ANALYSE MUSICALE : LA MUSIQUE DE FILMS



HISTOIRE DE LA MUSIQUE DE FILMS

Cette histoire de la musique de films comprend les chapitres suivants :


DU CINÉMA MUET AU CINÉMA PARLANT

Chabadabada…, qui ne se souvient pas de cette rengaine de Francis Lai ? Qui ne s'est pas entendu la fredonner ? ; cet air s'est échappé du film Un homme, une femme. Les quelques notes de Jeux interdits ont connu le même succès, se sont accrochées à toutes les guitares. Des générations de musiciens en herbe les ont égrenées.

De la valse de Quatorze juillet qui fit danser nos grands-mères, à la musique de Il était une fois dans l'Ouest, froide et obsédante, de Jean Gramillon à Ennio Morricone, la musique de films a conquis un public de plus en plus nombreux et fidèle. Si être plébiscité par le public est une chose, être reconnu par ses pairs en est une autre. Ces derniers n'ont pas toujours été tendres à l'égard des musiciens liés au cinéma. Certains compositeurs se sont abstenus de figurer aux génériques (musiciens "dit sérieux" s'entend).

Préjugés, opinions fondées ou pas, force est de constater l'évolution de la musique de films, sans cesse croissante, tant sur un plan économique que médiatique. Une nouvelle curiosité se manifeste pour cette forme d'expression musicale. Des recherches fort savantes aboutissent à la réévaluation de musiques longtemps dénigrées parce qu'elles n'appartiennent pas à la tradition de nos élites ; mais surtout il est devenu habituel d'entendre la musique de films hors des salles de projection : au concert et chez soi grâce à la radio ou aux cd.

Cet engouement pour la musique de cinéma s'explique par l'intérêt du public pour l'imaginaire du film, ce monde énigmatique et passionnant, mais aussi par l'étonnante diversité des collaborations depuis les années 1920 qui se sont instaurées entre compositeur et metteur en scène.


AU TEMPS DU CINÉMA MUET

"Le seul intérêt de la musique de films est de nourrir son compositeur" disait Stravinski. Pourtant, depuis la naissance du muet, de grands compositeurs ont prouvé le contraire.

Techniquement, le cinématographe d'antan ne vaut pas le ciné d'aujourd'hui. La musique lui est indispensable : il fallait masquer le bruit du projecteur qui trônait au milieu des spectateurs. Dès ces débuts, la musique de films apporte des effets stimulateurs à certaines séquences et les musiciens puisent dans les catalogues de théâtre, car les mises en scènes de cette époque s'en rapprochaient énormément, et de cette façon sont exploités les scènes de pluie, d'orages, de pleurs, etc.

Jusqu'aux années 1920, l'animation musicale est confiée principalement à un piano, voire un orchestre, si l'on voulait obtenir des effets plus saisissants. La plupart des musiques sécrétées devant les écrans du muet sont des schémas d'improvisation. Tantôt burlesque ou dramatique, l'instrumentiste choisissait des tempos et une ligne rythmique générale. Chaque rupture du dialogue que l'on devinait sur les lèvres des acteurs, chaque carton était l'occasion pour le musicien de réexposer la tonalité de l'œuvre.

Souvent le pianiste se contentait d'images stéréotypées telles que : gammes descendantes quand une personne descend un escalier, gammes ascendantes quand celle-ci monte un escalier, accords plaqués pour la fermeture d'une porte, etc.

En 1910, Erik Satie écrit la musique du film Relâche, adapté d'une pièce théâtrale en un acte du même nom et Entracte de René Clair en 1924. Satie sera d'ailleurs le premier à adapter la musique classique à l'écran avec Camille Saint-Saëns. Par la suite, en 1930, Prokofiev sera sollicité à son tour pour écrire de la musique de film.

Le rythme des images apporte aux compositeurs de l'époque dits "sérieux", une autre façon de s'inspirer du réel. Même si la musique de films est dans sa construction encore liée à des principes issue de la musique classique, on remarque des combinaisons instrumentales et des durées inhabituelles. La véritable intrusion de la musique, de son écriture techniquement argumentée pour le cinéma, sera pour plus tard.

Pendant toute la période du cinéma muet, on ne peut s'imaginer une seconde de silence. Les musiciens s'échinent à poursuivre le film de la première à la dernière image. Il y a des ratés, aussi cherche-t-on à perfectionner le système. En 1921, Henri Rabaud écrit la musique du film Le miracle des loups. Il fait coïncider les morceaux de sa partition avec la durée exacte de chaque bobine de film ; beaucoup de contraintes, mais peu de résultats. La même année, Marcel L'Herbier compose une partition exécutée par 80 musiciens en utilisant un miroir dans lequel le film se reflète afin de coordonner du mieux possible le déroulement de la partition avec celui de la bande cinématographique. En 1926, Jean Grémillon réalise Tour au large, un film consacré aux pêcheurs. Il écrit la musique sur piano mécanique à rouleaux qui reproduit à lui seul l'ensemble de l'orchestre.

