TECHNIQUE ET MAO



LES SYNTHÉTISEURS À MODÉLISATION PHYSIQUE

À l’orée des années 80, l’apparition de microprocesseurs et de circuits électroniques de plus en plus miniaturisés et puissants a permis la construction d’instruments révolutionnaires. Une de ces révolutions sera l’implantation du système MIDI pour communiquer et amplifier les possibilités des synthétiseurs et d’autres outils comme les boîtes à rythmes. Cette première révolution allait se poursuivre avec le développement de séquenceurs puissants fonctionnant sur ordinateur PC, Mac et Atari. En quelques années et grâce à ces nombreux progrès technologiques, le claviériste allait devenir un musicien de plus en plus autonome...



MIDI ET ÉCHANTILLONNAGE



En 1987, le Roland D-50 annonce l’âge d’or de l’échantillonnage. Les sons numérisés sont stockés dans des mémoires dont la capacité ne cesse d’augmenter. Les microprocesseurs sont capables de calculer de plus en plus rapidement, ce qui permet de réaliser des instruments dotés de sons de grandes qualités.

Dans les années 80, la polyphonie passe de 16 à 32 puis à 64 voix. La multitimbralité fait de même en exploitant en profondeur les possibilités offertes par les 16 canaux MIDI. Le Korg M1 apparaît en 88 et crée sa petite révolution. Ensuite, ce sera le tour du 01/W en 1990, puis du Roland JV-1080 et ses nombreuses banques de sons, jusqu’au raffinement sonore du Kurzweil K 2000. Lors de la décennie suivante, de nouveaux progrès en électronique vont rendre possible l’émergence d’instruments utilisant une nouvelle forme de synthèse : la modélisation physique.


LES LIMITES DE L’ÉCHANTILLONNAGE…

Un son échantillonné PCM est à la base un son statique, alors qu’un son naturel est un son en constante évolution. Face à ce constat et pour contourner la limite de l’échantillonnage, les constructeurs ont alors l’idée d’employer différents effets pour recréer des sons évolutifs. Les échantillons s’enchaînent ou sont mis en superposition pour produire des sons le plus proche possible de ceux que l’on souhaite imiter ou pour créer des sonorités inédites en partant de sons préexistants. Pour moduler la sonorité, les constructeurs reprennent les paramètres que l’on rencontre déjà sur les synthétiseurs « classiques », tels les enveloppes ou les filtres commandés par MIDI.

Il est important de rappeler que l’échantillonnage n’est pas une synthèse, et que les quantités de mémoires nécessaires à produire des sonorités sophistiquées entraînent des limitations. Pour les constructeurs, il était essentiel de trouver une autre technologie moins gourmande, mais aussi une technologie permettant de recréer des sons plus authentiques et plus évolutifs.




EN ROUTE VERS LA MODÉLISATION PHYSIQUE



Contrairement aux synthétiseurs utilisant l’échantillonnage pur comme source, la modélisation physique nécessite peu de mémoire de masse. Le son est calculé en temps réel en fonction d’algorithmes mathématiques décrivant un modèle et créé par des circuits électroniques du type ligne à retard. Par exemple, dans le synthétiseur Clavia Nord Lead, le générateur de sons fait appel à un calcul modélisant les formes d’ondes des synthés vintages. Pour réaliser cela, le Clavia utilise que très peu de ressources.

LE 'CLAVIA NORD LEAD'

Pour stocker les tables d’échantillons, il suffit d’avoir étudié « mathématiquement » le modèle, et de calculer en temps réel le son produit en fonction de la note jouée. Un tel résultat nécessite une vitesse de calcul très élevée. Seuls des processeurs puissants permettent d'arriver à cela. Ils sont le véritable « moteur » de la modélisation physique. À titre d’exemple, ceux du Korg Oasys calculent 220 millions d’instructions par seconde !

Pour reproduire un son crédible, le modèle mathématique doit s’appuyer sur différents paramètres qui peuvent être l’attaque du son (jeu au doigt, au médiator, bruit de souffle, utilisation d'un archet…), la technique utilisée pour produire le son (pour une corde, l’endroit précis où celle-ci est jouée et sa structure : nylon, acier), la constitution de l’instrument (bruits mécaniques, ouïes, taille de la caisse de résonance…). Là où la modélisation physique devient attractive, c’est que ces paramètres peuvent être contournés pour pénétrer au cœur de l’imaginaire. Les paramètres peuvent être ceux d’un tuyau d’orgue mesurant 10 cm comme 10 m ou celui d’une guitare avec une caisse de résonance en fer et équipée de cordes aussi longues qu’un cours de tennis ! C'est là la grande force de la modélisation physique : donner la possibilité de créer des sonorités totalement inconnues.


LE « GUIDE D’ONDE », DU DRIVER AU RÉSONATEUR

La synthèse par modélisation physique décompose l’instrument en deux grandes familles de paramètres : le système d’attaque (driver) qui provoque la mise en vibration de l’instrument : embouchure, anche, peau… et la façon dont le son se développe dans l’instrument (résonateur) : table d’harmonie, caisse, corps, pavillon… Ces deux familles constituent le « guide d’ondes ».

