LES QUESTIONS DU CANDIDE



APPRENDRE LA MUSIQUE POUR LE PLAISIR, EST-CE POSSIBLE ?

"Moi, je pratique la musique pour le plaisir !" De nos jours, le mot "plaisir" est souvent utilisé à tort et à travers. Chez l'enfant, la notion de plaisir n'est pas à relier à celle du travail. C'est le territoire du jeu et de l'évasion, pas de la contrainte. Mais à l'âge adulte...


LA NOTION DE PLAISIR EN MUSIQUE

À l'âge adulte, l'utilisation du mot diffère quelque peu. L'adulte admet que la part de plaisir est parfois accessible seulement quand un travail en amont est accompli, ce qui est le cas des disciplines artistiques comme la musique ou la danse. Aussi, je recommande vivement aux parents d'avoir une certaine vigilance quand ils emploient le mot "plaisir" avec leurs enfants.

En musique comme en danse, quand l'enfant est face à une difficulté, il arrive bien souvent que le professeur soit obligé de prendre en charge un rôle d'éducateur en recadrant la notion de plaisir et tout ce qui en découle : sens de l'effort lié au résultat, comment progresser, comment développer la réflexion pour optimiser le travail, etc. Évidemment, cette approche éducative demande du temps. Malheureusement, il ne faut pas compter sur l'éducation nationale pour mettre en œuvre cette démarche pédagogique. L'éducation nationale a un but prioritaire, celle de former des cerveaux efficients sans tenir compte des paramètres individuels (ce qui paraît normal dans le cadre d'un enseignement en collectif). La course à l'élite est engagée et rien ne peut l'arrêter sauf une éducation au cas par cas. A l'école, on vous dit d'apprendre, mais pas comment apprendre… le mode d'emploi n'est pas livré avec !

Le mot "plaisir" trouve également une autre utilisation, même chez l'adulte. Il est souvent là pour rassurer et protéger. Chez de nombreux musiciens amateurs le mot "plaisir" répond présent dès qu'il s'agit de s'excuser de quelques maladresses ou quand il s'agit d'affronter une lourde difficulté technique : "Vous comprenez, je joue pour le plaisir…".

Chez le musicien professionnel, c'est l'accomplissement d'un rêve afin accessible… hier, c'était un fardeau, aujourd'hui c'est la liberté de s'exprimer. La musique est plaisir, parce que la musique est synonyme d'un travail enfin rémunérateur avec la possibilité d'en vivre.

Qu'elle soit classique, jazz, rock ou traditionnelle, la musique amateur n'est pas synonyme de médiocrité… bien au contraire ! De nos jours, elle joue parfois d'égal à égal avec le milieu professionnel… la différence est dans la pratique : le musicien professionnel se doit de jouer pour en vivre et conserver son statut, le musicien amateur n'est tenu à aucune obligation particulière si ce n'est de répéter et de répéter s'il souhaite conserver une certaine estime de la part de ses confrères professionnels.

Pourquoi le mot "plaisir" a-t-il pris autant d'importance ? Cela vient-il d'un passé douloureux, quand de nombreux musiciens étaient obligés de pratiquer une éducation musicale stricte dans la peine ou dans le désespoir ?

Ces interrogations démontrent que si la musique n'a cessé d'évoluer au gré des modes et des évolutions technologiques, son apprentissage n'a pas toujours suivi le bon chemin. Aujourd'hui et peut-être encore plus qu'hier, l'enseignement conserve toujours une longueur de retard sur les événements. Son déphasage actuel avec la réalité des musiques actuelles est des plus préoccupants. Des expériences sont tentées dans des cadres associatifs ou privés, mais faute d'un réel dynamisme collectif ou d'une prise en main volontaire, elles se résument le plus souvent à des essais sans lendemain. La musique a surtout un handicap majeur : celle d'avoir produit tellement d'échecs consécutifs, de génération en génération, que tout le monde voit chez un musicien accompli des dons et des capacités bien au-dessus de la moyenne.

LA NOTION DE PLAISIR… CÔTÉ PÉDAGOGUE

Pourquoi la pratique instrumentale revêt-elle une si lourde armure ? Pourquoi autant de gens trouvent normaux les échecs en musique, comme étant d'une fatalité incontournable ? La musique est-elle un art si difficile qu'elle ne peut s'assumer qu'au travers d'une sélection rigoureuse ?

En pédagogie, tout enseignant de musique qui connaît parfaitement son métier vous dira que c'est faux. La musique est un art accessible. L'âge n'est pas un handicap majeur si l'on est prêt à accepter quelques contraintes et quelques limites. Son apprentissage peut aider les personnes qui ont des difficultés motrices ou qui ont des pertes de mémoire et son exécution offre une solution temporaire à bien des maux de la vie quotidienne.

