

Âgé de 32 ans, il s’installa à Toronto pour y vivre. Les pressions extérieures étaient toute relative, d’autant plus que l’artiste ne faisait aucun compromis concernant la mise en œuvre de sa carrière. Il distillait les interviews au compte-gouttes, n’hésitant pas à utiliser le téléphone comme unique moyen de conversation. Dans les dernières années de sa vie, sa misanthropie le poussa à agir de la même façon avec ses amis… Le timbre des voix s’accordait-il à sa sensibilité ? La distance instaurée par le téléphone libère parfois la parole… et Gould trouvait dans son utilisation une façon d’être en harmonie avec sa nature solitaire.

Absent de la scène, la télévision prit le relais. Malgré son désir de vouloir tout contrôler, Gould ne pouvait s’isoler complètement du monde extérieur. Ses nombreux fans n’auraient d’ailleurs pas compris (même s’ils étaient toujours prêts à pardonner certaines faiblesses ou écarts de comportement). Pour répondre à leurs sollicitations, il accepta donc les propositions de la télévision. Ainsi sont nés des concerts filmés qui rencontrèrent un vif succès bien au-delà des frontières américaines (L’Art de la fugue et Les Variations Goldberg de J. S. Bach).

Glenn Gould était un grand spécialiste de Bach. C’était son compagnon. Pianiste phénomène, il n’avait que 24 ans quand il enregistra Les Variations Goldberg (dont la réputation dans le domaine de la difficulté technique n’est plus à faire). À l’époque, nul ne se doutait de ce qui sommeillait dans l’esprit du pianiste. Malgré son attitude encore timorée, sa volonté d’indépendance et son caractère obstiné étaient déjà là, prêts à éclater au grand jour.



GOULD EN DÉCALAGE HORAIRE

Gould est né pratiquement un piano entre les mains. Il était doté d’une “oreille absolue”, possédait une grande facilité à lire la musique, sans oublier sa prédisposition à la composition (même si on ne retient pas du pianiste ce talent-là). À cinq ans, il est remarqué par Alberto Guerrero (pianiste chilien exilé au Canada qui deviendra son professeur de piano), à sept ans, il intègre le Royal College of Music de Toronto et à quatorze ans, il joue pour la première fois en public. Ensuite, tout va très vite… et à vingt ans, Gould jouit déjà d’une grande notoriété au Canada.

Quand il affronte la scène internationale à partir de 1955, c’est surtout pour ses qualités personnelles d’interprétation qu’il est remarqué. Le côté novateur et moderne du pianiste suscite chez les musicologues, comme chez les critiques une grande ferveur dotée de superlatifs en tous genres. De nouvelles thèses et antithèses se font jour quant à la véracité de ses interprétations ; celles de Bach étant au centre de toutes les discussions.

C’est en 1964 que Glenn Gould décide de mettre un terme aux concerts sans expliquer de façon rationnelle les raisons qui l’ont poussé à agir de la sorte. L’homme restera toujours mystérieux à ce sujet (ce qui laissera planer de nombreuses hypothèses, comme celle de la peur de l’avion). Outre, les enregistrements de studio qui seront le pivot central de sa nouvelle carrière, Gould avait d’autres passions moins connues du grand public, comme l’écriture (il sera l’auteur de pièces radiophoniques) et la réalisation de films documentaires.

À ma connaissance, rares sont les artistes qui, en pleine gloire, ont tourné le dos au public et à la scène. Glenn Gould tiendra ce cap-là jusqu’à la fin de sa vie et sa popularité ne sera jamais remise en question. Cependant, ses attitudes, ses prises de position, n’allaient pas sans problèmes, telles les séances d’enregistrement. Elles étaient devenues pour les techniciens des studios un véritable chemin de croix. Ses exigences (l’utilisation de pilules - dont la vertu médicinale reste mystérieuse -, sa chaise basse *) étaient soumises également à des mises en condition (des bains d’eau chaude pour les mains avant de jouer, une certaine température dans la pièce, etc.). Glenn Gould jouait la star et ses exigences résonnaient dans le studio comme des caprices d’enfant. Rien d’étonnant, alors, qu’il arrive au mois de juin, emmitouflé comme pour un mois de décembre !

Dans sa démesure et dans son repli sur lui-même, l’artiste perdait parfois pied avec la réalité. Il aimait s’en défaire, surtout quand son sens aigu de la perfection devait s’amouracher de quelques dérives pour exister… En effet, que pourrait-on reprocher à Gould ?… D’avoir été un artiste qui a tout misé sur une vision personnelle de l’interprétation ? Que son mode de vie ne correspondait pas au standard en vigueur ? J’ai toujours pensé que l’artiste devait provoquer par ses nouvelles idées, voire dans son mode de vie, et ne pas se conformer seulement à des plans prévus par avance. Le pianiste avait osé prendre de tels risques… et à son époque, il fallait vraiment oser !


LE ROYAUME DE GLENN GOULD

Aujourd’hui, Glenn Gould, c’est cinquante heures d’enregistrement, mais également des émissions de radio, de télévision, deux musiques de films (Slaugterhouse-Five, en 1972 et The Wars en 1982) ; mais également quelques écrits concernant l’enregistrement sonore dont il était devenu un amateur éclairé.



* LA CHAISE GOULD

Pour Glenn Gould, sa chaise avait beaucoup d’importance. Toutes les personnes ayant regaré une vidéo sur le pianiste auront remarqué sa position assise très basse, les yeux portant un regard très légèrement surélevé par rapport au clavier. Cette position inhabituelle par rapport à une position conventionnelle offre l’avantage d’augmenter la sensation d'enfoncement de la touche. En fléchissant davantage le poignet pour jouer les notes, les ligaments des doigts sont sollicités beaucoup plus qu’à l’ordinaire. Pour avoir joué personnellement dans différents types de position (même debout), je dois reconnaître qu’avec un peu d’entraînement, cette position convient bien à un jeu dans lequel le legato est très présent. En revanche, dans un jeu de type “percussion”, comme celui que l’on rencontre dans la musique jazz, cette position ne m’a pas semblé très pratique.

Des personnes pensent que, grâce à cette position basse, Glenn Gould nouait avec son piano une énergie et une communication physique toute particulière. Une sorte d’extase qui le mettait en communication directe avec la vibration sonore (explication que rejetait l’intéressé). Gould se souvenait plutôt de l’attitude de son professeur (Alberto Guerrero) qui lui pressait les épaules vers le bas quand il exécutait certains exercices pianistiques, l’obligeant ainsi à se pencher en avant.

Pour certains de ses amis, cette chaise aurait eu des rapports indirects avec son enfance ; à cause de sa mère qui lui a appris à jouer sur ses genoux et à cause de son père qui l’avait fabriquée. Peut-être recherchait-il à travers cet objet, un contact émotionnel profond, une nostalgie capable de créer un lien entre le passé et le temps présent. Quand l’art fait l’artiste, ne crée-t-il pas une ligne continuelle et invisible dans les différentes étapes de la vie qui mènent de l’enfance à l’âge adulte ?

par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 12/2010)



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