PÉDAGOGIE



APPRENDRE LE PIANO PAR IMITATION ET OBSERVATION

Dans les années 70, en tant qu’enseignant, j’ai croisé sur ma route des pianistes autodidactes désireux de faire évoluer leurs connaissances sans passer par la case « partition ». Leur souhait : me voir jouer et imiter ma façon de déplacer mes mains, d’utiliser un autre doigté que le leur, de reproduire un rythme, etc. Existe-t-il quelques avantages à suivre une telle conception pédagogique ? Hier refoulée parce que non académique, cette manière d'aborder le piano trouve aujourd’hui un certain écho sur Internet…


OBSERVER, COMPRENDRE ET IMITER

Lire correctement une partition est pour certaines personnes un cap difficile à franchir. La partition est souvent redoutée parce qu’elle sollicite des connaissances théoriques et des contraintes techniques dont le résultat est parfois aléatoire, surtout quand on apprend seul.

Pour contourner la difficulté, imiter les gestes du professeur semble, à première vue, être une attitude habile pour intégrer par exemple un rythme ou une indépendance rythmique en la répétant plusieurs fois à la suite. À la base, un tel procédé semble naturel puisqu’il reprend d’une certaine manière le mode de communication oral des grands maîtres d’autrefois quand les symboles musicaux n’existait pas encore. Il est donc très ancien et n’a rien de nouveau. Il y a peu, chez les Indiens (Inde), la transmission orale permettait à de jeunes élèves d’acquérir un niveau de maîtrise rythmique et d’indépendance très avancé (la musique indienne est, du point de vue rythmique, l’une des plus complexes)

Cette acquésition des rythmes et des indépendances ouvrent plus facilement la voie à de l’improvisation, même si le but recherché n’est pas spécialement celui-là. Grâce à une pratique réalisée par étape et mettant en œuvre un grand nombre de « traits rythmiques » joués en boucle, il est possible d’exécuter des figures et des indépendances d’une grande finesse et dépassant de loin son propre niveau de lecture.


FACE À LA PARTITION

Jusqu’à là, intégrer un rythme par l’observation et l’imitation est déjà une étape importante. Assimiler des mécanismes de jeu, des interactions physiques droite et gauche, sans se soucier du résultat de leur transcription sur le papier, donc sans prendre conscience de leur complexité, est certainement un avantage : le musicien reproduit un rythme, un élément essentiel de la musique, mais sans se soucier du contenu. À cet instant, l’idée serait de poursuivre sur la même voie, sauf que la difficulté se corse dès que la mélodie et l’harmonie interviennent.

Face à une partition, même courte et simple, l’élève doit être en mesure d’incorporer les différents éléments au même moment. Or, en toute logique, il est très difficile de traiter la mélodie, l’harmonie et le rythme séparément pour ensuite les superposer sans faire intervenir la moindre notion d’écriture, c'est-à-dire en se basant uniquement sur ses propres capacités mémorielles (d'autant qu'avec le temps des détails disparaîtront). Alors où est la solution ?

Le travail par imitation implique un choix de morceaux précis. Dans le cas contraire, ce qui est censé développer les facultés artistiques et libérer les énergies se retournera vers la personne avec un sentiment de frustration qui l’éloignera à tout jamais des écritures.

La démarche consiste à s’approprier une œuvre conçue comme une suite de plans sonores (à la façon d’un gimmick) qui s’enchaîne, et dont la variété de jeu et leurs effets facilitent une mémorisation rapide, appuyé si nécessaire d’un minimum de connaissances théoriques.

Une telle approche pianistique est utile pour dédramatiser la pratique des écritures. Toutefois, elle ne doit pas devenir une habitude donnant l’impression que face à la moindre des musiques écrites, tout ne serait qu’une suite d’écueils insurmontables. Néanmoins, face à un morceau chargé de nombreuses variations mélodiques, harmoniques et rythmiques, des connaissances théoriques plus avancées s’imposent, de même que la présence d’un professeur qui interviendra au bon moment pour canaliser les premières tentatives du déchiffrage. Dans ce cas, la phase qui consiste à imiter se transforme à une phase où lire la musique participe au résultat. Dans tous les cas, il est indispensable que les morceaux choisis soient écrits de façon à contrebalancer la difficulté du déchiffrage au profit de la joie de s’exprimer au piano.


EN IMPROVISATION

On peut libérer le stress des premiers cours en donnant libre cours à l’imaginaire de l’élève. L’un des meilleurs exemples est de le confronter aux cinq notes d’une gamme pentatonique. En étant soutenu par le professeur qui joue le rôle d’accompagnateur, l’élève rentre en contact avec les touches, sans autre contrainte que de jouer sur les bonnes notes. À travers ce jeu complice, il est même possible de faire comprendre le rôle de la transposition et de l'appliquer aussitôt.

La découverte du clavier par transposition sur une courte séquence permet d’attirer l’attention sur les particularités du clavier, les touches et leur agencement, la couleur de chaque tonalité, etc. Un terrain de découverte qui sensibilise et éclaire d’un nouveau jour la relation au clavier sous un angle plus technique.

