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EMMANUEL SAVOYE, PORTRAIT/INTERVIEW PIANISTE DU NET

Emmanuel Savoye est un pianiste expérimenté qui aborde sereinement l'art de la note appliquée en emportant l'auditeur dans des paysages sonores à base d'improvisations aussi diverses que variées. S'il enseigne le piano et apporte sa contribution dans des arrangements subtils, sur son blog, il aime bien user de sa plume littéraire pour exprimer, en quelques mots imagés, toute la singularité de ses musiques.



EMMANUEL SAVOYE... CÔTÉ PIANISTE



Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Piano Web ?

Emmanuel Savoye : d'abord, bonjour à tous les lecteurs et lectrices ! Emmanuel Savoye, j'ai trente-six ans et je vis à Villemomble, dans la banlieue est de Paris. Mon parcours musical est sans doute assez atypique : doué d'une bonne oreille, j'ai fini très tôt mes études de solfège, avec un DFE à l'âge de treize ans. Peu après, à quatorze ans, j'ai mis un terme à mes études de piano, l'enseignement classique en conservatoire ne me convenant tout simplement pas ! J'improvisais au piano depuis ma plus tendre enfance et l'improvisation était tout simplement absente en conservatoire…

J'ai ensuite suivi le parcours d'un futur ingénieur (classes prépa, ndlr) avant de renouer à l'âge de 20 ans avec la musique. Je me suis alors inscrit en musicologie à Paris, et ai repris des cours de piano-jazz. Depuis, je vis de la musique, j'ai fait beaucoup de piano-bar, d'accompagnement, et je dois toujours beaucoup à mon oreille (son principal travail étant la réalisation de partitions d'après écoute, ndlr).

Emmanuel Savoye, pianiste du Net

Quelles sont vos influences musicales majeures ?

Je dois beaucoup aux cassettes que me prêtait mon frère. Mon premier choc musical fut la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, je devais avoir cinq ans. Plus tard, j'ai eu la chance d'assister à un concert du pianiste argentin Miguel Estrella, accompagné par l'Orchestre National de Lille de Jean-Claude Casadesus. Estrella avait été torturé pendant les années de dictature en Argentine, et je me souviens avoir été fortement impressionné par cet homme, sa force… mais aussi le pouvoir de la musique qui l'avait probablement sauvé, comme beaucoup d'autres auparavant.

Bref, je n'ai écouté que de la musique classique dans mon enfance. On ne disposait pas à l'époque de discothèques aussi fournies qu'aujourd'hui, aussi j'écoutais en boucle l'Offrande Musicale, le Clavecin bien tempéré, la musique de chambre et les symphonies de Schubert et Mozart, Rachmaninov…

Plus tard, beaucoup plus tard, vers 17-18 ans, je me suis enfin intéressé au rock et au jazz. Lou Reed et son Velvet Underground m'ont particulièrement marqué à cette époque. Ensuite, lorsque je me suis remis sérieusement à la musique, à composer et à jouer, ce sont des pianistes comme Keith Jarrett ou Chick Corea qui m'ont le plus influencé, je crois. Mais la liste serait longue.

Sur votre blog, la part donnée à l'improvisation est importante. Comment abordez-vous cette discipline quand vous souhaitez donner une 'couleur classique' ?

C'est une question très intéressante ! J'avoue que les choses se faisant naturellement, sans que j'y réfléchisse, je ne me l'étais jamais posée… Je crois que la différence essentielle se situe au niveau de l'intention, et de l'état d'esprit qui est le mien lorsque j'entame une improvisation.

J'improvise depuis que je suis tout petit, et comme tous les enfants, je fonctionnais par imitation : j'imitais donc une des seules musiques pour piano que je connaissais, le Clavier bien tempéré. Je me souviens qu'on m'avait fait entrer au conservatoire parce que j'avais étonné un professeur de piano en improvisant une espèce de petite invention à deux voix - je ne dis pas ça pour me vanter, c'est simplement que l'improvisation contrapuntique venait à moi de manière spontanée, c'était un jeu. Du reste, je n'ai jamais été capable d'improviser une fugue, comme certains organistes !

