TECHNIQUE ET MAO



LE SUPER TEMPÉRAMENT DE RAYMOND FONSÈQUE ET L'ACCORD EN RÉSONANCE NATURELLE

Chercheur dans l’âme, mais aussi figure atypique bien connue dans le jazz, Raymond Fonsèque est à l’origine d’un tempérament à 24 sons qu’il baptise le ‘super tempérament’. Voici quelques explications autour de ce procédé qui, d’après son auteur, était capable de réajuster l’idée d’un ‘accord’ plus juste.


LE SUPER TEMPÉRAMENT, IL FALLAIT Y PENSER !

Depuis bon nombre d’années, la musique se pratique selon le tempérament égal requérant 12 sons différenciés par octave connus sous le vocable « Gomma chromatique ». Cette gamme, dans sa progression ascendante se présente ainsi : do, do # (ou ré b), ré, ré # (ou mi b), mi, fa, fa # (ou sol b), sol, sol # (ou la b), la, la # (ou si b), si, do. L’instrument modèle pour la desserte de cette gamme étant le piano.

Le tempérament égal s’obtient en retenant, réduites d’une partie infime (un douzième de comma) douze quintes rapportées à elles-mêmes, soit, dans le sens ascendant : Do – Sol, So – Ré, Ré – La, La – Mi, Mi – Si, Si – Fa #, Fa # – Do#, Do # – Sol #, Sol # – Ré #, Ré # – La #, La # – Mi # et Mi – Si # ou Do…

Et dans le sens descendant : Do – Fa, Fa – Si b, Si b – Mi b, Mi b – La b, La b – Ré b, Ré b – Sol b, Sol b – Do b, Do b – Fa b, Fa b – Si bb, Si bb – Mi bb, Mi bb – La bb, La bb – Ré bb ou Do.

Cette logique empruntée naturellement aux intervalles, de ceux qui théorisent la connaissance des accords ne sont pas aussi parfaits que leur logique laisse apparaître. En effet, tous les accords soi-disant parfaits sont faux parce que les tierces ne sont pas conformes à la résonance naturelle.


"DE L’ACOUSTIQUE À LA MUSIQUE", POUR DÉBUTER

Dans l’ouvrage de Raymond Wermelinger : De l’Acoustique à la Musique, qui traite de la théorie de l'acoustique musicale et de son évolution depuis la gamme de Pythagore jusqu'aux ″tempéraments″ de l'époque moderne, et des conséquences sur l'interprétation, vous trouverez en page 9, le tableau des harmoniques naturels (image 1) dans lequel on voit la note mi résonner (au niveau de l’harmonique 5) avec la fondamentale do et sa quinte sol. Ces trois notes (do, mi, sol) constituent le véritable accord parfait que le compositeur et théoricien Jean-Philippe Rameau appelait ‘le premier jet de la nature’. Le problème soulevé par cet accord est que le tierce mi n’est absolument pas du tempérament égal.

Image 1 : le tableau des harmoniques naturels

Toujours dans ce même ouvrage, vous allez prendre connaissance de tous les efforts accomplis par de très honnêtes gens (Zarlino, Mersenne et bien d’autres) pour réaliser l’instrument qui joue juste avec 12, 16, 19 voire 31 touches par octave ! Cette quête est assortie d’innombrables calculs reprenant et disséquant ceux faits par des gens très distingués (Descartes ou Huygens par exemple).

En ce qui concerne le travail accompli par Raymond Fonsèque, avec des rudiments de calcul (addition, soustraction, multiplication, division) appris à l’école primaire et une certaine obstination toutefois, l’auteur du 'super tempérament' revoit toutes ces données pour construire un procédé permettant de retrouver dans toutes les tonalités, les véritables intervalles qui sont induits par la résonance naturelle ; ce qui permet une totale justesse d’intonation.

Image 2 : le tableau simplifié des harmoniques

Raymond Fonsèque reprend le tableau des harmoniques naturels présenté généralement sur deux portées (celles du piano : clés de fa et de sol) qui peut néanmoins être présenté sous une forme raccourcie et simplifiée en n’utilisant que la seule clé de sol (image n°2).

Les nombres figurant sous chaque note sont en fait des rapports successifs de fréquence : 2/1 indique le rapport d’octave, 3/2 celui de quinte, 4/3 celui de quarte, 5/4 celui de tierce majeure et 6/5 celui de tierce mineure.

Le calcul de mi engendré par les quintes à partir d’un do de numérotation 16 indique :

  • Do (16) x 3/2 = Sol (24)
  • Sol (24) x 3/2 = Ré (36)
  • Ré (36) x 3/2 = La (54)
  • La (54) x 3/2 = Mi (81)

Le mi harmonique affiche 16 x 5/1 = 80. La différence entre ces deux mi est 81/80. Cette différence à pour nom : comma syntonique.


LA CONSTRUCTION ET L'ÉCRITURE DU SUPER TEMPÉRAMENT

Le super tempérament réclame l’usage de ces deux mi comme de toutes les autres notes de la gamme chromatique : l’un requis comme note fondamentale de l’accord majeur portant son nom et l’autre comme tierce naturelle de Do amenant par renversement la tonalité relative de Do, soit La mineur.