Cette approche ludique facilite la mise en relation avec l’instrument et la confiance en soi. Il est de la responsabilité du professeur de cadrer ce jeu improvisé comme une récréation, tout en y apportant des informations périphériques indispensables, comme celle de jouer les notes en portant son attention aux rythmes joués par l’enseignant (apprentissage du jeu collectif).

Enfin, autant tirer profit de l’aspect ordonné des touches en développant une technique pianistique d’improvisation à deux mains reposant à la main gauche sur un accompagnement d’intervalles justes comme les quintes (voire en rajoutant les tierces sous certaines conditions), et à la main droite en utilisant des gammes ou des portions de gammes (maximum cinq notes) en résolution harmonique. Dans ce cas, il est bien sûr impératif, pour que la réussite soit totale, que la personne soit en capacité de jouer son improvisation en respectant une métrique précise, à trois temps ou à quatre temps, par exemple.


LES AVANTAGES

Apprendre par imitation offre un avantage certain : celui d’aborder les grandes lignes du développement artistique avec un minimum de contrainte. Comme souvent écrit dans les pages du site, l’écriture n’est qu’un moyen de mise en relation pour acquérir une « technique propre », la développer, tout en offrant progressivement un accès à des morceaux plus difficiles. Tout le reste s’apprend en dehors de l’écrit !

L’observation du professeur engendre également une meilleure transmission de la technique : la position du corps et des mains face au clavier, les gestes tel que le déplacement des mains, le jeu des doigts, etc. L’accumulation de toutes ces informations seront toujours plus rapidement acquises qu’en faisant appel à une méthode, même bien argumentée en conseils.

Concernant le pianiste autodidacte, si celui-ci est déjà expérimenté, il ne tirera que peu d’avantage face à de telles observations étant donné que très certainement des défauts techniques majeurs, des habitudes personnelles se seront installés depuis des années. En revanche, dans les deux, trois premières années d’apprentissage menées conjointement à un enseignement « classique », les bénéfices sont certains pour peu que l’enseignant ait la maîtrise et la connaissance requise… ce qui, généralement, ne s’apprend pas dans les conservatoires.

L’enseignant doit expliquer avec des mots simples la finalité de cette pédagogie tout en signalant ses limites et en mettant l’accent sur l’importance d’acquérir des bases solides en écriture, aujourd’hui ou demain. Il est fondamental que ce travail d’observation et de mimétisme ne soit pas perçu seulement comme un jeu, un amusement par l’élève, mais comme un véritable apprentissage conduisant en douceur à des partitions écrites.

LE PIÈGE DES VIDÉOS EN LIGNE

Il ne manque pas de vidéos montrant différentes facettes d’une telle pédagogie. Face à un monde dominé par l’image, celles qui montrent l’apprentissage du piano comme un amusement, isolé de tout contexte pédagogique suivi sur du moyen ou du long terme, ne peut servir la musique, surtout le débutant qui, par son inexpérience, aura une vision tronquée de ce qu’est le piano.

La vidéo ci-dessous montre deux exemples significatifs allant dans ce sens. Le professeur explique son but puis interprète préalablement chaque partie : l’accompagnement suivi de la mélodie.

Le premier morceau est inspiré de la Passacaille d'Haendel. Tandis que l’enseignant s’occupe de l’accompagnement, l’élève joue la mélodie à deux mains en n’utilisant que ses index. Le second morceau reprend le même principe en utilisant cette fois la gamme chromatique comme mélodie.


DANS L'ESPRIT DE LA 'PASSACAILLE' D'HAENDEL

Dans la vidéo, la jeune pianiste reproduit parfaitement la façon de jouer la mélodie. Le travail d’observation et d’imitation est correct. Cela s’apparente à un amusement, d’autant que l’utilisation des seuls index va à contre-courant de la technique pianistique. C’est surtout flagrant dans le second exemple où rien que sur une gamme chromatique, l’utilisation d’un doigté correct permettrait de travailler au mieux la sensibilité du toucher et pour l’élève de comprendre ce qu’est un jeu piqué, lié ou détaché.


EN RÉSUMÉ

Les bénéfices de l’apprentissage par imitation sont pluriels. Cette pédagogie peut être une source de motivation pour celui ou celle qui redoute de partir à l’assaut d’une théorie pompeuse et d’avoir à lire des notes avant de jouer la moindre « chose » sur le piano.

Théoriquement, elle augmente la confiance en soi par une approche segmentée du jeu qui peut dans un premier temps s’établir autour du rythme, puis de l’improvisation, avant d’aborder un morceau construit faisant appel à des notions élémentaires en écriture.

L’élève développe une meilleure maîtrise du rythme, de sa mise en place, et prend conscience petit à petit de la conséquence du geste de ses mains et du mouvement de ses doigts sur le résultat sonore. Il développe ainsi un autre rapport avec le clavier en partant à sa découverte d’une façon plus naturelle et ludique. L’élève améliore sa concentration et structure sa capacité artistique en créant et en développant des mélodies ou des accompagnements, et cela, avant même d’en avoir réellement pris conscience du pas qu’il vient de franchir.

Par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 05/2019)

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