TECHNIQUE ET MAO



L’ORGUE ÉLECTRONIQUE, UN INSTRUMENT NOVATEUR ET PRÉCURSEUR

Avant l’arrivée des pianos numériques, il y avait l’orgue électronique. Nous sommes dans les années 70 et l’instrument est alors très coté chez les musiciens amateurs. À cette époque, le plus petit des orgues électroniques est en mesure d’apporter beaucoup de satisfactions et d’émotions musicales. Le musicien n’avait pas nécessairement besoin de posséder une culture musicale approfondie pour se faire plaisir. Il lui suffisait de s’asseoir face au(x) clavier(s), de suivre une méthode ou son inspiration, et de lancer quelques fonctions automatisées pour faire jaillir sous ses doigts tout un orchestre…


L’ORGUE ÉLECTRONIQUE AUX AVANT-POSTES

Tout comme aujourd’hui, aux yeux d’un organiste amateur, l’essentiel n’était pas de se prendre pour Charles Tournemire ou Pierre Cochereau mais de se sentir bien au contact de l’instrument pour s'y délasser après le travail. Une sorte de récréation musicale était née, une nouvelle attitude - très décriée à ce moment-là - qui devait s’accorder aux principes d’une musique vécue modestement, sans prétention. Bien évidemment, rien n’empêchait d’approfondir les connaissances de l’instrument, mais l’orgue électronique avec ses automatismes avait inventé un autre rapport dans la façon d’apprendre et de travailler la musique.

D’une certaine manière, en prenant de la distance vis-à-vis du piano et de ses exigences, l’orgue électronique avait su démontrer que la musique n’était pas nécessairement construite autour d’exercices et de théorie, mais dans un rapport ludique où seul comptait l’immédiateté du résultat. Pour la première fois, un instrument électronique autorisait des interprétations très flatteuses en jouant humblement. Un vieux rêve venait de s’accomplir.

© pixabay.com - Orgue électronique Wurlitzer équipé d'un synthétiseur monophonique

En devançant le synthétiseur, considéré encore comme un instrument trop complexe pour avoir droit à une certaine légitimité, l’orgue électronique a préfiguré l’avènement du piano numérique en rendant le musicien autonome. Sa réussite commerciale est surtout due à l’implantation de nouvelles fonctions : la présence d’une variété de timbres rapidement accessible (boutons poussoirs), des effets polyphoniques (vibrato, trémolo), des automatismes (basse, accords), mais aussi en raison de plusieurs autres avancés technologiques que la suite de cette page va détailler.


PORTRAIT D'UN ORGANISTE TYPE

Le goût vient souvent du mariage des études musicales avec l’attirance pour l'instrument. L’amoureux de l’orgue électronique est un grand consommateur de partitions, de variété essentiellement. Son obsession : confronter inlassablement sa technique en vue d’obtenir la meilleure interprétation. C’est aussi un chercheur qui manipule une multitude de registres et d’effets spéciaux, toujours à la recherche de la registration idéale. L’orgue est pour lui un instrument de musique et un moyen culturel d’utiliser son temps libre.

Sauf à avoir suivi des études musicales et pianistiques, l’organiste (amateur) aborde bien fréquemment l'instrument à la façon d'un autodidacte. Dans ce cas, jouer d’instinct est primordial, puisqu'il n’a ni le temps ni parfois la volonté de suivre des cours d’initiation. À cela, il préfère siffler un air connu pour le reproduire sur l’orgue. Toute son attention est alors portée sur les fonctions automatiques et leur mise en place qui doivent rimer avec facilité d’exécution, allant jusqu’à réclamer de l’instrument qu’il soit en mesure de déclencher une orchestration d’une grande richesse avec un minimum de technique à la main gauche.

Les orgues à deux claviers de quatre octaves connaissent sa faveur. L’orgue doit surtout permettre des combinaisons sonores très nombreuses. Lors d’une interprétation d’une chanson, il peut passer d’un son de piano à celui d’une guitare jusqu’à un son de flûte si le cœur lui en dit. C’est un musicien qui aime entreprendre librement. L’ajout d’effets spéciaux comme la Leslie, le vibrato ou le phasing sont aussi des éléments qui peuvent déterminer sa façon de jouer.

CLAVIERS ET PÉDALIER

Un orgue électronique est généralement constitué d’un ou deux claviers et d’un pédalier. Dans le modèle à deux claviers, nous avons un clavier inférieur réservé à l’accompagnement et un clavier supérieur destiné à l’exposition de la mélodie. L’avantage de cette formule est d’avoir un timbre différent sur les deux claviers. De plus, le niveau sonore de chaque clavier peut être ajusté. Le clavier inférieur destiné à l’accompagnement et sur lequel on joue des accords plaqués sera réglé à un niveau moins intense pour faire ressortir la mélodie.