Image n°3

Le point de départ de la construction tétraeïcosatonique (24 sons) est l’intervalle de tierce majeure suivi de sa tierce mineure ascendante pour ce qui concerne le mode majeur d’une part et de sa tierce mineure descendante pour ce qui concerne le mode mineur (image n°3).

On remarque que la quinte de la tierce, soit le si (en utilisant la tonalité de do), est satisfaisante si la tierce de do est ramenée à la place qui est la sienne. Si la quinte ascendante de mi, soit le si, fait l’affaire comme tierce de l’accord Sol majeur, la quinte ascendante de si, soit fa #, fera l’affaire comme tierce de l’accord Ré.

Image n°4

En sens inverse, la quinte descendante de mi, soit la, fera l’affaire en tant que tonique de l’accord La mineur, la quinte descendante de la fera l’affaire en tant que tonique de l’accord Ré mineur et ainsi de suite.

Comment s’y reconnaître entre le ré tonique de l’accord Ré majeur et le ré tonique de l’accord Ré mineur ? Eh bien ! Nous utiliserons les majuscules pour caractériser les notes issues de la progression ascendante et les minuscules pour celles issues de la progression descendante (plus basse d’un comma, rappelons-le) (image n°4), et pour l’établissement des partitions, nous grossirons les unes et diminuerons les autres.

Écriture des accords

Ci-dessous (image 6), une structure rudimentaire constituée par la suite harmonique de Rêve d’amour de Franz Liszt comme démonstration complémentaire :

Image 6 : suite d'accords pour Rêve d'amour

Source : Raymond Fonsèque - Jazz Dixie (Swing n°54)

En savoir +  : Le ‘super tempérament’ de Raymond Fonsèque


À PROPOS DE RAYMOND FONSÈQUE

Raymond Fonsèque

© gazettedescuivres.fr - Raymond Fonsèque avec les musiciens de Big Bedaine (2010)

Décédé en 2011, Raymond Fonsèque était tubiste et tromboniste (instrument dont la pratique exige une grande justesse). Adepte d’un jazz traditionnel et pionnier du ragtime revival, ses expériences musicales dans ces domaines ont été nombreuses. Il était également arrangeur (il a travaillé notamment pour le trompettiste Bill Coleman).

Dans les années 50, cette passion le conduit à fréquenter les caves et les clubs parisiens. Fondateur avec les frères Lacroix de l’orchestre du Hot Club de la Vallée de Chevreuse, à Paris, il aura l’occasion de jouer aux côtés d'un grand nombre de jazzmen dont Michel Attenoux, Gérard Badini, Maxim Saury, Claude Luter, mais aussi du bluesman Big Bill Broonzy ou encore de Mezz Mezzrow, Sydney Bechet, François Jeanneau, Jean Guérin et Ivan Jullien. Il se produira dans l’orchestre de Jacques Helian (en 1956), avec le trio de Claude Bolling (en 1958) et le High Society Jazz Band (en 1960). Par la suite, il fera quelques incursions dans le domaine de la chanson (Rose d’Or d’Antibes, Johnny Hallyday, Édith Piaf, Brigitte Bardot…), et sera à l’initiative de concerts pédagogiques orientés ragtime et jazz bop.

Si dans les années 60, Raymond Fonsèque devient un chroniqueur pour la revue "Jazz-Hot", puis plus tard en devenant le rédacteur en chef de la revue "Jazz Dixie/Swing" et un auteur de méthodes (Le tromboniste débutant et Le tubiste débutant), toute sa vie le musicien a été un chercheur, un passionné qui expérimenta de nouvelles directions techniques concernant ses instruments favoris.

C’est en 1967 qu’il s’intéresse à Pythagore comme aux travaux de Rameau ou de Zarlino, le jour où il prend connaissance de l’ouvrage de Jacques Chailley, Expliquer l’Harmonie. De là, ses différentes recherches lui permettent de découvrir un procédé à 24 sons au lieu des 12 issus du système bien tempéré, et qu’il baptise de "Super Tempérament". Son brevet sera présenté à la Faculté des Sciences en 1986 et, l'année suivante, à la 118e réunion du Groupe d'Acoustique Musicale.

À ce jour, son "super tempérament", comme de nombreuses découvertes souvent débattues, demeure dans une sorte d’impasse, faute d’avoir su remettre en cause une remise à plat de l’accord des instruments à sons fixes, notamment celui du piano. D’ailleurs, pour appuyer ce travail de « justesse sonore », Raymond Fonsèque sera l’instigateur d’instruments prototypes, comme le clavier tétraéicosatonique à 24 sons par octave ou le clavecin à 3 rangées (image n°7).

À CONSULTER

POURQUOI DOUZE NOTES PAR OCTAVE ? (LE PRINCIPE DE L'ACCORD EN TEMPÉRAMENT ÉGAL)

ACCORDER UN PIANO

POURQUOI FAUT-IL ACCORDER LE PIANO RÉGULIÈREMENT ?

LA RELATION INTERPRÈTE/FACTEUR


TECHNIQUE "DOSSIERS DIVERS"
SOMMAIRE "DOSSIERS"
ACCUEIL
PARTICIPER/PUBLIER : EN SAVOIR PLUS
Facebook  Twitter  YouTube
haut
haut

Accueil
Copyright © 2003-2024 - Piano Web All rights reserved

Ce site est protégé par la "Société des Gens de Lettres"

Nos références sur le Web - © Copyright & Mentions légales