PÉDAGOGIE



LA CONCENTRATION EN MUSIQUE : DE L'EXERCICE AU CONCERT

Lors de l’exécution d’une œuvre, la concentration est primordiale. Reposant sur une pratique musicale consciente, elle vous assure un maximum d’efficacité. La pratique quotidienne d’exercices physiques et mentaux vous permettra de la consolider.


UN OBJECTIF : AUGMENTER SA CONCENTRATION

Les problèmes liés à la concentration n’attendent pas le nombre des années. Dans la cour de l’école, les jeux turbulents prennent places et agissent comme une soupape en éloignant durant quelques minutes toute l’attention liée aux cours qui ont précédés.

La concentration ne doit pas être confondue avec la pression, même si cette contrainte vient parfois s’y juxtaposer. Dès le plus jeune âge, les enfants connaissent cette difficulté-là, à l’école ou à l’extérieur de celle-ci. Les longues discussions sur l’aménagement des horaires scolaires démontrent parfaitement toute l’importance de la concentration. Fatigue, surmenage, stress sont souvent le résultat d’une mauvaise préparation intérieure.

La concentration se définit autour d’un même axe : réunir, rassembler, regrouper ses idées en focalisant son attention sur un seul objectif. La déconcentration est à l’inverse un relâchement de l’attention qui conduirait à commettre des erreurs… et comme l’erreur n’est généralement pas permise en musique, la concentration devient, de fait, un élément à ne surtout pas négliger.

Mais comment peut-on arriver à conduire, à contrôler notre concentration sur un seul objectif ?

S’il y a concentration et que la pensée fait corps avec le sujet, nous pourrions très bien imaginer que la concentration agirait comme les serres d’un aigle qui ne lâcherait plus sa proie. Cependant, cette « ambition », cette domestication de la pensée n’a pas lieu d’être, car une telle attitude se traduirait tôt ou tard par de la crispation, et la crispation ne permet pas à un musicien de se libérer intérieurement. Je rappelle que le but de la concentration est de détourner les pensées « indésirables » qui peuvent envahir notre esprit.

De toute évidence, la première des attitudes serait de pratiquer le lâcher-prise. Donner à son corps et à l’esprit un mouvement né de la sensibilité et savoir se détendre de façon à ressentir également un état spirituel, sont quelques-uns des bienfaits apportés par cette gymnastique douce. La pratique du lâcher-prise, basé sur des points d’ancrages, permet la création de phase de créativité lors des temps de repos. Notre cerveau a besoin de temps pour procéder correctement au traitement des informations qu’il reçoit. « Y voir plus clair » ouvre la porte vers l’acquisition de nouveaux espaces, espaces qui peuvent conduire parfois à des traits de génie.

Concernant ce sujet, je vous conseille d’acquérir l’ouvrage La maîtrise du lâcher-prise d'Herbert Wagner (Ed. Danglés). Très complet et parfaitement expliqué, ce livre propose de nombreux exercices gradués.

Obtenir la concentration ne se résume donc pas à de la volonté ou à une décision impérative qui y conduirait, mais à une sorte de bien-être, de relâchement ou régnerait un calme intérieur, celui du corps et de l’esprit. Que vous ayez une œuvre difficile ou facile à exécuter, il est important que votre stabilité intérieure demeure constante. Elle ne doit pas vaciller.

Le « cérémonial » du concertiste qui entre en scène lentement, en mesurant ses pas, participe à une « mise en scène » propice à conserver la concentration. C’est une gymnastique mentale, une façon de respirer librement que l'on peut acquérir à travers des exercices.