Le pédalier, d'une étendue habituelle d'une octave et demie à deux octaves, joue le rôle de la basse et vient accompagner le jeu des accords de la main gauche. Par nature, la ligne de basse est monophonique tout en précisant que sa hauteur est à l’octave au-dessous de la note la plus basse du clavier d’accompagnement (2)

2 - Si par mégarde on appuie sur deux pédales en même temps, les contacts s’établissent pour qu'une seule note soit émise (la note la plus haute ou la plus basse selon le câblage) avant d'être dirigée vers l’amplificateur.


FLORIENT HUTTER : TICO TICO
Un exemple illustrant parfaitement le jeu sur un orgue électronique (modèler Wersi)

LA RECHERCHE DE L’ACCORD PARFAIT

Les plus anciens orgues électroniques disposent de 12 générateurs, un par note et note altérée, mais dans les modèles les plus sophistiqués le nombre des oscillateurs peuvent être multiplié pour atteindre le nombre de 120. On peut alors imaginer les difficultés de réglage, en particulier quand l’orgue devait participer à un concert. Dans un tel cas, l’accord de l’instrument devait être exempt de tout reproche. Généralement, les orgues électroniques construits en grande série dans les années 70 feront appel à un oscillateur dédié pour régler le problème de la stabilité de l’accord. Comme sur les synthétiseurs analogiques d’alors, le musicien avait toujours la possibilité de régler le « tuning » à l’arrière de l’instrument en utilisant un tournevis.

LE VIBRATO

Le vibrato est un effet qui produit une modulation en fréquence du son et ne doit pas être confondu avec le trémolo qui provoque une modulation en amplitude. Le vibrato sera l’effet le plus couru sur les premiers orgues électroniques et l’un des rares à accompagner l’indispensable réverbération. Même sur les modèles bas de gamme, l'effet sera présent. Celui-ci peut être retardé ; la modulation de la fréquence n’apparaissant alors qu’après un certain temps après l’enfoncement des touches.

ASPECTS TECHNIQUES DE L’ORGUE ÉLECTRONIQUE

Les orgues électroniques (1) forment une grande famille d’instruments qui va du modèle mono clavier à quatre octaves destiné aux enfants jusqu’aux gros modèles à double ou triple clavier pour ceux ou celles qui souhaitent retrouver l’émotion sonore des grandes orgues. Toutefois, un orgue qui ne donnerait que des sons « classiques » manquerait peut-être d’intérêt. Dans les années 70, les constructeurs avaient déjà anticipé la question, sachant que ce genre de matériel s’adressait tout particulièrement à un vaste public pas toujours orienté vers la « grande musique ».

Si l’orgue Hammond avait ouvert la voie dès les années 40/50 dans le domaine du jazz, celui-ci était plus particulièrement réservé aux musiciens professionnels. L’orgue électronique devait en conséquence proposer un dispositif autrement attractif, quitte à fabriquer des orgues aux maniements parfois complexes. La mise en place de dispositifs spectaculaires comme l’accompagnement automatisé a participé sans aucun doute à sa réussite commerciale.

Les orgues « bas de gamme », les moins chers, sont monophoniques et reposent sur le même principe de fonctionnement que les ondes d’un synthétiseur analogique : un oscillateur délivre une tension à fréquence musicale et le clavier (touches) commute une valeur déterminant la hauteur de la note (le générateur est accordé sur la hauteur de la note à jouer). Le timbre des notes est donné par la forme du signal : plus le signal est carré, et plus le timbre sera riche en harmonique. Ensuite, en montant dans la gamme des orgues électroniques, ceux polyphoniques à un clavier, nous avons une série de générateurs de sons qui fonctionnent tous en même temps et non à l’appel d’une touche comme dans le cas précédent.

Ces signaux qui sont générés électroniquement n’ont pas toujours la forme qui convient à leur timbre ; on les fait alors passer dans un ensemble de circuits correcteurs qui agissent par filtrage. Dans ce cas, des circuits à résistance et condensateurs et, parfois à inductances, changent le contenu harmonique de départ, triangulaire ou rectangulaire, suivant le rang des harmoniques désirés (un signal triangulaire possède des harmoniques pairs alors que le signal rectangulaire est composé d’harmoniques impairs).

Le filtrage a pour effet de modifier le timbre. Si ce type de synthèse n’est pas parfait, il a le mérite d’être économique. Le circuit utilisé travaille sur toute l’étendue du clavier, avec parfois deux filtres, un pour chaque moitié.

