ANALYSE MUSICALE



PREMIÈRE GYMNOPÉDIE D'ERIK SATIE, ANALYSE DE L'ŒUVRE

Le compositeur et pianiste français Erik Satie est célèbre pour ses « Ogives » (1886), ses « Gnossiennes » (1890) et surtout ses « Gymnopedies » (1888). Admiré par Ravel et Debussy pour ses audaces harmoniques, l’artiste sera un original, voire un marginal, à une époque qui s'ouvre aux progrès sociaux et économiques de la « La Belle Epoque ».


LES "GYMNOPÉDIES" DANS LEUR CONTEXTE

Les "Gymnopédies" (1) coïncident avec la période dite « moderne », quand les compositeurs cherchaient à briser les codes harmoniques établis. Le plus étonnant sont leur source d’inspiration qui remonte à la Grèce antique. La reconnaissance tardive de la musique du Moyen-âge qui se ressourçait dans les modes anciens, conduira de nombreux compositeurs comme Debussy (2), Ravel, jusqu'aux musiciens de jazz, à reconsidérer leur pouvoir attractif.

Les trois "Gymnopédies" sont écrites en 3/4 et partagent un thème et une structure communes. Elles furent écrites à la fin du 19e siècle et sont considérées, malgré quelques excentricités, comme des œuvres de "musique d'ambiance" ou de "relaxation" au regard de la « tradition classique » d'alors.

À leur écoute, Erik Satie fait preuve d’une audace insoupçonnée tant ses harmonies sont déroutantes. Placé dans le contexte de l’époque, il est certain que ces suites d'accords, parfois décousues, ont dû provoquer et soulever quelques grimaces aux oreilles sensibles !


ERICK SATIE : PREMIÈRE GYMNOPÉDIE,
Klara Körmendi, piano.

LA « GYMNOPÉDIE N°1 » À LA LOUPE

En jetant un coup d’œil rapide sur la courte partition, avec ses blanches et ses noires accompagnées d’un rythme en trois temps, simple et lent, tout laisse à penser que la « Première Gymnopédie » est une pièce facile pour un pianiste débutant. Or, une fois les mains posées sur le piano, si le déchiffrage est relativement aisé - et ce malgré quelques accords dissonants qui peuvent surprendre des oreilles non éduquées -, on comprend vite que son interprétation l’est beaucoup moins.

En effet, la « Première Gymnopédie » révèle sa force en nous transportant rapidement dans son univers sonore imprégné de mysticisme. Or, cette emprise sonore ne doit pas conduire son interprète à un quelconque emportement, même minime. La « Première Gymnopédie » réclame en effet beaucoup de retenue. Il faut la jouer sans empressement. Chaque note, chaque accord, sont lourds de sens, peut-être plus qu’ailleurs.

Dans la partition, le rôle des deux mains est bien séparé. Chacune à sa place : la main droite pour la mélodie, la main gauche pour l’accompagnement. C’est extrêmement clair ! Toutefois, cette répartition des tâches très convenue n'efface aucunement ses aspects modernes qui éclatent dans chaque mesure. Ainsi, alors que le déroulement des accords semble trop complexe pour devenir harmonieux, c'est à la mélodie que revient la lourde tâche d'imprégner l'œuvre de sa couleur mystique.

Autre fait marquant : l’introduction. Celle-ci est composée d’un balancement sur deux accords de 7e majeure. Aujourd’hui très couru dans les "musiques commerciales" actuelles, cette alternance d'accords qui se répète était pour l’époque extrêmement oséz et novatrice. Trop simple sûrement ou trop évident, et surtout sans aucune résolution harmonique (cadence), les deux accords qui s’offrent aux oreilles sans avoir le devoir de se refermer à la mesure suivante, n’avaient jamais été transcrits sur du papier avec autant de détermination.

Cette audace-là, Erik Satie l’aura, et en fera même usage à l'occasion dans d'autres compositions. Cette « Première Gymnopédie », qui assiéra sa renommée, lui permettra de démontrer toute l’importance des modes anciens, le point d'orgue revenant sans nul doute à la fin, avec ses couleurs sonores imprévisibles portées par l'emploi « ecclésiastique » du mode dorien.

1 – Les gymnopédies étaient des célébrations annuelles qui voyaient de jeunes hommes nus montrer leurs aptitudes physiques à travers la danse (7e siècle avant notre ère).
2 - La première ainsi que la troisième gymnopédie ont été orchestrées par Claude Debussy en 1897.

Les quatre mesures d'introduction plongent tout de suite l'auditeur dans l'atmosphère particulière de la "Gymnopédie", elles-mêmes suivies de la première phrase mélodique construite sur ces mêmes accords.


LES CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES DE LA PREMIÈRE GYMNOPÉDIE

  • Caractère de l’œuvre : triste, nostalgique, mystérieux, une atmosphère qui est renforcée dès que l’on utilise la pédale forte.
  • Mesure : trois temps (3/4)
  • Nombre de parties : deux.
  • Nuances : piano, pianissimo.
  • Tempo : lent.
  • Tonalité principale : ré majeur.

Voir/Télécharger la partition 'Première Gymnopédie' (format PDF)


À PROPOS D’ERIK SATIE

© Sonia y natalia - Erik Satie

Alfred Eric Leslie Satie est né à Honfleur le 17 mai 1866 (mort à Paris le 1er juillet 1925). Le compositeur est reconnu comme l’inspirateur du Groupe des six, de l’École d’Arcueil, et comme fondateur du mouvement de « La Belle Epoque ». Dès sa première composition en 1884, il signe son nom en tant qu'Erik Satie.

Il devient rapidement une figure de l’avant-garde parisienne du début du 20e siècle. Son nom s’accompagnera de nombreux qualificatifs plus ou moins justifiés. S’il se disait volontiers « phonométricien » (celui qui écrit et mesure des sons), aujourd’hui beaucoup de spécialistes considèrent Erik Satie comme un précurseur dans le domaine du minimalisme et de la musique répétitive (3). Toutefois, de son vivant, le musicien sera qualifié de « technicien maladroit, mais subtil » dans un livre sur les compositeurs français contemporains publié en 1911.

Erik Satie ne s’est jamais considéré vraiment comme un musicien avec un grand « M », cependant, lassé d’être pris pour un amateur, il s’inscrira à la "Scola cantirum" afin de prendre des cours de contrepoint, ce qui lui permettra de finir avec application ses études.

Le compositeur distillait son art généralement à travers de courtes pièces aux titres parfois énigmatiques : « Jack in the Box » (1899), « Trois morceaux en forme de poire » (1903), « Embryons desséchés » (1913)… Le compositeur, qui était très mystique, appartiendra un temps à «  l’ordre de la Rose-Croix » dont il deviendra le maître de chapelle avant de fonder sa propre secte  : « l’Église métropolitaine d’Art et de Jésus-Conducteur », dont il sera l’unique membre.

Par nécessité, pour ne pas sombrer dans la misère, Erik Satie sera contraint de devenir pianiste de cabaret à Montmartre. Outre ce travail alimentaire, Erik Satie écrivit des articles pour de nombreux magazines tels "391" ou le magazine américain "Vanity Fair", signant parfois ses billets sous le nom de Virginie Lebeau et François de Paule.


Par ELIAN JOUGLA

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