HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



L’ORGUE, DES ORIGINES AU PERFECTIONNEMENT

Malgré l'apparition d'instruments électromécaniques ou électroniques qui trônent dans les salles de concerts et parfois dans les églises, l'orgue à tuyaux reste tout de même l'instrument traditionnel par excellence, par sa majesté d'abord et par ses sonorités bien différentes des imitations qu’offrent la plupart des orgues électroniques.


DES ORIGINES INCERTAINES…

Il ne nous paraît pas inutile d’évoquer ici l'importance que la France a toujours eue dans l'histoire du « pape des instruments ». Il semble que l'origine de l'orgue, contrairement à ce qui a été dit et écrit, remonte beaucoup plus loin que ce que nous imaginons. Certes, il est très commode de faire sienne la théorie des historiens assurant que le premier orgue aurait été construit à Constantinople au 8e siècle et que l’Empereur byzantin Constantin V en fit réaliser un à l'intention du roi Pépin en 757. Or, l’organiste, musicologue et professeur de musique ancienne, Félix Clément, assurait avoir trouvé la description d'un orgue dans le ‘Douzième pythique de Pindare’.

Selon cet auteur, l'orgue remonterait bien avant dans le temps, peut-être à l'époque byzantine, gallo-romaine ou même latine, voire encore plus tôt. Le facteur d’instruments Jubal, par exemple, aurait pu en être l'inventeur, si l'on en croit les traductions de la Bible dans laquelle il est effectivement dit « qu'il inventa les cithares et les orgues ». Quoi qu'il en soit, l’orgue a subi nombre de transformations au cours des siècles.

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L’instrument fut d'abord hydraulique, une invention attribuée à Ctesibius, mécanicien d’Alexandrie, qui utilisa l'eau en guise de soufflerie. Nous n’avons guère de précisions à ce propos, encore que plusieurs textes du philologue Julius Poilux et de Malmesbury essaient d'éclairer un peu notre lanterne. D'autres historiens prétendent qu'il serait parfaitement possible qu'à la suite des travaux de l’ingénieur Ctesibius (3e siècle av. J.-C) on songea à utiliser la vapeur pour faire parler les tuyaux ! Vitruve, architecte romain du premier siècle avant notre ère, dans son ‘De Architectura’ décrit soigneusement l’orgue hydraulique, bien que rien ne laisse apparaître une éventuelle connaissance de l’utilisation de la vapeur.

C'est au troisième siècle, en tout cas, que la pression hydraulique laissera la place à la Pneumatique (1), constituée par d'énormes soufflets, actionnés alors par plusieurs hommes selon l'importance de l'instrument. Les premières grandes orgues, outre celles de Pépin le Bref, sont probablement celles construites par le prêtre vénitien Georges à l'intention de Louis le Débonnaire, à Aix-la-Chapelle, puis celles de Winchester (au milieu du 10e siècle), riche de quatre cents tuyaux et dont les soufflets — rapporte la petite histoire — nécessitaient soixante dix hommes pour être actionnés ! D’autres modèles aussi dantesques ont certainement existé, mais il est intéressant de noter que les historiens allemands font mention de gros instruments installés dans les églises d'Erfurt et de Magdeburg, dès ce même 10e siècle.

On doit remarquer, de toute façon, que le développement vocal en Occident — ainsi que l'écrit l’organiste et musicologue Norbert Dufourcq — coïncide avec l'extension de l'orgue. Des théoriciens du Moyen-Âge citent même plusieurs procédés permettant de construire différentes sortes d'orgues. En fait, ceux-ci revêtent trois aspects : celui du Portatif, celui du Positif (2), celui du Grand-Orgue ; les deux premiers étant essentiellement des instruments de chœur, encore que le Positif, par la suite, trouvera sa place avec le Grand-Orgue à la tribune (3).


LES PERFECTIONNEMENTS DE L’ORGUE À TUYAUX

Les perfectionnements apportés à l’orgue sont nombreux. Nous n’évoquerons ici que les principaux.

D'abord, la répartition des tuyaux en jeux. Entre le 11e et le 13e siècle, certains compteront déjà plusieurs rangs (dix, voire plus). Puis, l'apparition, vers la fin du 14e siècle, du pédalier « à chevilles » dit ‘Français’ (qui restera immuable dans notre pays jusqu'à la fin du 18e siècle) sera remplacé par celui dit « à marches », dû aux Allemands, à la fin du 18e siècle. Enfin, c’est à partir du 14e siècle que seront créés les principaux jeux d’anches. Notons, en outre, qu'à partir du 15e siècle, l'orgue est doté d'un second clavier manuel que la facture française (Normande) revendique et qui fait parler des tuyaux posés sur un sommier (4) à même le plancher de la tribune, au pied du grand buffet (5), et enfermés dans une élégante boiserie.