Le fait d’appuyer sur une touche aiguille vers la sortie plusieurs sons : un fondamental suivi d’un cortège d’harmoniques. La proportion d’harmoniques est ajustée une fois pour toutes dans la boîte de sélection de timbre. L’action du mélange des harmoniques est en général compliquée par l’intervention de filtres plus ou moins sélectifs.

Avec ce type d’orgue électronique, le musicien est à même de doser le contenu harmonique. Une tirette dosera par exemple le 16 pieds, la suivante le 8, la troisième le 4 et la quatrième le 2. On peut ainsi ajouter sur des orgues élaborés des quintes ou des tierces.

Contrairement à l’enveloppe ADSR d’un synthétiseur avec laquelle on peut modifier l’attaque du son comme sa durée et sa chute, le signal apparaît brusquement sur un orgue. Dès que la touche est enfoncée le son naît avec son intensité finale et cesse brutalement dès que la touche est relâchée. Aucun instrument acoustique ne correspond à ce mode d'attaque et d'extinction du son. Pour modifier ce toucher très direct et insensible à la dynamique, une pédale dite d’expression est présente. Son rôle est de moduler le niveau de sortie. Pour l’organiste, une coordination entre le toucher et le jeu au pied droit devient dès lors nécessaire.

Dans l’orgue à synthèse harmonique, il existe plusieurs principes de commutation des harmoniques. Le plus simple est de faire appel à une commutation électronique : un contact se fait par touche, les autres se font électroniquement ; le fondamental et ses harmoniques sont alors commutés simultanément, à quelques microsecondes près.

Plus subtile est la formule qui consiste à assurer cette commutation par plusieurs contacts ; on bénéficie ainsi d’une certaine irrégularité qui se traduit par un jeu plus réaliste, reflétant les inévitables imperfections d’un instrument réel construit à l’unité. Cependant, le retard entre les différentes commutations est là aussi très faible et se chiffre en millisecondes. Précisions que cet écart est aussi fonction de la « vitesse de frappe » qui, étant irrégulière, confère à l’organiste un rôle un peu plus important.

Les orgues les plus complets comprennent, en plus des jeux calqués sur les instruments à vent, des touches qui permettent de choisir des effets d'attaque et d'extinction de la note. Il faut également citer l'effet de percussion qui provoque une très forte augmentation de l'amplitude du son lorsqu'on appuie la touche.

1 - Certains modèles dits électriques et parfois, à tort, électroniques, ne sont en fait que des appareils dotés d’une soufflerie. Un ventilateur (ou compresseur) envoie de l’air que des soupapes laissent passer dans des anches ; le principe est identique à celui de l’harmonium avec, évidemment, des possibilités de timbre limitées.

Par E. Lemery


À PROPOS D'ÉTIENNE LEMERY

Diplômé de l’ENSEA, Étienne Lemery a notamment travaillé pour la revue spécialisée en électronique ‘Le Haut-Parleur’ avant de participer à ‘Sono’ dans les années 70’, magazine de vulgarisation pour lequel il réalisa de nombreux tests et bancs d’essai concernant le matériel de sonorisation et les instruments de musique électroniques. Au fil de sa carrière, Lemery a accumulé une somme d’expérience en suivant l’évaluation technologique du matériel, créant au passage certains outils nécessaires à l'élaboration des tests (mesures).

EN CONCLUSION

L’intérêt de l’orgue électronique a été d’ouvrir l’interprétation de la musique à de nouvelles possibilités d’organisation sonores jusqu’alors inédites. Grâce à l’automatisme de la ligne de basse épousant les accords joués à la main gauche, l’organiste débutant pouvait se passer du pédalier. Mais ce que l’on retient surtout, c’est la présence de la boîte à rythmes avec ses rythmes de danse programmés. Toujours dociles, immuablement cadrée, corrigeant toute seule les fautes de mises en place, la BAR est restée indissociable de ce genre de matériel au point qu’elle sera reconduite très naturellement sur les premiers pianos numériques. Signalons aussi que l’orgue électronique a également favorisé l’enseignement de masse (écoles Yamaha) et la production de nombreuses méthodes, dont l’une des plus célèbres sera celle des orgues Bontempi et son apprentissage numéroté.

LES MARQUES LEADERS

Baldwin (USA), Bontempi (Italie), Crumar (Italie), Elgam (Italie), Elka (Italie), Eminent (Hollande), Farfisa (Italie), Gem (Italie), Hammond (USA), Jen (Italie), Kawai (Japon), Logan (Italie), Lowrey (USA), Mark (Hollande), Orla (Italie), Siel (Italie), Viscount (Italie), Welson (Italie), Wersi (Allemagne), Yamaha (Japon)

Piano Web (11/2019)

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