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PORTRAIT KATIA ET MARIELLE LABÈQUE... LE PIANO PLURIEL

Quand l'une cause, l'autre ne parle guère et quand l'une bouge beaucoup au clavier, l'autre s'agite moins. Katia et Marielle Labèque sont l'extension divergente d'une même source et forment depuis près de quarante ans un duo de pianos sans pareil (elles se produisent plus souvent à deux pianos qu'en jouant du quatre mains). Les observer en concert, chacune à son clavier, est fascinant : elles se font face, ne se regardent presque pas, jouent de mémoire, toujours rigoureusement ensemble.


KATIA ET MARIELLE LABÈQUE, UN DUO COMPLÉMENTAIRE

On dit toujours Katia et Marielle Labèque, dans cet ordre-là, qui est celui de leur venue au monde (contrairement à l'idée reçue, elles ne sont pas jumelles, mais nées à deux années d'intervalle), et celui de l'alphabet. Mais c'est aussi une réalité : Katia est toujours la première à prendre la parole. Elle ne la vole pas à sa sœur, elle parle pour deux. Marielle n'intervient que pour compléter, si nécessaire. Pas l'ombre d'une frustration, d'une soumission dans cette attitude quasi mutique de la cadette. Jacques Chancel, qui les a souvent invitées au "Grand Échiquier", confirme : "Je les connais depuis qu'elles sont toutes jeunes. Je ne les ai jamais vues se chamailler."

Cette célèbre émission de télévision leur a valu la notoriété la plus large à une époque où elles jouaient de la musique contemporaine, Messiaen, Boulez et Berio. Mais aussi la jalousie de ceux restés à l'ombre des feux de la rampe et la suspicion des grincheux qui les trouvaient trop médiatiques pour être de vraies artistes. "C'est vrai, j'avais mes 'mousquetaires', ma garde rapprochée, reconnaît Chancel. Mais Katia et Marielle Labèque avaient, comme Yehudi Menuhin, de la gourmandise, de la curiosité. Elles étaient sincèrement prêtes à l'échange, qui était l'esprit même de cette émission."

Katia et Marielle ont toujours habité ensemble. "Pour des raisons pratiques sûrement, mais pas seulement. On ne s'est jamais posé la question. C'est naturel", dit Marielle la taiseuse. Et presque toujours à l'étranger : à Florence dans un beau palais, à Londres, puis à Rome aujourd'hui. Elles sont si naturellement chics et glamours que, lorsqu'elles ont des problèmes de voisinage, c'est avec l'acteur Dirk Bogarde : "Un jour, nous trouvons sous notre porte un mot de lui. On était ravies ! Un mot de Dirk Bogarde ! Mais c'était une affreuse lettre où il disait ne pas supporter le son de nos pianos. Nous sommes parties."

Leurs copains, ce sont, entre autres, Isabelle Adjani, Madonna, Sting, ou, naguère, Miles Davis, qui a dédié deux morceaux à Katia. Marielle la "sage" est mariée au chef d'orchestre Semyon Bychkov ; Katia la "folle" a vécu avec le guitariste de jazz John McLaughlin. Logique.

Pierre Collet, qui fut le vice-président de la communication de Philips Classics de 1990 à 1996, se souvient : "Elles ont été, dans le milieu de la musique classique, des people avant l'heure. Mais elles ont presque toujours été les amies des stars avant que celles-ci ne deviennent célèbres. Elles étaient modestes, généreuses, elles le sont restées." Et leur look sexy et fringant les distinguait de la grisaille du milieu : "Avant que cela ne devienne l'usage, comme dans le rock et la variété, elles ont soigné leur image et fait appel aux grands photographes", rappelle Collet. Après André Rau, auteur d'un célèbre portrait de Catherine Deneuve, c'est aujourd'hui Brigitte Lacombe qui fait leurs pochettes.


DE LA 'RHAPSODIE IN BLUE' AUX GRANDS MÉLANGES

En 1969, elles enregistrent les ardues Visions de l'Amen, d'Olivier Messiaen. "Il nous a entendues à travers une porte au Conservatoire ; il est entré. C'est ainsi que cela s'est fait." Après quelques albums chez Erato, elles passent chez Philips. Leur premier projet pour le grand label ? Rhapsody in Blue, de George Gershwin. Philips hésite - "On nous disait que ce n'était pas du vrai classique" -, mais le disque se fait, en 1981, sans avance sur royalties. La revanche a du panache : l'enregistrement devient Disque d'or.

"Nous considérions Gershwin comme un grand compositeur du 20e siècle, précisent-elles. Quand est venue la mode des mélanges musicaux, du "crossover" ceux qui doutaient de Gershwin nous ont proposé des horreurs : des chansons avec Andrea Bocelli, qu'avait découvert le nouveau patron de Philips, Costa Pilavachi, ou du Satie avec synthétiseurs." Aujourd'hui, elles font ce qu'elles veulent, y compris du "crossover", mais à leur sauce et produisent elles-mêmes leurs disques, sous le label KML. Moins d'argent à la clé, peut-être, mais la liberté au bout des comptes.

Dans les années 1990, elles sont à l'affiche de toutes les grandes salles étrangères, mais la carrière française des Labèque semble connaître un creux. Décalage entre leur notoriété et l'intérêt des institutions musicales ? Cachets trop élevés ? Une chose est certaine : pendant cette période, elles amorcent un brusque virage après avoir eu la "révélation" des instruments anciens et de leurs interprètes.

Katia et Marielle rencontrent deux mentors, le violoniste allemand Reinhardt Goebel, en 1995 et le flûtiste italien Giovanni Antonini, en 1996, patrons de fameux ensembles de musique ancienne. "On a tout appris d'eux." Avant de partir en tournée, en 2000, avec l'ensemble d'Antonini, elles s'inscrivent, comme de modestes étudiantes, aux classes de maître du spécialiste des pianos anciens, l'Américain Robert Levin, à Stuttgart. "On voulait comprendre, apprendre." Quels interprètes de ce calibre auraient eu cette humilité en dépit d'années de succès à Vienne, comme au Hollywood Bowl de Los Angeles, où les concerts se donnent devant près de 18 000 personnes ?

Cette année, les sœurs reviennent en France pour deux concerts, à Aix-en-Provence, puis à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées. Le jour où on les rencontre, c'est la grève des transports. Il leur en faudrait davantage pour renoncer à aller écouter leur ami, le chef d'orchestre britannique, Sir John Eliot Gardiner. "Il dirige les Variations sur un thème d'Haydn de Brahms, que nous jouons à deux pianos. Ça va être passionnant d'entendre ça interprété par des instruments anciens !"

Les voilà à nouveau parties pour comprendre, apprendre, prêtes à renoncer au confort des carrières tracées et des idées reçues. Les Labèque se sont fait construire deux copies du pianoforte Silbermann qu'a joué Jean-Sébastien Bach. "Pour des raisons pratiques, nous jouons souvent sur des pianos modernes, mais pour la musique antérieure à Mozart, nous ne voulons que les claviers anciens. Tant pis si on nous engage moins !"

On parierait volontiers que, s'il leur fallait choisir, les sœurs Labèque travailleraient plus pour gagner moins...


Par Renaud Machart (Piano Web - 12/2007)



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