Par la suite, l'orgue donnera asile, dans son corps principal, à d'autres jeux répondant à des claviers supplémentaires. À l’heure actuelle, un orgue peut avoir de deux à six claviers manuels avec un nombre de touches sensiblement différent d’une époque à l’autre (du 15e au 20e siècle, le clavier passera de 25 à 61 notes, tandis que le pédalier s’élargira de 12 à 32 touches).

C'est au 16e siècle que les facteurs inventeront les jeux bouchés (6) et les premiers sommiers à registres et gravures (7). Le procédé de ces derniers sera, par la suite, abandonné au profil des sommiers à membranes, une aberration qui durera longtemps, jusqu'à un retour, relativement récent, aux gravures et registres coulissants.

Puis, au 17e siècle, apparaissent les flûtes et les gambes (8), ainsi que de nombreuses améliorations des mixtures. À cette époque se situe aussi la mode, fort heureusement passagère, des jeux accessoires, tels que Rossignols, Grelots, Tambours, Coucous et Lions rugissants !

À partir du 17e siècle, chaque pays possède un type d'orgue que l'on peut qualifier de national, et si les factures espagnoles, italiennes ou anglaises sont intéressantes, l'allemande paraît déjà la plus achevée en ce sens que les instruments ont, à peu de choses près, l'importance de ceux d'aujourd'hui.

La France n'est pas en reste, loin de là ! S'il est utile de retenir à l'étranger quelques grands facteurs de l'époque pré-17e — Chappington en Angleterre, Antegnati en ltalie, les Bus en Flandres — il est bon de signaler en France les Oudinhestre, les Nicolas Petit et les Jousseline.

Les facteurs, aussi bien français qu’étrangers, vont d'abord améliorer sensiblement la soufflerie, puis chercher à établir un équilibre total entre les claviers manuels et le pédalier, entre les familles de jeux ensuite, avec des proportions égales entre les Fonds (9), les Fournitures (10) et les Anches (11). Cette « réforme » indispensable donnera l'orgue classique qui va s'imposer jusqu'au Romantisme, soit 1840 à peu près.

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En France, c'est très certainement entre 1670 et 1680 que l'orgue atteint son âge adulte et il n'est pas présomptueux d'affirmer que notre facture soutient largement la concurrence étrangère à qui, d'ailleurs, elle a souvent servi de modèle, particulièrement en Allemagne qui, à partir de la seconde moitié du 18e siècle, adoptera plusieurs caractéristiques typiques d'instruments faits dans notre pays (dont, par exemple, l'adoption du système des commandes réversibles) ; le doublement de celles-ci aux pieds laissant toute liberté aux mains de l’exécutant, ce qui n'était pas du tout le cas avant en Allemagne.

Certes, les très grands organiers restent pour l'Allemagne, et peut-être pour toute I'Europe, les Compenius, Scherer et avant tout Arp Schnitger. Ces artistes sont, en effet, à l'origine des plus somptueux instruments. Leur tradition ne se relâchera pas quand on songe au nom illustre des Silbermann, dont le plus célèbre, Andrea, fonda sa manufacture en Alsace après avoir étudié l’art français pendant deux années consécutives à Paris, chez le facteur Thierry.

On doit à Silbermann quelques-uns des chefs-d'œuvre que possédait l'Alsace. Deux ont été merveilleusement préservés grâce à de pieux et sages relevages : l'un à Ebermünster — instrument sauve par Edmond Roethinger, fondateur d'une firme « se voulant suivre les traces des Silbermann » à Strasbourg —, l'autre à Marmoutier, restauré magistralement par deux facteurs français contemporains (tous deux d'ailleurs anciens ouvriers chez Roethinger). Alfred Kern et Ernest Mülheisen.

Si de nombreux orgues à tuyaux portent les caractéristiques du génie français, en fait, chaque pays avait donné à l’instrument un caractère particulier. L'Italie ignore, volontairement ou non, les jeux bouchés ; en France, la Tierce (12) occupe une place de choix, mais nos facteurs négligent un grand nombre de jeux de Fonds alors que les Allemands, bien au contraire, les multiplient considérablement, tout en délaissant quelque peu les Anches, contrairement aux Espagnols, par exemple, qui « cultivent » avec soin les Chamades (13).

