HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE JAZZ



MARTIAL SOLAL BIOGRAPHIE/PORTRAIT D'UN PIANISTE DE JAZZ AU JEU INVENTIF ET SINGULIER

Martial Solal est un des grands pianistes du jazz contemporain. Il a développé très rapidement un style original et son talent l'a fait connaître bien au-delà de l'hexagone. Doté d'une technique hors pair, à la précision époustouflante, Martial Solal fait appel à une invention mélodique sans faille, ce qui fait de lui un improvisateur inépuisable. C'est un familier des ruptures et des digressions harmoniques. Sous son air sérieux, le personnage est teinté d'un humour qu'il manie à plaisir dans le titre de ses compositions : Averty c'est moi, Gavotte à Gaveau ou Nos smokings. Le compositeur, qui a touché tant au classique qu'au jazz en grande formation, possède une identité tout aussi reconnaissable. Depuis quelques années, un concours de piano jazz porte son nom : le concours de piano jazz Martial Solal.


LES DATES IMPORTANTES DE LA VIE DE MARTIAL SOLAL

  • 1927 - Martial Solal est né le 23 août 1927, à Alger, en Algérie. À six ans, il apprend le piano. Il se passionne pour le jazz et prend des cours avec un musicien local reconnu.
  • 1945 - Il devient musicien professionnel et joue pour Radio-Alger.
  • 1950 - Martial Solal s'installe à Paris et accompagne Benny Bennett, Aimé Barelli et les jazzmen de passage avant de commencer une carrière indépendante.
  • 1951 - Il crée un quartet.
  • 1956 - Martial Solal enregistre son premier disque en solo, puis un second à la tête d'un grand orchestre.
  • 1958 - Il compose le testament d'Orphée et dans les années suivantes de la musique de films : Deux hommes dans Manhattan, À bout de souffle, Léon Morin prêtre.
  • 1962 - Martial Solal crée un trio composé de Guy Pedersen (b) et de Daniel Hummair (bat) avant de partir aux États-Unis pour jouer avec un autre trio monté sur place et composé de Teddy Kottick (b) et Paul Motian (bat).
  • 1963 - Il participe au Festival de Newport et crée un trio comprenant deux contrebasses et un piano.
  • 1977 - Martial Solal crée un duo avec Lee Konitz et relance un grand orchestre. Il compose de nombreuses œuvres pour différents interprètes de musique contemporaine.
  • 1982 - Il crée une grosse formation, le Dodecaband.
  • 1988 - Martial Solal se produit et enregistre fréquemment en solo et en trio avec différentes personnalités : Didier Lockwood, Michel Portal, Lee Konitz.
  • 1999 - Il remporte le prix Jazzpar, l'une des récompenses les plus recherchées du monde du jazz.

© Tikemyson - Martial Solal en 2006, en concert à la Maison de Radio France avec son Newdecaband


QUELQUES QUESTIONS ESSENTIELLES POSÉES À MARTIAL SOLAL

Vous êtes un pianiste à part. Comment l'êtes-vous devenu ? Comment l'êtes-vous resté ?

Martial Solal : j'ai toujours eu de l'ambition pour le jazz. Pas pour moi. Pour la musique. Certains musiciens font passer l'envie de se faire connaître avant l'élévation de la musique.

À Paris, au Blue Note, dans les années 1950-1960, vous étiez le pianiste attitré. Avec qui n'avez-vous pas joué ? Avec qui auriez-vous aimé jouer ? Avec qui avez-vous aimé jouer ?

Martial Solal : j'aurais aimé jouer avec Charlie Parker, Miles Davis, des gens qui avaient des choses à dire. Je suis arrivé à Paris en 1950. Charlie Parker est mort en 1955. J'étais trop jeune et je n'avais pas le niveau pour jouer avec lui. Quand Dizzy Gillespie passait à Paris, il venait au Blue Note et le bœuf commençait toujours par A Night in Tunisia. C'était bon...