La concentration doit agir dans la durée. Un concert d’une heure ou plus est forcément entrecoupé de ruptures (passage d’un morceau à un autre, applaudissements…). Il faut, en quelque sorte, sortir de soi et entrer en soi très rapidement. Ces interruptions sont nécessaires, car le musicien doit avoir conscience de ses gestes et doit être à l’écoute de ce qu’il joue notes après notes. Cela est difficile, surtout quand on manque d’expérience, c’est même illusoire quand la nervosité, le tract vous envahissent et que le tempo s’emballe alors que votre pensée vous susurre que tout se déroule à merveille. Être en permanence au contact de soi-même ne s’improvise pas, cela s’éduque au quotidien.

Les exercices de concentration sont nombreux. Ils reposent sur trois éléments clés : le corps, la vision et le son.


LES EXERCICES CORPORELS

Petit, grand, menu ou enrobé, notre corps nous suit durant toute notre existence. Cette enveloppe charnelle qui est un fardeau pour les uns, devient le terrain d’une conquête, d’une domination pour les autres. L’image évolutive de notre corps, ses transformations liées à l’âge, le vieillissement inexorable des articulations, sa robustesse qui s’enfuit naturellement ne permettent pas toujours d’être en accord avec notre corps à tous les moments de notre existence. De plus, notre société carnivore condamne plus qu’elle ne valorise le corps (et l’esprit), d’où certaines attitudes et comportements compulsifs qui conduisent à tous les excès.

Le musicien est comme un sportif. Il doit être à l’écoute de son corps afin d’en déceler sa réactivité à la moindre des sensations. Avoir une perception valorisante de son corps et intégrer son image d’une façon positive vous pousse à regarder plus loin, à avoir plus d’assurance. Si la plupart des sports facilitent la concentration, ceux d’endurance sont à privilégier : marche, course à pied, cyclisme, natation… Ils facilitent la libération de l’esprit, mais sont certes insuffisant si l’on souhaite vraiment prendre conscience de son corps.

La pratique de disciplines parallèles comme le yoga, le qu gong ou le stretching sont beaucoup plus porteur dans ce qui nous préoccupe ici, c’est-à-dire la concentration liée au geste et à la respiration. On peut aussi inclure dans la liste le tai chi, une gymnastique chinoise dérivée des arts martiaux. Ses mouvements lents, basés sur une énergie contrôlée, procure un effet de relaxation comme le qu gong. Toutes ces gymnastiques favorisent l’attention. Elles lient le geste à la posture. Avec une pratique régulière, fixer sa pensée sur un même support devient plus aisée.


DES EXERCICES VISUELS À PRATIQUER

Les exercices qui suivent sont faciles à mettre en œuvre et ne demandent que de tout petits efforts.

1. Asseyez-vous confortablement et choisissez un objet quelconque qui se trouve face à vous. Fixez un détail et ne lâchez plus votre regard aussi longtemps que possible. Vous pouvez à loisir vous amuser à chronométrer vos progrès.

2. Un peu plus difficile, le second exercice repose sur la visualisation d’un objet qui se déplace très lentement. L’idéal est d’utiliser la trotteuse d’une montre ou d’un chronomètre. Le but est d’observer le déplacement de l’aiguille sans penser à autre chose. Là aussi, vous pouvez évaluer vos progrès : 30 secondes, 1 minute, peut-être plus…

3. Le troisième exercice fait appel à la mémoire visuelle. Asseyez-vous confortablement ou allongez-vous et, à la façon d’une personne qui rêve, fermez vos yeux et essayez de retrouver tous les détails qui caractérisent un objet qui vous est cher. Cela peut être aussi votre animal ou votre enfant qui joue. Ensuite, rendez l’exercice plus difficile en faisant appel à des couleurs et à des formes abstraites, comme si vous deviez peindre un tableau qui vous ressemble.


EXERCICES BASÉS SUR LA CONCENTRATION SONORE

C’est la partie la plus difficile car elle nécessite avant de l’aborder d’être totalement relâché, comme après une séance de relaxation.

