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RHODA SCOTT BIOGRAPHIE PORTRAIT DE L'ORGANISTE

Quand le jazz s’appelle Rhoda Scott, il déborde de santé. Énergie, chaleur, douceur pourraient être les qualificatifs de cette musicienne hors norme qui a tant apporté à l’image de l’orgue Hammond dans notre pays. Rhoda Scott est vraiment une jazzwoman très à part dans l’histoire de cette musique. C'est grâce à une émission de télévision, Discorama, en 1969, qu'elle va devenir une véritable vedette du petit écran...



RHODA SCOTT... LA 'BAREFOOT LADY'


Rhoda Scott est née aux États-Unis. Elle est la fille d'un pasteur itinérant et a vécu ses premières expériences musicales en accompagnant les gospels et les négro spirituals dans des petites églises de la côte Est des États-Unis. Très rapidement, Rhoda Scott se fait remarquer pour son talent d'organiste et de vocaliste. Elle rentre dans la célèbre école de musique Manhattan School of Music de New-York, dont elle sort à 25 ans, grand prix du conservatoire avec mention spéciale. Après un bref séjour dans l'orchestre de Count Basie à Harlem, elle vient terminer ses études de contrepoint et d'harmonie en France au conservatoire de Fontainebleau avec Nadia Boulanger, réputée pour ses compétences pédagogiques.

La jeune femme est une très jolie Américaine de couleur se coiffant à l'africaine. Pour la musicienne, rien n'a changé. L'orgue qui se tient devant elle est toujours le même avec ses trois claviers, le troisième étant à pédales. Rhoda est une musicienne accomplie qui a ce qu'il faut de force, de sensibilité, de technique, et d'inventivité apte à faire vivre un swing soutenu. Le public qui commence à la découvrir ne tarit pas d'éloges en la voyant jouer avec autant de décontraction, le sourire aux lèvres. Elle est la gentillesse même, elle qui accueilla son futur disciple Stefan Patry à l'âge de 12 ans et qu'elle initia à l'instrument, à la route, à l'humour, à la bienveillance jusqu'à qu'il devienne à son tour un organiste accompli.

À la fin des années 1960, Eddy Barclay, toujours à l'affût de nouveaux talents, lui propose de signer ses premiers contrats discographiques. À ses débuts, Rhoda Scott surprend tout le monde en jouant de l'orgue pieds nus, et cette particularité lui vaut le surnom de "the Barefoot lady" (d'autres organistes, surtout ceux spécialisés dans le répertoire populaire, suivront son exemple et joueront régulièrement pieds nus). La formule la plus admirative viendra d'un musicien qui déclarera : "Elle a l'orteil absolu".

Rhoda Scott se permet avec une certaine grâce et une certaine joie de combiner les thèmes qui sont typiquement jazz, blues ou religieux. Dotée d'une excellente mémoire musicale, elle compose la majeure partie de son répertoire selon son inspiration du moment et surtout selon la réaction du public, n'hésitant pas à commenter par des explications savoureuses les morceaux qu'elle interprète. Même si ses origines sont américaines, ses attaches sont bien françaises et ses tournées l'amènent souvent à se produire sur les scènes du jazz hexagonal.


RHODA SCOTT : 'THE LOOK OF LOVE' (avec le guitariste Patrick Saussois)


SOUVENIR PERSONNEL SUR RHODA SCOTT ET L'ORGUE HAMMOND

Vers la fin des années 1960, à la télévision française (l'O.R.T.F), les deux seuls organistes que les téléspectateurs pouvaient voir dans les émissions de variété (genre le "Palmarès de la chanson" ou "36 Chandelles") était Pierre Spiers (aussi pianiste) et Rhoda Scott.

Autant le dire tout de suite, pour ces deux musiciens, avoir la primeur de passer sur l'unique chaîne française à une heure de grande écoute ne se refusait pas. L'image de Rhoda Scott jouant pieds nus (les plans des caméras insistaient fréquemment sur ses pieds) avait marqué mon esprit d'enfant et aujourd'hui encore, j'en garde un souvenir assez précis. Avant que je ne commence à étudier le piano, l'orgue représentait à mes yeux le modernisme (le synthétiseur n'avait pas encore fait ses preuves et il restait un instrument obscur pour la grande majorité des musiciens).

L'orgue Hammond était l'instrument privilégié des jazzmen, avant que les musiciens de rock ne l'imposent à leur tour, quelques années plus tard. Sa sonorité tranchait sur le piano que je ne connaissais personnellement qu'à travers la musique classique. La façon dont Rhoda Scott jouait sur l'orgue (à l'époque je ne comprenais rien à sa musique, mais la magie des rythmes, des sons agissait en moi), les mouvements de ses mains qui percutaient les claviers, qui tiraient sur les registres, les boutons poussoirs, le pied gauche qui n'arrêtait pas de bouger de gauche à droite sur le pédalier, tout ce débordement d'énergie m'avait donné un profond désir d'apprendre l'orgue.

À cette époque, trouver un professeur de musique jazz dans une petite ville de province relevait du parcours du combattant, alors l'orgue Hammond, n'en parlons pas !