L'année 1927 voit les expériences se multiplier. Pour Félix le chat, le dessin animé, le compositeur Hindemith utilise pour la première fois un appareil fort savant de synchronisation : pendant la projection, le chef d'orchestre voit se dérouler sur son pupitre la partition musicale qu'il peut exécuter en parfait accord avec l'image. Aujourd'hui, c'est un procédé similaire qui est utilisé pour le doublage des œuvres étrangères (procédé bande rythmo).


LES PREMIERS PAS DU CINÉMA PARLANT

Toutes ces tentatives ne se doublèrent pas obligatoirement d'un dialogue entre le compositeur et le réalisateur. Le film était une façon commode pour le compositeur de doter leur musique d'un potentiel de visualisation. Jusqu'à la fin des années 1930, de nombreuses illustrations musicales émanaient du répertoire classique : Mozart, Beethoven, Wagner, etc. C'était pour cet art nouveau, une manière de lui apporter de la respectabilité.

Avant la grande mutation du parlant, le cinéma forain a vécu. Des salles se développent, le cinématographe itinérant devient sédentaire. Selon les moyens, les directeurs de salles offrent au public une présence musicale qui va de l'instrumentiste unique, le plus souvent un pianiste, jusqu'au petit orchestre, placé sous la direction d'un des musiciens.

À la fin des années 1920, le cinématographe se met à bruire et à parler et il découvre une autre manière de paraître. Les auteurs pour le cinéma font parler leur personnage et les réalisateurs trouvent dans l'insertion possible de la musique sur la bande son, une possibilité de dramatiser, de galvaniser et d'exprimer, d'une tout autre façon, ce que le cadre de l'image et le montage ne peut traduire.

Le cinématographe est un art né sans passé. Il s'impose en foudroyant les influences tout en se les accaparant toutes. S'évadant dans les domaines de l'émerveillement naïf, il institutionnalise des formes de liberté. Il n'a d'autre fonction que d'assurer la continuité d'un art illusoire, conforté dans cette pérennité par l'acceptation ou le refus de ses spectateurs.

On considère Le chanteur de jazz (1927) comme premier film parlant. C'est par le truchement d'un disque que le chanteur Al Johnson fait entendre sa voix. Des encoches sur la pellicule déclenchent automatiquement le bras du pick-up. Il n'y a plus de piano, ni d'orchestre. Mais il reste encore un problème : les disques utilisés à cette époque étaient des 78 tours et ils ne duraient en moyenne qu'environ 4 minutes par face. Il faudra attendre 1930, pour qu'une piste sonore soit incorporée à la pellicule. Le "parlant" est né. Parallèlement, le projecteur quitte la salle de spectacle, l'insonorisation réalise des progrès. Devant l'essor foudroyant du cinéma parlant, la musique n'est plus indispensable… elle triomphe. Deux camps naissent rapidement, les compagnies qui s'intéressent au cinéma et les autres qui s'y intéressent pour l'argent. L'industrie du cinéma s'est fortifiée et la musique ne peut plus s'exprimer avec la même insistance. La voix et les bruits viennent concurrencer la musique.

La collaboration avec le musicien est obligatoire, il devient un interlocuteur parfois sublimé ou bafoué et le dialogue avec le réalisateur implique une intrusion dans le domaine de l'autre.

On assiste à la naissance du "film d'art et essai". Le cinéma devient autre chose qu'une simple attraction et le spectateur est prié d'investir dans un peu plus que de l'étonnement. Le cinéma spectacle explose pour laisser place à un cinéma doté d'une autre complexité, développant des thèmes plus élaborés et diversifiés. Une aristocratie de la mise en scène est née et les musiciens composent des partitions originales, uniquement liées à l'esprit et au rythme de l'œuvre donnée. La forme de musique de concert disparaît. La musique ne se présente plus dans son expression académique et Abel Gance, en France, devient un des premiers metteurs en scène à concevoir le cinématographe en termes de musique, en concevant un film comme une symphonie dans le temps et l'espace.

C'est au début des années 1930, qu'apparaissent les grands précurseurs, les premiers noms de la musique de films : Maurice Jaubert en France, Prokofiev en Union Soviétique ou Britten en Grande-Bretagne. Si en France, le contexte est plutôt individualiste ou constitué d'équipes éphémères, aux États-Unis, la machine hollywoodienne est déjà en place et prête à fonctionner.

Par ELIAN JOUGLA

SUITE : HOLLYWOOD ET MUSIQUE CLASSIQUE

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