PÉDAGOGIE



LE SOLFÈGE AVANT LE PIANO OU TRAVAILLER LES DEUX EN MÊME TEMPS ?

À la question : « Pourquoi est-il si important de suivre des cours de solfège avant toute pratique instrumentale ? » La réponse la plus directe serait de dire : « Pour se familiariser aux écritures de la musique, à ses codes et faciliter les premiers pas avec l'instrument. » En une phrase : « Être mieux préparé pour mieux affronter ! » Cette affirmation confirme-t-elle la règle ? Pas si sûr !


LE SOLFÈGE D’ABORD, UN BIEN ET UN MAL

De nos jours, malgré des réticences de la part de certains professeurs à pratiquer conjointement l’enseignement du solfège (déchiffrage) et de la technique (instrument), l’étude des instruments et du piano en particulier est devenue plus souple et accessible. Des enseignants pratiquent même le déchiffrage de partition sans passer par la case solfège. Dans ce cas, l’élève apprend de façon empirique, au fur et à mesure des difficultés rencontrées. Toutefois, comme vous allez le lire, l’utilisation de ces deux pratiques n’a pas que des points positifs. De plus, il n’a jamais été prouvé que ces formes d’apprentissage seraient réellement plus efficaces que d’autres.

Pratiquer solfège et instrument en même temps n’est qu’une réponse adaptée aux désirs actuels. En fait, si elle n’est pas « étudiée » au cas par cas, en fonction de l’âge, des capacités et des aptitudes, l’élève a une chance sur deux de voir son avenir dans la musique compromis. Dans les cours collectifs, les nombreux abandons qui surviennent dès la première année l'illustrent parfaitement.

La première remarque négative concernant le solfège et son contenu. Les cours sont pratiquement les mêmes pour tout le monde et tiennent rarement compte des limites techniques imposées par l’instrument (tessiture, polyphonie, harmonie, etc.) et des écritures qui en découlent. Je songe surtout à la lecture des différentes clés qui diffèrent d’un instrument à un autre. Sauf à vouloir conduire des arrangements et des orchestrations, apprendre toutes les clés n’est pas indispensable. Le pianiste, avec ses deux clés, a assez d’embûches pour ne pas lui en rajouter, et le violoniste, même s’il joue que sur quatre cordes, a suffisamment de soucis avec elles pour se satisfaire d'une clé unique.

La seconde remarque concerne l’éveil musical. C’est certainement dans ce domaine que l’assurance de bien commencer l'apprentissage d'un instrument se joue. Grâce à une sensibilisation aux sons et aux rythmes, l’élève augmente ses chances d’aborder plus sereinement l’instrument au moment où il lui faudra poser les doigts dessus. Malheureusement, l’éveil musical est non seulement sous-exploitée par les enseignants, mais en plus on imagine qu’il ne s’adresse qu’aux jeunes enfants. Or, rien n’est plus faux que cette idée-là ! Il n’y a pas d’âge pour pratiquer l’éveil musical, même à un âge avancé. Pour le professeur, il suffit d’adapter sa pédagogie en conséquence.

Ce constat se poursuit bien évidemment dans la plupart des ouvrages d’apprentissage qui intègrent des notions de solfège spécifiques visant à encourager le jeune public : découverte des premières notes, des premiers signes, etc. accompagnés de petits morceaux. Affirmer que l’apprentissage de la musique est trop centralisé sur l’âge n’est pas une révélation, tout au plus on constatera avec regret que les affinités relationnelles et naturelles avec l’instrument sont observées ensuite, et que seule la méthode voulue par l'enseignant prime dans bien des cas.