Bref, les orgues à tuyaux sont dissemblables en bien des points. Un seul — encore que fort différent d'un pays à l’autre — leur est commun : le Plenum (14). Or, la merveille d'équilibre et de beauté est constituée par le Plenum français, qui est la réunion de tous les Principaux et des Bourdons (32, 16 et 8 pieds) pris comme fondamentaux, que l'on fait suivre de leurs octaves (4 et pieds) puis des Mixtures ou Mutations (15) en deux groupes de plusieurs rangs : Fournitures et Cymbales (16).

Par Michel Louvet
(source : Les orgues de France : Présence de la France dans l'histoire de l'orgue)


LEXIQUE


  • 1. Pneumatique : système permettant de transmettre les commandes de l'organiste aux soupapes qui commandent l'admission du vent dans les tuyaux sonores pour procurer le son. (Retour)

  • 2. Orgue positif : orgue de petite taille et transportable. Aujourd’hui, les facteurs le dotent parfois d'un petit pédalier (généralement accroché, c'est-à-dire en tirasse) et éventuellement d'un deuxième clavier. L’instrument ne compte normalement pas plus de cinq jeux. (Retour)

  • 3. Tribune : emplacement du grand orgue dans une église (habituellement au fond de la grande nef, au-dessus du portail principal). (Retour)

  • 4. Sommier : dispositif qui distribue l'air sous pression aux tuyaux sonores en fonction des touches actionnées et des registres sélectionnés par l'organiste. Selon l'importance et la disposition de l'instrument, il peut y avoir un seul ou plusieurs sommiers. (Retour)

  • 5. Grand buffet : la partie visible de l'orgue. Le grand buffet est la structure de menuiserie dans laquelle sont placés les tuyaux et les sommiers de l'orgue. Le buffet sert à cacher et à protéger l'intérieur de l'orgue, mais il fait aussi fonction de résonateur. (Retour)

  • 6. Jeu bouché : il désigne le Bourdon, un jeu d'orgue appartenant à la famille des jeux de fond. Il s'agit d'un jeu à bouche dont les tuyaux peuvent être construits en bois ou en étain. Sa particularité est d'être bouché à l'extrémité, c'est pourquoi on l'appelle parfois flûte bouchée. (Retour)

  • 7. Gravure : sommier à traction mécanique. Des soupapes, commandées par les touches du clavier, laissent passer l'air à volonté dans un espace allongé nommé Gravure. (Retour)

  • 8. Gambe : jeu dont le tuyau à bouche, ouvert, est de taille étroite. Sa sonorité rappelle plus ou moins celle d'un instrument à cordes frottées comme la viole de gambe ou le violoncelle. (Retour)

  • 9. Fonds : registration de l'orgue (de tradition française) qui regroupe les jeux dits de fonds : principaux, bourdons et flûtes de 16, 8 et 4 pieds. (Retour)

  • 10. Fourniture : jeu d’orgue qui fait partie du plein-jeu. Il est composé de 3 à 10 tuyaux par note appelés « rang » (fourniture 4 rangs). Son but est de « fournir » en harmoniques la sonorité des jeux de fond. (Retour)

  • 11. Anches : ensemble de jeux où chaque son est produit par une anche. Le tuyau sert d’élément résonateur. (Retour)

  • 12. Tierce : jeu de mutation de la famille des flûtes. Sa particularité est de procurer une couleur sonore proche du cornet. La tierce donne l’harmonique 5 du 8 pieds (tierce de 1’3/5) mais aussi l’harmonique 5 du 16 pieds (grosse tierce de 3’1/5). (Retour)

  • 13. Chamades : jeux d’Anches installés horizontalement afin d'augmenter l'éclat sonore. Leur utilisation, principalement en Espagne, remonte au 17e siècle. (Retour)

  • 14. Plenum : ensemble des fonds et des mixtures, utilisé pour le contrepoint et la polyphonie. Il existe traditionnellement deux types de Plenum : le Plenum de 8 et le Plenum de 16. (Retour)

  • 15. Mutation : ensemble des jeux à bouche qui sont accordés sur des hauteurs harmoniques, donc en rapport de quintes, de tierces, etc. On distingue les mutations simples qui ne comportent qu’une seule rangée de tuyaux (tierce, nasard, larigot…) et les mutations composées qui sont un assemblage de plusieurs rangs inséparables qui parlent ensemble sur une même touche (cornet, sesquialtera, aliquote). (Retour)

  • 16. Cymbale : mixture qui, avec son complément, la fourniture, compose le plein-jeu de l'orgue classique français. La Cymbale est plus aiguë que la fourniture qu’elle complète en harmoniques et masque ses reprises. (Retour)

À CONSULTER

L’ORGUE À TUYAUX ET SON HISTOIRE : CE QU'IL FAUT RETENIR

L'ORGUEÀ TUYAUX ET SON PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT


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