Récemment, un ami Irlandais est venu m'amener une vidéo d'un concert avec Dizzy Gillespie à Antibes en 1957 [Stan Getz, Barney Wilen, Sacha Distel, Pierre Michelot, Kenny Clarke étaient de la fête, ndlr]. Je l'avais oublié. Comment ai-je pu oublier un concert avec Dizzy Gillespie ? J'avais trente ans. C'est le bon âge pour un musicien. On commence à avoir le contrôle, la maturité nécessaire pour bien jouer. J'ai joué avec Chet Baker dans une tournée en Italie à la fin des années 50. Un orchestre de drogués. Ils sont tous morts à moins de cinquante ans. Je me souviens de Chet se piquant, pas jouant. Ils n'ont pas réussi à m'entraîner là-dedans. Ça ne m'intéressait pas. Vous me dites que Chet Baker est mort à 59 ans ? Il devait être solide vu ce qu'il prenait... Chet était arrivé à Paris avec Dick Twardzik, un pianiste qui proposait des choses vraiment intéressantes. Mais on ne l'a entendu que deux, trois fois. Puis, il est mort d'overdose.


MARTIAL SOLAL - FASCINATING RHYTHM

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Vous avez écrit beaucoup de musiques de films de 1955 à 1965. Pourquoi avoir arrêté ?

Martial Solal : ce n'est pas moi qui ai arrêté. C'est qu'on ne m'en a plus demandé ! Il y a des cycles comme cela. Même Vladimir Kosma et Michel Legrand en font beaucoup moins qu'avant. Récemment, j'ai écrit la bande originale du film Les Acteurs pour Bertrand Blier. Une belle expérience pour un homme très sympathique, même si le film n'a pas marché. Mais depuis que je ne fais plus de musique de film, je n'ai cessé de composer.

Vous êtes fidèle dans votre relation avec les musiciens. Vous jouez depuis des décennies avec Daniel Humair, Lee Konitz, Eric Le Lann. Pourquoi ?

Martial Solal : il faut avoir de l'estime pour les musiciens avec lesquels on joue. Et pour que ce soit cohérent, il faut du temps. Lee Konitz est vraiment devenu un ami. D'abord, il est de 1927 comme moi. Et puis c'est le musicien étranger qui est le plus souvent venu dîner chez moi. Chaque fois qu'il passe à Paris, il m'appelle et je l'invite à dîner. Il veut que je vienne à New York jouer avec lui au Village Vanguard. Mais lui, même s'il vit en Allemagne, a gardé un appartement à New York. Alors que moi, là-bas, je vis à l'hôtel. Quant à Eric Le Lann, c'est le seul musicien qui figure dans mon big band depuis sa création. C'est un musicien rare, avec des idées qui me surprennent toujours. Quand j'ai écrit pour lui des arrangements sur des chansons d'Edith Piaf et de Charles Trénet, j'y ai passé six mois. C'était dur. Je ne recommencerai pas cela aujourd'hui.

Deux traits caractérisent votre jeu : la technique et l'humour. Qu'en pensez-vous ?

Martial Solal : la recherche technique me permet de maîtriser la situation en toutes circonstances, d'être prêt à répondre à toute proposition. Par exemple, quand je joue avec Lee Konitz, je ne vais pas forcément attendre la fin de son chorus pour entrer. J'aime surprendre, entrer au milieu, au quart, quand je sens qu'il m'appelle. Cela met plus de spontanéité. Le son fait l'individu. Qu'il soit bon ou mauvais, cela fait partie de la technique. Au Blue Note, les batteurs se succédaient sur la même batterie. Mais la batterie est un instrument qui fait des vagues, avec ses cymbales. Alors, si un batteur n'est pas précis, cela s'entend tout de suite et ça sonne mal...

L'humour, pour moi, c'est bien quand on ne se moque pas des autres. Mais il faut savoir se moquer de soi, ne pas trop se prendre au sérieux. Quant aux jeux de mots sur mes titres de morceaux [L'allée Thiers et le poteau laid en duo avec Didier Lockwood, ndlr], c'est encore de la musique.

Vous n'avez pas constitué une école de pianistes, contrairement à Bill Evans, par exemple. Pourquoi ?

