LE SAVIEZ-VOUS ?



LE CHEF D’ORCHESTRE, UNE DIRECTION CONDUITE À LA BAGUETTE

Pour le commun des mortels, si le chef d’orchestre est un personnage certainement important et central à la bonne marche de la musique, si l'homme est érudit et expérimenté, sa charge et sa responsabilité au cœur de l’orchestre reste toutefois difficile à saisir. Un bref retour dans le passé va nous être utile pour comprendre les différentes raisons qui rendent sa présence indispensable...


Jean-Baptiste Lully par Chabert

UN CERTAIN JEAN-BAPTISTE LULLY

Le rôle tenu par les chefs d’orchestre classique actuels est assez récent, puisque avant le 17e siècle? c’était un musicien de l’orchestre - souvent le compositeur - qui en avait la charge. Il était là pour cadencer et imprimer les principales nuances de jeu. Cette tradition se diffusera dans toute l'Europe. Haendel à Londres, Hasse à Dresde, Scarlatti à Madrid ou Bach en Allemagne ne procèderont pas autrement.

Le premier contournement de cette règle immuable va arriver avec le français Jean-Baptiste Lully (1632–1687) qui sera le premier en France à diriger des musiciens en étant dégagé de toute obligation instrumentale. Cependant, contrairement à nos jours, Lully dirigeait en tournant le dos aux musiciens pour faire face au Roi. Il ne pouvait en être autrement. Une question de convention autant qu’une façon de démontrer que le dépositaire de l’œuvre n’était autre que celui qui dirigeait.

À l’époque où la musique classique baroque était omniprésente (approximativement du début du 17e siècle jusqu’au milieu du 18e), l’orchestre comprenait six, sept musiciens lors de petits concerts privés et un maximum de quinze à vingt membres lors de grandes représentations. Le chef d’orchestre Lully, toujours debout, avait pour principale mission de marquer le tempo, et pour cela il utilisait un long bâton fort lourd qui venait frapper le sol.

Ce moyen-là, certainement le moins discret de toute l’histoire de la direction d’orchestre, avait été remplacé en d'autres temps par des moyens moins bruyants comme le battement de pied (1) ou en utilisant un rouleau de papier tenu dans la main (désigné à l’époque sous le nom de « sol-fa » et qui sera à l’origine de notre « solfège ») (2).

1 - Dans l'Antiquité, l'existence du « batteur de mesure » est parfaitement attestée dans le théâtre grec, mais aussi à Rome où le chœur était dirigé en frappant le sol du pied avec une sandale de bois.
2 – Au 15e siècle, à la Chapelle Sixtine, on dirigeait déjà à l’aide du « sol-fa », une pratique qui avait vu le jour en raison de la complexité mélodique de la musique polyphonique.


LA DIRECTION D’ORCHESTRE EN SILENCE

C'est au 17e siècle que la direction d'orchestre va évoluer et se transformer dans des sens différents suivant l'orientation prise par la musique, et aboutir à une série de traditions divergentes suivant les régions et les types de musique. Ce qui était vrai pour la France, probablement en raison de l'importance que garda la danse dans l'opéra issu du ballet, ne l’était pas forcément pour nos pays voisins. Ainsi, en Italie, le passage de l'art polyphonique à la mélodie accompagnée et qui coïncide avec l'apparition de l'opéra élimine pratiquement le rôle du chef d'orchestre, celui-ci n’étant présent que face à des grandes formations vocales et instrumentales, c'est-à-dire dans la musique religieuse dirigée par le maître de chapelles.

Cependant, face à une musique dont la complexité allait croissante et les effectifs de l’orchestre également, la technique utilisée par le chef d’orchestre devait absolument évoluer. La disparition du bâton de frappe et des autres moyens de battements devaient conduire la direction d’orchestre à une gestuelle silencieuse. Au 19e siècle, durant la musique romantique, tout chef d’orchestre avait pour devoir d’exprimer sa volonté, ses désirs… mais en silence. Cette prise en main de l’orchestre allait impliquer une approche technique toute nouvelle…

Mendelssohn lui fait faire un premier pas décisif dans ses concerts du Gewandhaus, autour de 1840. Schumann y contribura à son tour. Mais c’est surtout Berlioz qui, en France, apportera les contours d’une technique plus dirigiste et exigeante afin de répondre à des œuvres éminemment plus riches, et logiquement plus ardues à jouer. La véritable notion de « chef d'orchestre », telle que nous l’entendons aujourd’hui, apparaissant sous l’impulsion de Richard Wagner. Ainsi, après les héroïques Paganini ou Liszt, la conception du chef d’orchestre rejoignait dans sa performance celui des grands virtuoses.


LA DIRECTION D’ORCHESTRE SOUS D’AUTRES LATITUDES

Il est évident que ce qui court dans la musique classique occidentale trouve sous d’autres latitudes des approches différentes, notamment dans les musiques traditionnelles non écrites. Il est intéressant alors de noter à qui cette autorité est conférée. « Dans la plupart des cultures, c'est au percussionniste : ce qui implique la prééminence de l'élément rythmique sur l'élément mélodique. Mais au Cambodge, par exemple, dans l'orchestre traditionnel (Pin Peat), la direction appartient au hautbois solo, donc à la mélodie : xylophones et percussions ne font que suivre. », précise le musicologue Philippe Beaussant, et de rajouter : « Dans d'autres cas, l'hésitation, voire le partage des deux autorités est plus caractéristique encore. Dans le Gamelan balinais, l'autorité est attribuée manifestement au percussionniste, qui impose et contrôle les innombrables changements de tempo caractéristiques de la musique balinaise. Pourtant, c'est le gangsa (xylophone mélodique) qui a seul l'initiative du départ, du tempo général, et partage avec le batteur l'autorité sur le reste de l'orchestre, d'une manière complexe et subtile, pourtant sans ambiguïté apparente. »


