HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



LE FENDER RHODES, HISTOIRE D'UN PIANO ÉLECTRIQUE AU CŒUR DU JAZZ

Lancé sans grande conviction au milieu des années 60, le piano électrique Fender Rhodes allait devenir un instrument de première importance quand des grandes figures du jazz moderne vont l’utiliser en adoptant un jeu taillé à son intention…


HERBIE HANCOCK ET LE FENDER RHODES

Comme le proclame Herbie Hancock sur la publicité ci-dessous :« le Rhodes a été une étape importante dans ma carrière ». On le croit bien volontiers.

Cette photo publicitaire des produits Rhodes date des années 80. Si le choix s’est porté sur Herbie Hancock, ce n’est certainement pas un hasard. Pour les plus jeunes d’entre vous, vous devez savoir que durant les années 70, le pianiste de jazz était devenu l’un des grands spécialistes du piano électrique. On peut même affirmer, sans trop se tromper, que cet instrument lui a permis d’orienter fort avantageusement sa carrière (ce petit pas de côté lui permettra de se lancer dans des disques commerciaux en s’entourant d’une multitude de claviers, notamment avec son groupe les Headhunters).

Durant cette période charnière, le Fender Rhodes est même parvenu à dominer chez le musicien l’instrument des débuts, le piano acoustique. Toutefois, un tel choix ne s’est pas produit sans soulever une avalanche de critiques et de scepticismes…

Au début des années 70, et contrairement à aujourd’hui, tout instrument qui n’était pas acoustique devait faire ses preuves. Si la guitare électrique et la basse électrique ont certainement eu la chance de profiter du raz de marée provoqué par l’arrivée du rock’n’roll, ce ne fut pas le cas du piano électrique qui resta longtemps un instrument sous-estimé. En 1958, le succès rencontré par le « What’d I Say » de Ray Charles utilisant un piano électrique Wurlitzer à lampes était resté anecdotique. Sur scène et dans les studios, le piano acoustique régnait encore en maître !

Quand Herbie Hancock se saisit du Fender Rhodes près de 10 ans plus tard, le musicien avait déjà fait ses classes chez le trompettiste Miles Davis. Ce dernier, avant de créer une nouvelle ligne directrice, le jazz-rock, imposa d’abord l’usage du piano électrique dans sa musique. Une première étape qui contraindra le jeune pianiste à satisfaire les exigences du maître (tout comme le fera plus tard un Keith Jarrett tout aussi résigné). Fort heureusement, grâce à son talent, le pianiste avait su démontrer – malgré un son et un toucher différent du piano acoustique - que l’usage de ce clavier pouvait prendre place dans une production discographique à l’égal de son homologue acoustique.

La grande chance pour le fabricant ‘Fender’ est d’avoir placé le Fender Rhodes au premier plan grâce à quelques ambassadeurs du jazz moderne : Herbie Hancock, mais aussi Chick Corea, Joe Zawinul, Ronnie Foster... des pianistes tournés vers l’avenir, et dont l’aptitude première est de transformer leur « jeu pianistique » en un groove conforme aux particularités des instruments qu’ils touchent.

En effet, celui qui aurait pu être qu’un instrument de substitution pour la scène, s’est progressivement révélé être un instrument de première importance. Le Fender Rhodes a été le départ d’une orientation musicale à grande échelle. Il permettra notamment aux différents synthétiseurs analogiques, Moog, Aks, etc. de prendre place à ses côtés dans de nombreuses productions discographiques.

Consulter : Les instruments électriques dans le jazz (source :Cadence Info)


CHICK COREA AND THE RETURN TO FOREVER : SPAIN (1972)

LE FENDER RHODES, ANALYSE D’UNE SITUATION

Son utilisation par de grandes figures du jazz a d’abord fait de l’ombre à l’orgue Hammond, avant de mettre en doute les « valeurs bibliques » rattachées au piano acoustique.

Pris par la curiosité, des musiciens élevés à l’école traditionnelle du piano tenteront de poser leurs doigts sur ce clavier d’un nouveau genre, mais beaucoup renonceront, comprenant très vite que transposer leur jeu habituel ne pouvait pas convenir. Outre une couleur sonore qui est loin de se marier avec certaines formules acoustiques, le Fender Rhodes possède une densité harmonique et une résonance (sustain) plus importantes que le piano acoustique. Théoriquement, cela oblige le pianiste à limiter son jeu, surtout quand la musique est riche harmoniquement (ce qui sous-entend un déploiement de notes important). Ainsi, en écoutant Herbie Hancock ou Chick Corea sur un Fender Rhodes, on remarque que l’utilisation de leur main gauche se limite au minimum en marquant ponctuellement les accords (un jeu stride est par exemple particulièrement exclu).

Le Fender Rhodes va surtout révéler au grand public une alchimie sonore toute nouvelle au sein des orchestres. Comme le sera le DX7 de Yamaha dans les années 80 en étant convié dans de multiples productions discographiques, le Fender Rhodes sera l’hôte des années 70«  un clavier productif à la sonorité tout de suite reconnaissable qui saura s’implanter durablement à travers de multiples formes d’expression musicale, y compris les chansons les plus populaires.

Non seulement, Herbie Hancock et Chick Corea signeront quelques titres incontournables sur un Fender Rhodes (l’exemple de « Spain » par Chick Corea est significatif), mais l’instrument fera d’autres adeptes. Ray Manzareck, des Doors, utilisera, en plus du classique 73 notes, le modèle Fender bass, un petit clavier de deux octaves et demi qui venait se substituer à la basse électrique. On peut l'entendre notamment dans le titre 'Riders on the Sorm'. Ensuite, nous avons Joe Zawinul qui, bien avant son aventure au sein de Weather Report, s’essaiera sur l’instrument dans le quintette du saxophoniste Cannonball Adderley avec succès. Citons également d’autres musiciens qui, à divers degrés, ont utilisé l’instrument : Stevie Wonder, Dave Grusin, Bob James, Radiohead et Erykah Badu.


JOE ZAWINUL : MERCY, MERCY, MERCY

Comme l’orgue, le clavinet et autres synthétiseurs analogiques, le Fender Rhodes s’éclipsera un temps face à l’échantillonnage avant de revenir en force grâce à la musique électro des années 2000. Le recours aux claviers originels, plutôt qu’aux modèles virtuels, est quelque part rassurant. En effet, cela démontre que ces instruments trop rapidement mis à l’écart - souvent pour des enjeux commerciaux - ne sont finalement pas si dépassés que ça, et qu’ils ont encore toute leur place dans les musiques actuelles. Au fond, pourquoi le piano acoustique serait-il le seul instrument à clavier à avoir droit à une vie éternelle ?

Par ELIAN JOUGLA


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