Si l'improvisation dans un style classique m'était tout à fait naturelle, au contraire, j'ai dû apprendre l'improvisation jazz, sur grille d'accords, travailler les enchaînements, trouver des automatismes… Je crois d'ailleurs que sur mon blog, il y a très peu d'improvisations mettant en œuvre une grille d'accords rigoureusement suivie…

Je n'arrive pas à comprendre les pianistes qui, en concert solo, jouent comme s'ils avaient une rythmique derrière eux, en faisant tourner une grille d'accords : c'est d'un ennui ! C'est là je crois que ma culture classique prend le dessus, si on joue seul, il faut justement jouir de cette liberté, provoquer des ruptures, des surprises… pas comme un Martial Solal, chez qui les ruptures sont tellement fréquentes et systématiques que l'effet de surprise en est - à mon avis - annihilé, mais plutôt à la manière des sonates de Beethoven… D'ailleurs, lorsque je joue en formation jazz, avec contrebasse et batterie, on me demande souvent si je "viens" du classique. Effectivement, ça se sent !

Donc, il me semble que dans mon cas précis, il faudrait retourner la question : comment abordez-vous l'improvisation quand vous souhaitez lui donner une couleur jazz ? Et je dirais, avant tout, me mettre dans l'état d'esprit correspondant, faire naître une pulsation intérieure, mettre le corps en mouvement. Et si ça ne vient pas, il me faut "pétrir la pâte", à la manière - toutes proportions gardées, je ne me compare pas à lui ! - de Keith Jarrett : parfois il faut cinq, dix minutes de recherche, de tâtonnements, avant que ne s'installe la rythmique qui fera la différence entre couleur "jazz" et couleur "classique".

J'ajouterai que lorsque j'ai repris sérieusement l'étude du piano et de l'improvisation, je me suis rendu compte que je devais, consciemment, à tout moment de la journée, "penser" musique, improviser mentalement. Ainsi le langage improvisé devient aussi naturel, voire davantage, que le langage parlé, et on observe que selon les situations, les émotions, les rencontres, cette pensée musicale intérieure prend différentes teintes. C'est un sujet qui me tient beaucoup à cœur, et qui mériterait d'être développé, mais là je crois que j'ai été déjà été assez long !

Comme de nombreux improvisateurs, vous êtes un musicien qui capte l'émotion de l'auditeur au fil des notes, mais également au fil du temps qui s'écoule… Pensez-vous être un nouveau genre de musicien 'impressionniste' ?

Aucune idée ! On dit souvent que la peinture ou la sculpture sont des arts de l'espace, instantanés. La musique, au contraire, est un art temporel, on essaie de sculpter le temps. En cela, je ne vois pas ce qui différencie Bach, Ravi Shankar, Debussy d'un Giacinto Scelsi ou des Beatles… Il est vrai qu'on m'a souvent associé le terme d' "impressionniste" à l'écoute de mes improvisations, mais cela me semble dû principalement au fait que les auditeurs font un lien avec la musique de Debussy, qui est elle-même très improvisée.

Alors que de nombreux musiciens utilisent des images ou des pas de danses pour illustrer leur musique, avec vous, ce sont les mots qui servent de point d'appui… Comment vous est venu l'idée d'adjoindre des textes illustrant vos musiques ?

Il faut faire la différence entre la source d'inspiration et le commentaire : la source, ça peut être une image, une information, un lieu, un mot… des pas de danse aussi, puisque j'ai été accompagnateur de cours de danse ! En revanche, les textes que j'ajoute sur mon blog viennent après, et sont plutôt à considérer comme des commentaires, histoire d'occuper un peu les auditeurs.

Vous avez des lectures favorites ?

J'ai des auteurs favoris, bien sûr, au premier rang desquels Boris Vian… Je lis un peu de tout, romans, essais, polars, BD, mais les livres qui occupent le plus ma table de chevet sont issus du rayon Ésotérisme.

EMMANUEL SAVOYE : MONTGOLFIÈRES

La musique serait-elle un moyen détourné de traduire les événements de votre vie ou de ce qui vous révolte ? Je pense à ce que vous avez écrit sur le blog concernant votre fille dans 'les compagnons de jeu invisibles " et sur l'environnement, dans " Monde intérieur, monde extérieur ".

Oui, bien sûr, et surtout la musique offre une palette de nuances émotionnelles qui n'existe pas dans le langage courant. Elle peut donner forme à l'ambiguïté que l'on ressent parfois : écrire "je suis triste et heureux à la fois", c'est plat… en musique il y a une infinité de façons de le dire.

Parmi vos expériences musicales, vous avez écrit des arrangements jazz en baroque pour l'ensemble Claroscuro. Comment s'est produit cet assemblage aussi surprenant qu'inattendu ? Quizas, quizas, quizas, il faut oser !