Dans certains pays européens comme l’Angleterre, l’Allemagne, le Danemark ou aux États-Unis, la question de la séparation solfège/instrument ne se pose plus depuis bien longtemps. Les rudiments des écritures sont conduits en même temps que le cours instrumental. L’éveil musical n’est pas arrêté pour autant et suit parallèlement les progrès de l’élève. La question de l’âge est un handicap secondaire. En France, sans être totalement écarté, le parcours d'une adulte débutant peut être difficile. Généralement plus attentif que l’enfant, mais avec le désir d’avoir une indépendance et une autonomie préservées, la meilleure solution pour l'adulte sera de trouver un équilibre satisfaisant entre ce qu’il a acquis par lui-même, en tant qu’autodidacte, et la poursuite de cours qui seront spécialement conçus pour lui permettre d’atteindre ses objectifs.


LE SOLFÈGE : DES CONNAISSANCES PUREMENT INTELLECTUELLES

Le plus grand tort du solfège est son côté obligatoire et la façon de l’intégrer au commencement des études. Face à des connaissances purement intellectuelles, l’envie, le désir meurt petit à petit et laisse souvent place à des questions sans réponses. Sans acte concret et relationnel avec l’instrument, ce qui donne sens au solfège perd de sa clarté jusqu’à devenir abstrait. Et, si de plus, il s’adresse à des enfants en bas âge (entre 4 et 6 ans) - qui commence juste à savoir écrire -, l’abandon a alors de bonnes raisons d’exister.

La plupart des manuels de solfège, même bien étudiés, ne peuvent éviter la comparaison avec les livres que l’enfant connaît déjà à travers l’école. C’est très ennuyeux, dira-t-il ! La théorie, séparée de son contexte – et même quand le professeur l’explique en jouant des exemples sur l’instrument – rend la matière obscure. Pour comprendre la portée du solfège, il faut l’appliquer en jouant. Alors, la moindre note, le moindre silence et le moindre rythme s'échappe du livre et le langage codé devient musique. La pensée, l’action et le résultat s’accordent enfin pour ne faire qu’un !

Les premiers contacts avec l’instrument sont très importants. Toutes proportions gardées, c’est comme un saut vers l’inconnu. Cela peut être émotionnellement très fort pour un jeune enfant, voire un adulte. Aussi, habituer la jeune personne ou celle plus âgée à toucher l’instrument d’abord par jeu peut se révéler gratifiant, surtout par la suite, quand il développera des mécanismes techniques plus élaborés (doigté, passage de pouce, position, etc.).

Quand l'enfant est contrarié ou réfractaire, les parents apprennent à leur tour les bases du solfège dans l’espoir de pouvoir l'aider. C’est souvent dans ces moments-là qu’ils prennent conscience que sans la pratique instrumentale, toutes ces règles alignées n’ont pas grand sens. Le seul avantage à entamer l’apprentissage de la musique par du solfège est ou serait de faciliter l’accessibilité à l’instrument (dans le cas où la pratique concernée réclame son usage). En effet, quand on connaît bien les bases théoriques (position des notes sur la portée, leurs valeurs, les différents signes, etc.), on peut plus facilement se concentrer sur les aspects purement techniques de l’instrument (doigté, position des mains, écartement des doigts, etc.). Au moment de jouer un morceau, écritures et technique instrumentale ne peuvent être séparées. Elles forment un tout, et c’est ce tout qui peut justifier, en cas de difficultés, une pratique du solfège séparée de l'instrument.


LE CAS DE l’AUTODIDACTE

Dans un cours traditionnel, qu’apprend-on ? Globalement, à savoir lire des notes. C’est-à-dire à les reconnaître sur la portée. Mais sait-on toujours se représenter le son d’une note dans sa tête ? Non ! L’enseignement devient dès lors fragmenté et séparé de son premier objectif : jouer de la musique.