Là, au lien de vous qui jouez, imaginez que vous assistiez à un concert. Mettez un morceau de musique que vous aimez en route… Allongez-vous, fermez les yeux et essayez d’écouter de bout en bout l'œuvre en fixant votre attention sur un seul instrument. Dans un premier temps, choisissez un instrument que vous percevez bien, puis, quand vous aurez un peu de pratique, essayez de déceler un instrument plus confidentiel à l’arrière-plan. Essayez de tenir le « contact » avec lui le plus longtemps possible. Allez-y crescendo, car cet exercice peut se révéler rapidement fatigant. Cela paraît simple, mais vous vous apercevrez qu’en réalité, c’est difficile !

Vous remarquerez certainement que par instants votre pensée s’éloigne et qu’elle va se loger sur des détails, des souvenirs de votre existence. C’est normal. À vous d’observer cette manifestation. La pratique régulière de cet exercice - une fois par jour, c’est généralement suffisant - doit éloigner peu à peu l’intrusion de ces « pensées extérieures ». Dans ce cas, c’est signe que vous êtes sur la bonne voie.

Le second exercice fait appel aux bruits ambiants. Vous les choisirez en fonction de votre environnement : bruit de nature ou bruit urbain. Cet exercice est un peu le même que le précédent. Votre attention doit se fixer sur un bruit constant, bien présent, et s’y tenir durablement – 1 minute, c’est déjà très bien – puis, progressivement, sans lâcher le bruit choisi, vous devrez essayer d’élargir votre champ d’écoute jusqu’à englober l’ensemble des sons présents. Ce n’est pas facile. La différence des sons ambiants par rapport à une musique, c’est qu’ils ne sont pas organisés et, qu’à tout moment, ils peuvent cesser, rebondir, disparaître pour renaître.

Dans le dernier exercice, vous allez partir à l’écoute de votre corps. Vous vous allongez dans un endroit très calme et, un peu à la façon d’une séance de relaxation qui consiste à ressentir les différentes parties de son corps au contact du sol, vous tentez d’écouter vos bruits intérieurs. Cette exploration peut, par exemple, s’attacher à percevoir les battements du flux sanguin, celui de votre respiration ou du sifflement de vos oreilles. En Yoga, cela s’appelle le Nada. Cette pratique est issue du Bouddhisme et de l’Hindouisme. Sachez qu’aller au-delà de ces trois exemples est possible, mais difficile.


LA CONCENTRATION EN CONCERT

Le but de ces exercices n’est pas de devenir un pratiquant assidu, bien que rien ne s’y oppose, mais d’arriver à libérer sa pensée d’un environnement perturbateur. Cela demande une discipline toute personnelle que chacun dosera en fonction du temps qu’il dispose et du handicap qu’il rencontre. Dans ce domaine, le Yoga a développé de nombreux exercices agrémentés de variations quasi infinies. (à titre d'exemple : Le guide Marabout du Yoga, par Julien Tondriau et Joseph Devondel, est très complet en proposant à travers 250 photos un programme actif du Yoga pour acquérir une santé meilleure et une véritable maîtrise de soi-même)

Lors d’un concert, la concentration visuelle et auditive est très importante. Si vous jouez dans un orchestre, votre concentration ne doit pas faire abstraction de la partition, de la musique que vous jouez, mais aussi de celle qui est produite par les autres membres de l’orchestre. Le danger est de vous oublier par l’attention exagérée que vous porterez à l’écoute globale de l’orchestre, par les bruits intempestifs du public - mais vous n’y pouvez rien -, où tout simplement en vous oubliant à cause d’une partition qui absorbe toute votre attention ; écueil qui peut être évité par la pratique de « l’appris par cœur ».

Des formes de déconcentration existent bel et bien et menacent le fruit de votre travail et de votre talent à tout instant. La focalisation de l'attention permet de s'en protéger. C'est un premier pas vers la libération intérieure, cet état conscient qui permet d’affronter des objectifs audacieux, sur scène, mais aussi dans la vie de tous les jours.

Par ELIAN JOUGLA


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