Tout simplement parce que mon épouse, tout en étant hautboïste baroque, n'en est pas moins chanteuse de bossa-nova et fan de jazz et des musiques populaires, sud-américaines en particulier. Des musiciens très talentueux participent à l'Ensemble Claroscuro, certains ayant la double étiquette baroque-jazz, ce qui rend les choses d'autant plus agréables. Nous avons pris le parti de proposer systématiquement en bis une œuvre qui n'a rien à voir avec le répertoire baroque, pour surprendre, faire rire et montrer que les frontières n'existent que dans notre mental. Nous avons toujours eu le projet de réaliser un disque "Bach-Monk", s'il y a des producteurs intéressés, qu'ils se fassent connaître !



EMMANUEL SAVOYE… CÔTÉ WEB



Vous avez opté pour un site doté d'un blog, alors que de nombreux pianistes se contentent de mettre en ligne leurs œuvres en utilisant les sites communautaires, tels YouTube, DailyMotion ou MySpace. Pourquoi avez-vous choisi ce genre de format… par indépendance, par commodité ?

J'ai essayé MySpace et ça m'a profondément ennuyé ! Je ne m'y sens pas libre. En réalisant moi-même mon site et mon blog, d'une part, je renoue avec mon passé d'informaticien, et d'autre part, je suis libre de faire ce que je veux et les visiteurs n'ont pas à subir de publicités intempestives. Cela n'est toutefois pas aussi commode, ça demande plus de temps, et il est sans doute plus difficile de se faire connaître...


EMMANUEL SAVOYE : QUE SALGAN AHORA

Qu'attendez-vous des personnes qui visitent votre site ou votre blog ?

Dans l'idéal, qu'ils ne se contentent pas de lire quelques articles en diagonale, en n'écoutant que le début de chaque improvisation. Qu'ils écoutent au moins une improvisation en entier. Mais je suis conscient que beaucoup n'ont pas le temps, et je ne peux pas les en blâmer. Mes statistiques me montrent que le temps moyen passé sur mon site est de 2:15… après tout ce n'est pas si mal !... Mais ce que j'aimerais avant tout, c'est que les gens laissent des commentaires, qu'ils aiment ou qu'ils n'aiment pas, peu importe. Un blog est un lieu d'échange. Je suis toujours désappointé lorsque des amis me disent "j'ai vu ton blog, c'est super" : laissez donc un commentaire !

L'arrivée d'Internet a provoqué un bouleversement dans nos habitudes. Le musicien n'y échappe pas non plus. Ne craignez-vous pas que l'Internet n'oblige quelque part les musiciens à favoriser la démonstration au profit de la création ?

Internet me donne quelques craintes, oui, mais pas celle que vous formulez : il y a toujours eu des artistes qui ont favorisé la démonstration… des artistes de cirque et des artistes, disons, "profonds". Je pense que chacun a sa place et trouve le public qui lui correspond. Et certains arrivent à être les deux à la fois, voyez ce pianiste qui a fait des improvisations sur "chatroulette" : c'est démonstratif et créatif à la fois, même si musicalement ça ne va pas très loin ! Je trouve ça appréciable, qu'Internet permette à des inconnus du monde entier d'écouter ma musique.

Comme imaginez-vous votre avenir de musicien et celui de vos activités sur Internet ?

Je n'y pense pas. Mes activités sur Internet restent pour moi une activité mineure. Il se passe parfois deux semaines sans nouvelle improvisation, tout simplement faute de temps. Mais tant qu'il y a des gens qui visitent mon blog, même si ce n'est parfois pas plus de 3-4 visites par jour, je continuerai !

Comme imaginez-vous votre avenir de musicien et celui de votre site ?

Je vais continuer à mettre mes petites pièces sur mon site. Je ne peux pas me passer d'improviser au piano, donc je vais continuer. J'espère qu'au fil du temps, mes pièces seront de plus en plus intéressantes. Je suis encore jeune, peut-être qu'un beau jour, on me proposera de réaliser la musique d'un film, et là, je pourrai mourir heureux.

En conclusion, quels conseils donneriez-vous à un jeune musicien qui souhaite se lancer dans la réalisation d'un site ?

Mon site est loin d'être parfait et vu le nombre de visites qu'on lui fait, je crois que c'est plutôt moi qui aurais besoin de conseils !

Merci pour vos questions très intéressantes !

propos recueillis par Elian Jougla (Piano Web - 02/2011)



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LE BLOG "L'IMPROBABLE IMPROBLOG" D'EMMANUEL SAVOYE



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