C'est pourquoi, nous pouvons considérer la pratique d’un instrument par le solfège comme étant le chemin inverse du musicien autodidacte. En pratiquant l’instrument maladroitement où en ignorant les règles de l’art, l’autodidacte entreprend une relation complice et puissante avec l’instrument. Chaque geste produit son effet et tout résultat, bon ou mauvais, ne sera que la traduction d'un acquit. Cet ascendant sur des connaissances dont il ignore tout ou presque, peut être assimilé, dans le cas de la musique, à de la liberté, de l'autonomie. Chez certaines personnes, cette indépendance s’apparente même à une forme de libération intérieure ; une sensation qu’aucune théorie n’est en mesure d’apporter, mais que chaque musicien espère ressentir chaque fois qu’il joue sur son instrument.


LE SOLFÈGE DANS LES ÉCOLES ET CONSERVATOIRES

L’usage d’un solfège désolidarisé de la pratique instrumentale a déjà une lourde conséquence, celui de décourager un bon nombre d’élèves. D’autre part, face à des écoles et conservatoires surchargés de demande, un tel système permet d’éliminer rapidement les demandes hasardeuses. Trop élitistes et dirigistes, les écoles et conservatoires s’accommodent très bien de ces abandons de première et deuxième année. C’est comme une norme qui serait quelque part justifiée. Personne ne s’en étonne, même pas les parents… Toutefois, que diraient-ils si les réussites aux baccalauréats ne dépassaient pas les 50 % ?

Un enfant entrant dans une école de musique, peut-il échapper au solfège, intégré ou pas à l’instrument : non ! Même dans les écoles de jazz, l’apprentissage des écritures est souhaité. Tout « bon élève » débutant doit acquérir des connaissances théoriques de bases. Ce régime dure de trois à quatre semaines (dans le meilleur des cas) avant de pouvoir s’adonner à l’instrument. Enfin, si on additionne à ce tableau des récriminations le choix de l’instrument, pas toujours porté dans le cœur de l’enfant, mais par celui des parents (quand l’un des deux est musicien, cela peut même devenir une torture pour l’enfant concerné), alors on comprend mieux pourquoi l’apprentissage de la musique jouit encore en France, malgré tout l’abatage culturel et médiatique construit autour, d’une image si négative.

Le solfège n’est qu’un élément de la réponse. Il n’est pas responsable de tous les maux. Les bonnes solutions, on les cherche derrière les murs épais des écoles et conservatoires, parfois dans un silence de plomb. La remise en cause permanente de l’enseignement de la musique par les ministères concernés explique bien des choses. Aujourd’hui encore, il faut reconnaître que la nécessité de trouver des réponses qui tiennent compte de l’individu dans sa globalité restent insuffisantes.

La musique célébrée par le plus grand nombre s’écarte trop souvent du bon chemin. Les causes sont multiples. Économique déjà. Pour une école, trouver le jeune virtuose qui fera sa réputation garantira plus sûrement l’obtention de subventions. Mais ce n’est pas tout, car la question fondamentale demeure : comment enseigner la pratique d’un instrument au plus grand nombre sans devoir tout justifier ?

Certes, la plupart des professeurs actuels possèdent un diplôme d’État ou un certificat d’aptitude acquis par un établissement spécialisé. Ils sanctionnent une compétence technique sans aucun doute, mais le sont-ils tout autant pour ce qui concerne la pédagogie ?

La plupart des enseignants se contentent de transmettre leur savoir, un savoir reposant sur un héritage détenu depuis plusieurs générations, de quoi former une légion de musiciens fonctionnaires ! La seule évolution positive de ces dernières années se trouve dans la pratique du jeu collectif (ou classe d’ensemble) qui a pris place dans les écoles et conservatoires. Pour une fois, tout le monde semble d’accord pour enfin reconnaître que c’est en groupe que l’on obtient les meilleurs résultats, les meilleures bases ; que l’on apprend non pas à jouer « perso » mais collectif, en écoutant les autres tout en participant à une même aventure. N’est-ce pas d’abord ça, le plaisir de jouer de la musique ?

Par ELIAN JOUGLA

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LE SOLFÈGE, LE MAÎTRE-MOT DE L'ENSEIGNEMENT MUSICAL


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