ANALYSE MUSICALE : LA MUSIQUE DE FILMS



COMPOSITEUR ET METTEUR EN SCÈNE


MUSIQUE ET CINÉMA… UN DIALOGUE PARTAGÉ MAIS DIFFICILE

Depuis les années 1960, le cinéma "commercial" procède beaucoup plus par effet d'annonce que par désir de créer et de faire exister un réel univers. La crise de la musique dans le cinéma des années 70 et celle des scénarios y a contribué. Devant l'abandon d'un certain cinéma romanesque (dans le sens littéral du terme), le public s'est tourné vers un cinéma dans lequel les effets et le quotidien des petites mœurs font la loi.

Les auteurs sont assujettis à un cinéma fonctionnel qui ne peut concevoir des projets à long terme… cinéma qui est très souvent prisonnier d'une séduction sans mémoire, de production de films que l'on oublie une fois visionnés.

Premier maillon de la construction d'un projet cinématographique, le scénariste et le dialoguiste ont une liberté d'expression qui n'altère en rien la construction et le déroulement du film ; la musique par contre, arrive généralement en bout de chaîne, quand tout est joué, quand tout est mis en boîte en quelque sorte… elle se situe d'emblée comme étant un produit sous influence. Dans sa technique comme dans sa thématique, la musique trouve de plus en plus sa force expressive dans un patrimoine préexistant. Elle connote des situations déjà investies par un a priori du spectateur. Elle intervient au niveau de la perception du cinéphile comme une surenchère, témoin du manque de sérénité des scénaristes vis-à-vis de la scène qu'il propose. Pendant la projection d'un film, le spectateur globalise ce qu'il perçoit, absorbé par le déroulement du film, il ne décode pas nécessairement les nuances voulues par le réalisateur, les techniciens ou le musicien, il ne retient que ce qu'il y a de directement signifiant.

On suit l'idée que la meilleure musique de films est celle que l'on n'entend pas, voire que l'on oublie. Or rien n'est plus faux, car cette dernière n'a pas été instaurée pour ne pas exister, s'effacer devant un schéma narratif audio-visuel, mais doit au contraire conforter le côté multidimensionnel du septième art, tout en restant indépendante. Le compositeur, par sa prestation, rythme la lecture du film, mais il est en même temps bridé par les exigences du montage, par le résultat final qui lui échappe quand le film est terminé.

Trop souvent la musique de films répond à un inventaire des diverses situations dramatiques ou comiques. Les compositeurs puisent leurs inspirations dans une habitude d'écoute souvent héritée du cinéma muet et utilisent encore aujourd'hui par réflexe ou par obligation des musiques quasi préexistantes. Si la mémoire musicale du cinéma est par culture et nécessité pratiquement obligée de se rapprocher de la réalité, les metteurs en scène, à la différence des musiciens, sont arrivés à créer une esthétique indépendante et personnelle, mais sans toutefois maîtriser l'exacte portée et influence de la musique sur leurs films.

Pendant toute son histoire, la musique a toujours été considérée comme autonome, comme devant se suffire à elle-même. Elle participe à la vie, sans pour autant avoir une influence directe sur son évolution. L'arrivée du cinéma au siècle dernier a impliqué la musique dans un contexte de complémentarité. Par sa présence au cinéma, mais aussi à la radio, au théâtre ou à la télévision, la musique cohabite dans une esthétique subtile, faite d'idées et de technique, obligeant les musiciens à revoir l'art et la manière de composer de la musique.


LA MUSIQUE DE FILMS OU L'ART D'ÊTRE SOUS INFLUENCES

La plupart des compositeurs quand ils visionnent un film pensent d'abord à l'effectif avant de penser à la thématique. Des compositeurs comme Duhamel, Jarre, Delerue ou Jansen, après une vision de "rushes" se demandent s'il y aura un piano, des percussions, un solo de cuivre, etc, alors que c'était tout à fait différent chez les compositeurs de la génération précédente.

Les musiques de films qui marquent sont souvent celles où l'originalité de l'effectif instrumental s'impose. Cela signifie que le succès de bonnes musiques de films, comme par exemple celles d'Ennio Morricone ou de Nino Rota, repose là-dessus, sur une espèce d'absolutisme instrumental qui les distinguent des autres. L'utilisation de combinaisons instrumentales inattendues donne une couleur absolument inimitable aux films de Fellini et aux westerns spaghettis de Sergio Léone ; une espèce d'osmose obtenue par des moyens purement instrumentaux.

Les musiciens cinéphiles savent que leur travail va s'intégrer à un monde de son déjà élaboré. Ils doivent se soucier des dialogues, des éléments naturels ou des bruits d'ambiance, de la couleur générale du film. On n'écrit pas dans la même tonalité suivant les acteurs, ce qui détermine un certain parti pris musical (ex : Le rapace sur une musique de François de Roubaix pour Lino Ventura).

Un autre exemple avec Pierre Jansen, qui a composé de nombreuses bandes sonores pour Claude Chabrol, demandant dans les minutages qu'il lui soit précisé très clairement à quel endroit et sur quelles phrases des dialogues va se glisser sa musique. Par cette approche, il intègre totalement dans sa partition le dialogue existant du film, pour réaliser une tentative d'osmose (Le boucher).

En France, dans la plupart des cas, la musique de film se traduit en une mise de fond minimale et le désir avoué ou caché de pouvoir rentabiliser la musique hors du film (thème à succès, chansons tubes). Les conséquences d'une telle attitude : concessions à la mode, bandes musicales interchangeables, "hantise" du non-commercial (comprendre : musique contemporaine) et de l'esprit de recherche converge vers un risque d'appauvrissement généralisé, car en France ce n'est pas toujours le producteur qui règle l'addition, mais bien souvent les éditeurs de musique qui sont obligés par rentabilité financière de réduire le budget de la musique dans des proportions souvent intolérables pour le compositeur.

Par ELIAN JOUGLA

SUITE : COMPOSER POUR LE CINÉMA

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