Martial Solal : il y a certains pianistes dans lesquels je me retrouve. J'aime le fait d'avoir intéressé de jeunes pianistes. Le phénomène de l'imitation est très curieux. Charlie Parker avait un jeu très novateur, très complexe et il a été imité par une foule de saxophonistes. Thelonious Monk a un jeu rudimentaire et il est impossible à imiter.

Quels sont vos rapports avec la musique classique ? Pourquoi ne pas en avoir enregistré ?

Martial Solal : c'est très simple. Pour moi, le jazz et la musique classique sont les deux seules musiques qui valent la peine d'exister. J'ai écrit beaucoup d'œuvres pour des orchestres et des musiciens classiques. J'en joue à des doses homéopathiques, mais je n'en ai pas enregistré. Généralement, les jazzmen jouent du classique pour montrer qu'ils en sont capables. Je connais plusieurs concertistes classiques qui savent correctement improviser en jazz, mais qui n'en enregistrent pas pour autant.

Pourquoi ne pas vous être converti aux claviers électriques et électroniques ?

Martial Solal : le piano est beaucoup plus ample, plus complet que les claviers électriques, même s'il ne permet pas les mêmes effets. J'ai enregistré au synthétiseur avec mon big band. J'ai accompagné Lee Konitz au clavier électrique. Puis, cela m'est passé. Regardez Chick Corea, Herbie Hancock. Eux aussi sont revenus au piano acoustique. Et puis, les touchers électroniques sont beaucoup plus mous. Il ne faut pas en abuser sinon on perd de la force dans les doigts.

Vous êtes à la fois pianiste et chef d'orchestre. Quel rôle préférez-vous ?

Martial Solal : ce sont deux plaisirs différents que j'aime également. Entendre un big band jouer sa musique, c'est très excitant. Le piano est un plaisir plus égoïste. Plus difficile aussi, car personne n'est là pour vous couvrir, lorsque vous racontez l'histoire, posez les personnages, le décor, l'action, du début à la fin.

Pourquoi ne jamais avoir enregistré avec un chanteur ou une chanteuse ?

Martial Solal : j'ai accompagné des chanteuses de passage au Blue Note. J'adorais Carmen MacRae. Je devais enregistrer un duo avec elle. Pour des histoires de contrat, ça ne s'est pas fait. J'ai accompagné souvent ma fille Claudia. Mais ce que fait Benjamin Moussay avec elle me convient tout à fait. Il joue juste. Ni trop, ni trop peu. Manuel Rocheman a travaillé avec Laurent Naouri, baryton d'opéra, sur des standards du jazz. C'est très réussi. Mais moi, ça ne m'intéresse pas.

Pourquoi n'avoir jamais joué de piano préparé ?

Martial Solal : quand j'avais dix ans, j'avais mis du papier sur les cordes du piano. Je trouvais le son que cela donnait très amusant. C'est ma seule expérience du piano préparé. Je crains que cela ne soit récupéré pour faire un certain effet. J'ai peur du bidon. Je me méfie des amalgames, des mélanges. La musique est pour moi est une succession de notes qui me font vibrer. Bien sûr, j'ai entendu des choses sérieuses en musique contemporaine, ou Benjamin Moussay avec ma fille. Mais je ne fais pas de piano préparé.

Pourquoi avoir créé le Concours International de Piano Jazz Martial Solal de la Mairie de Paris ? Volonté d'imiter le classique ?

Martial Solal : en 1988, un responsable de la Mairie de Paris est venu me chercher pour présider un concours et en élaborer les règles. J'en étais très flatté. La première édition a eu lieu en 1989. Puis plus rien. En 1998, Claude Samuel, ancien directeur des programmes de France Musique, l'a recréé. La périodicité est de quatre ans. Il y a eu une édition en 1998, en 2002. La prochaine aura lieu en 2006. ça intéresse beaucoup de gens. Vingt-neuf pays étaient représentés en 2002. Cinq prix sont décernés. Le premier est d'un montant de 12 000 €, ce qui le place à la même hauteur que les concours internationaux de musique classique de la Ville de Paris.

Extraits choisis d'un interview réalisé en 2005 par Citizen Jazz


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