La modélisation physique est efficace pour reproduire les instruments à cordes, à vents et les percussions, mais possède aussi quelques limites, notamment en ce qui concerne les instruments à cordes frappées comme le piano et les nappes. Pour contourner cette limite, la technologie de l’échantillonnage vient en renfort ainsi que les autres types de synthèse : FM, additive et soustractive, modulation de phase, etc. Le mélange de ces technologies permet de présenter des instruments aux coûts relativement abordables. Ainsi, au départ monophonique, les instruments à modélisation physique tendent à devenir polyphonique grâce justement à l’implantation de ces différentes techniques.




LES CLAVIERS À MODÉLISATION PHYSIQUE



Chaque nouvelle génération de processeur apporte son lot de nouveaux instruments de synthèse, plus précis et plus vivants. Il est ainsi possible de faire évoluer le son en fonction du jeu. Ce qui est impossible avec l’échantillonnage devient réalisable avec la modélisation physique. Pour le claviériste habitué aux synthétiseurs « classiques », c’est un nouveau monde qui s’ouvre à lui et de nouvelles habitudes. Toutefois, la plupart des modèles utilisent une structure conventionnelle faisant appel au LFO, à des filtres résonants, des enveloppes, des effets, etc.

Certains modèles de clavier mélangent les oscillateurs analogiques avec ceux de la modélisation physique ; le but étant de reproduire des sons estampillés "vintages". À ces oscillateurs vient se rajouter le classique bruit blanc, mais aussi des paramètres nouveaux comme le filtre en peigne, permettant de recréer des basses synthétiques et des cordes, un générateur baptisé VPM (modulation de phase variable) qui permet de travailler sur les harmoniques. Généralement, les résonateurs peuvent être configurés selon les types de modélisation : pavillon, cylindre, cône, membrane, etc. Quant aux tables de modélisation, elles permettent de travailler de façon subtile sur la forme d’onde.

Très rapidement, et en toute logique, les claviers à modélisation physique sont devenus « open », c’est-à-dire doté d’une architecture « ouverte » comme un ordinateur. Ici le logiciel (l’Operating System) définit ce que sera le clavier. Rien n’empêche à un utilisateur de combiner et de superposer une guitare en modélisation avec une percussion FM et une nappe analogique grâce à l’intervention combinée de différentes synthèses. De même, le jeu de la pédale forte du piano trouve grâce à la modélisation physique une toute nouvelle réalité. Il ne s’agit plus d’un simple contact simulant l’entrée en action des étouffoirs, mais d’un contrôle à plusieurs niveaux des résonances engendrées par l’action mécanique de la pédale forte. Les cordes libérées résonnent entre elles et engendrent des évolutions sonores complexes avec la table d’harmonie.


LES INSTRUMENTS À PERCUSSIONS

Les instruments à percussion développent, eux aussi, de nouveaux concepts en associant le son acoustique pur mélangé au traitement de signal par DSP et à la modélisation physique. Tout en conservant un aspect physique conventionnel (peau montée sur un cerclage en bois ou métal), des capteurs piézo-électriques et capteurs de pressions sont présents afin de saisir les jeux complexes du percussionniste.

Là aussi, le but est d’obtenir une réponse semblable à celle d’un tom traditionnel. Les nuances sont analysées et transférées au système de génération sonore. Des modélisations de caisse claire, de conga, ainsi que différentes méthodes de synthèse permettent la création de sons novateurs.


YAMAHA, LE PRÉCURSEUR

La modélisation physique n’est pas une technique, mais un ensemble de théories et de méthodes développées par les chercheurs depuis des dizaines d’années (les premières approches datent de 1890). Du fait de leur nature mathématique, les applications ont vu le jour conjointement avec l’arrivée des ordinateurs puissants. En 1960, le disque Music from mathematics produit par Max V. Mathews aurait semble-t-il inspiré Stanley Kubrick pour son film 2001 Odyssée de l’espace quand l’ordinateur Hal se met à régresser et à chanter. Dans les années 80, la découverte essentielle par l’Université de Stanford de l’algorithme Karplus-Strong modélisant les cordes grattées relançe les recherches concernant les guides d’ondes. En parallèle, des études sont entreprises par Julius Smith et Perry Cook sur des modèles destinés aux percussions et aux instruments à vent. Les premiers guides d’ondes apparaissent sur l’ordinateur NeXT en 1992 et sont mis à la disposition des chercheurs sur le réseau Internet.

LE 'YAMAHA VL1'

La firme Yamaha est la première à investir dans cette technologie. Elle négocie dans le plus grand secret un accord de développement commercial et, une fois de plus, elle a du flair, car la sortie du VL1, un modèle duophonique introduit en 1993, fera date. Tout comme le VL1, les modèles qui suivrant (VL1-m et VL-7) seront de purs guides d’ondes, exploitant des drivers de types anches, cuivres et cordes. Le VP1, tout en étant onéreux, était également complexe dans sa manipulation. C'était un véritable instrument prototype qui a ouvert la voie à la modélisation physique, tout comme le fut en son temps le DX7 pour la synthèse FM.


Par PATRICK MARTIAL (12-2013)
(Source : Alain Mangenot - Modélisation physique et virtualité)


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