La seule solution qui s'offrait à moi était d'apprendre l'orgue d'église, mais j'avais déjà compris du haut de mes dix ans que ce n'était pas la même chose… surtout au niveau du son ! Faute de pouvoir trouver un professeur d'orgue jazz, c'est sur le piano que mes doigts se posèrent en premier… mais en gardant toujours à l'esprit, le désir de jouer sur un orgue, un jour ou l'autre.

Ce que la plupart des gens retiennent de Rhoda Scott, c'est son jeu, les pieds nus sur le pédalier, impressionnant certes, mais réducteur quand on sait que sur un orgue les difficultés techniques ne manquent pas : jouer des deux mains, des deux pieds (volume et pédalier), modifier les sonorités en cours de jeu, voilà pour moi, une certaine idée du sommet de l'indépendance.

Le premier disque de Rhoda Scott que j'ai eu en ma possession était Come Bach to me (1970). Je m'en souviens encore, certainement par nostalgie. Ce disque est assez singulier dans sa carrière puisqu'il mélange plusieurs styles de musique. Sont présents des extraits de grands thèmes classiques comme l'adagio de la Sonate au Clair de Lune de Beethoven ou La symphonie du nouveau monde de Dvorak, du rhythm and blues avec Dock on the bay (Otis Redding), du gospel avec The preacher (Horace Silver) ou du jazz soul avec Moanning (Bobby Timmons).

C'est le genre de disque fourre-tout très à la mode à l'époque, indigeste pour certains et adulé par d'autres. Comme c'était souvent le cas dans la plupart de ses disques, seul un batteur l'accompagne (ici Felix Simtaine) ; pas besoin de bassiste… puisque ce sont ses pieds sur le pédalier qui tiennent ce rôle.


RHODA SCOTT : BLUE LAW (2019 - captation au 'Sunset Sunside' )

C'est sa maîtrise technique et sa virtuosité alliées à une parfaite connaissance des possibilités sonores de l'instrument qui m'a toujours séduit chez elle ; comme sa façon de changer fréquemment de registre en plein milieu de solo (cette approche technique est sur ce plan très différente de Jimmy Smith, qui avait tendance à garder un son et à le tenir jusqu'au bout). Rhoda Scott est peut-être l'organiste qui a le mieux réussi à révéler les nombreuses possibilités de l'orgue Hammond.

Aujourd'hui, face aux récentes technologies, l'orgue Hammond semble provenir d'un autre monde. En France, l'instrument a toujours eu du mal à se renouveler, à trouver une place de choix. Il est en sursis, seulement sauvé par des nostalgiques, des passionnés ou par des musiciens qui le découvrent un jour en posant leurs doigts sur ses claviers. Pour beaucoup de personnes, l'orgue reste avant tout un instrument rattaché à l'église et à la foi.


TROIS QUESTIONS ESSENTIELLES À RHODA

Comment êtes-vous venue à l’Orgue Hammond ? C’est un instrument assez exclusif…

Rhoda Scott : j’ai commencé par le piano, bien sûr. Mon père était pasteur et la musique était une affaire de famille. Il y avait un orgue dans l’église et c’était un Hammond. J’avais pris quelques leçons de piano, pais après avoir touché le clavier de l’orgue, je n’ai plus été intéressée par la maitrise de cet instrument. Comme nous habitions à côté, dans le presbytère, il était facile pour moi de me glisser à l’orgue dès que j’avais un peu de temps de libre. Je ne connaissais pas le jazz à cette époque, mais je ne jouais pas que de la musique liturgique. Il m’arrivait d’essayer des chansons populaires et des mélodies que j’avais dans la tête.

Est-ce ainsi que vous avez développé votre jeu de pédalier si sophistiqué ?

En fait, j’ai tout appris moi-même en suivant mon idée. Je n’avais pas de méthode, mais j’avais beaucoup de temps. Je me suis aperçu que le pédalier était la clé de voûte d’un jeu beaucoup plus subtil que la simple utilisation du clavier… Alors je me suis concentré sur cet aspect, jusqu’à ce que j’ai acquis une coordination qui est devenue instinctive. Je dois cette coordination à la façon peu orthodoxe dont j’ai fait l’apprentissage du Hammond.

Comment construisez-vous votre son ?

Je n’utilise jamais les présets. Seulement les tirettes qui permettent de varier le son à volonté. Tout comme le pédalier, c’est devenu instinctif chez moi. Généralement, je prépare un jeu pendant que je joue en utilisant un autre jeu. Et même en jouant, je peux varier directement mon son avec la main gauche. Les tirettes sont un système très pratique. D’ailleurs, je m’aperçois qu’il y a de plus en plus de musiciens et de groupes qui sont attirés par les sons du Hammond et je n’en suis pas très étonnée, car c’est un instrument absolument unique aux sons infiniment variables. Il m’a fallu du temps pour en faire le tour… J’ai joué longtemps avec un B3000. C’est un instrument merveilleux. Je l’ai choisi principalement parce qu’il est le seul à offrir un pédalier permettant des effets de sustain.

(propos recueillis le 05/1991 pour 'Keyboards mag.')

Par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 02/2005 - mise à jour : 04/2020)


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