LE CHEF D’ORCHESTRE DU 20e SIÈCLE

Au cours du 20e siècle, l’apparition de nouveaux langages sonores et de codes d’écriture jusqu’alors absents de la littérature musicale poussent une nouvelle fois les caractéristiques de direction à changer, surtout lors des répétitions par une prise en main de l’orchestre beaucoup plus ouverte et personnelle. Pour expliquer et illustrer un passage et donner plus de poids à ses désirs, le chef d’orchestre évoque ses idées en parlant, chantant ou carrément en jouant le passage en question au piano. D’après Philippe Beaussant, la justification de la présence du chef d’orchestre s’expliquerait par « la difficulté de dénicher le fil mélodique dans une partition symphonique hérissée de notes, et de la faire ressortir par une formation orchestrale complexe… d'où, depuis un siècle et demi, l'importance prise par la présence et l'action du chef d'orchestre. »

Bien évidemment, lors du concert, la traditionnelle loi immuable du silence reprend ses droits. La leçon doit seulement avoir été bien apprise par les musiciens au moment critique (d’où l’importance du temps accordé aux répétitions). Dans l’exercice, seuls les mouvements de la baguette, accompagnés ou pas de ceux des bras, quelquefois du buste, avec de temps en temps un regard furtif sur un ou deux instrumentistes, doivent suffire à conduire parfaitement l’orchestre.

© pixabay.com - Le chef d'orchestre Heinrich Bender

Même s’il existe des codes dans le domaine de la direction, chaque chef d’orchestre conduit les musiciens avec son tempérament : fougueux ou réservé, nerveux ou posé. Fort heureusement, la musique classique contient suffisamment de repères et de nuances pour que celle-ci jouisse d’une multitude d’interprétations tout en s'adaptant à la personnalité de celui qui dirige. Philippe Beaussant : « Il serait injuste et absurde d'oublier le raffinement d'exécution et la profondeur de compréhension par lesquels les grands chefs du 20e siècle ont élevé la direction d'orchestre à la dignité d'un art vraiment nouveau et jusqu'alors presque insoupçonné. Et il faut se rappeler aussi que, de Mahler à Boulez, d'authentiques créateurs ont dit quelle source de fécondation leur art de chefs d'orchestre pouvait apporter à leurs compositions personnelles. »


QUELQUES CHEFS D’ORCHESTRE CÉLÈBRES DE MUSIQUE CLASSIQUE

En France, afin de répondre à son enseignement, une classe d’orchestre naît à Paris après la fin de la Première Guerre Mondiale. Des noms prestigieux vont se succéder : Paul Dukas, Vincent d’Indy, Charles Munch, entre autres. Toutefois, il faudra attendre la fin des années 40 pour qu’apparaissent les premières classes de direction d’orchestre, notamment en ayant recours à un orchestre d’étudiants dirigé par quelques chefs apprentis. « Le plus souvent, avant de devenir à leur tour chef d’orchestre, les apprentis sont dans l’ombre d’un grand maître auquel ils servent d’assistants, effectuant souvent à sa place les répétitions préliminaires. » (source : La musique pratique – Ed. Nathan).

De la même façon qu’il existe de brillants instrumentistes, l'histoire de la musique a révélé des chefs d’orchestre de premier plan. Citons :

  • Arturo Toscanini (1867-1957) : il dirigea au pied levé et de mémoire Aïda de Verdi lors d’un concert se déroulant à Rio en 1866.
  • Wilhem Furtängler (1886-1954) : chef d’orchestre qui œuvra durant tout le IIIe Reich, il deviendra un spécialiste de Beethoven et influencera, en grande partie, d’autres chefs d’orchestre dans le domaine du répertoire contemporain.
  • Bruno Walter (1876-1962) : il devient chef de l’Opéra de Munich après avoir fait ses classes avec Gustav Mahler et devenir un des grands spécialistes de son œuvre. Il fonde le festival de Salzbourg en 1920 qu’il dirigea jusqu’à ce que le régime nazi ne le force à quitter l’Allemagne. Une grande partie de sa carrière s’est déroulée aux États-Unis.
  • Charles Munch (1891-1968) : fondateur de l’orchestre de Paris en 1967, il possède un charisme étonnant. Charles Munch s’est surtout spécialisé dans la musique française du 19e et 20e siècle : Berlioz, Fauré, Debussy, Ravel.
  • Herbert von Karajan (1908-1989) : certainement le nom le plus célèbre. Karajan a tenu les hauts lieux de la musique. Citons : l’orchestre Philharmonique de Berlin (1937), celui de Londres (1948) ou encore en dirigeant le festival de Salzbourg (1956), la Société des amis de la musique à l’opéra de Vienne (1957) et l’orchestre de Paris (1969).
  • Charles Dutoit (1936-) : il est essentiellement connu pour avoir passé une grande partie de sa carrière à la tête de l’Orchestre symphonique de Montréal (1977 à 2002). Ce chef d’orchestre suisse aura pour guide Ernest Ansermet et une prédominance pour faire ressortir la musique impressionniste. Il reste influencé par Herbert von Karajan.

Par PATRICK MARTIAL

À CONSULTER

LE RÔLE DU CHEF D'ORCHESTRE ET SA GESTUELLE

L'ORCHESTRE CLASSIQUE, DISPOSITION ET ÉVOLUTION


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