La musique est ainsi capable de dépasser ses propres frontières pour apporter des solutions dans le domaine physique et psychique. Cette diversité d'emploi démontre toute la complexité de son enseignement. La plupart des professeurs exerçant leurs activités en tant que fonctionnaire de l'éducation nationale ne sont pas ou peu formés pour répondre de façon efficace à toutes les sortes de demandes qui peuvent se présenter. Pour progresser, leurs marges de manœuvre sont souvent étroites et dépendent en grande partie des directives. Seul un travail de terrain diversifié et indépendant favorise la compréhension de la musique dans toutes ses dimensions : physique, psychologique, mais également sociale et économique. Il est donc conseillé de ne pas voir les qualités d'un professeur seulement à travers le prisme d'un ou de plusieurs diplômes (le diplôme étant la confirmation d'un niveau à un instant donné et non pas celui d'une compétence s'affirmant avec le temps).

Pour le professeur, la phrase "je veux apprendre pour le plaisir…" résonne souvent entre ses quatre murs… comme dans sa tête. Pour lui, l'enseignement ne consiste plus à aligner des principes théoriques, des exercices vus et revus ou un catalogue de différentes pièces musicales, il lui faut être vigilant à ce que la connaissance et la pratique ne riment pas avec la lassitude et l'échec. Fléau du monde actuel, l'impatience et le "toujours plus et plus vite" ne riment pas toujours avec l'accomplissement d'un monde musical parfait qui réclame patience et lucidité.

© pixabay.com - La main, pas comme ça… mais comme ça…

Un bon enseignement est basé en partie sur la patience du professeur, certes, mais si la notion de plaisir d'enseigner est absente, la qualité de ses cours s'en ressentira immédiatement !

La phrase "je veux apprendre pour le plaisir" n'existait pas ou très peu dans la bouche d'un élève musicien il y a 40/50 ans. L'enfant comme l'adulte était prêt à en "découdre" avec la musique. Cela faisait partie des règles d'apprentissage que de passer à travers toute une panoplie d'exercices en tous genres, du plus agréable au plus ingrat. Était-ce un bien ou un mal, ce n'est pas à moi de juger.

Transporter la musique comme son interprète d'une façon constante dans un sillage technique (parfois/souvent rébarbatif) n'est peut-être plus à l'ordre du jour. Les changements de mentalité étant inexorables, l'enseignant doit s'adapter ou prendre la responsabilité de laisser perdurer les échecs que l'on constate lors des deux premières années d'enseignement (environ 60 %). Le principal est que l'enseignement pratiqué soit en adéquation avec la demande et les capacités de celui qui apprend.

Cette banalité qui paraît évidente n'est pourtant pas de mise dans la pratique… c'est d'ailleurs, fréquemment, tout le contraire ! Une prise de conscience individuelle est nécessaire de la part de l'enseignant en musique s'il souhaite coller au plus près de demandes de plus en plus exigeantes (même s'il sait, au fond de lui, qu'elles peuvent être utopiques). Il se doit d'être à l'écoute pour délimiter les réelles aptitudes de celui qui étudie, et de l'informer en temps utile quand la demande ne correspond pas à ses compétences. Cette attitude est une question d'honnêteté, c'est même un des fondements de l'enseignement, malheureusement ignoré ou mis à l'écart volontairement par facilité.

Chez les enseignants apôtres d'une certaine liberté éducative, compréhension et intérêt de la pratique musicale divergent. Certains favorisent la sélection naturelle ou contrainte et d'autres, un enseignement plus récréatif. Finalement, qui a raison ? Existe-t-il une règle précise, une conduite à tenir qui justifierait à elle seule l'emploi de l'une de ces approches pédagogiques ?

L'enseignement de la musique est complexe, certainement le plus difficile de tous quand on y accorde toute l'attention nécessaire. Sans une évaluation précise du domaine psychologique (motivation, degré d'émotivité, mémoire, expérience vécue…) et du domaine physique de l'élève (âge, souplesse, disposition naturelle…) la mise en place d'une éducation musicale sélective ou récréative est trop hasardeuse pour se révéler efficace, voire dangereuse en projetant l'échec à court ou moyen terme.

DEUX FAÇONS D'APPRENDRE PARMI D'AUTRES...

LE "COURS CLASSIQUE"

© pixabay.com

LE PRINCIPE : le professeur est assis à côté de l'élève. Le cours se déroule calmement, paisiblement, dans un cadre convivial. L'enseignant est à l'écoute de celui-ci et intervient de temps à autre.

LES EFFETS : pour l'élève, le cours est sous l'autorité du professeur. La personnalité de l'enseignant est donc déterminante. Elle agit directement dans la condition émotionnelle de l'élève. Suivant le cas, la notion de plaisir peut ici s'enraciner ou disparaître.

LE "COURS MODERNE"

© coursenligne.com

LE PRINCIPE : ce type de cours est de type MAO (Musique Assistée par Ordinateur). Il vise le répertoire moderne en utilisant la pratique des accords. Dans cet exemple, l'élève est assisté d'un côté par des indications visuelles et de l'autre par les commentaires du professeur.

LES EFFETS : tout en essayant de divertir et d'enseigner de façon ludique, cet apprentissage reste du domaine de la méthode. Il est donc dirigiste et n'offre pas contrairement aux apparences une grande liberté. Ce genre de leçon est bien adapté aux personnes habituées à la pratique de l'informatique et qui préfèrent se laisser conduire par les événements. C'est le type même du cours à la page, dans "l'air du temps", mais qui ne cherche pas à remplacer le "cours classique" de l'exemple précédent, les cours en MAO n'ayant pas les mêmes objectifs.

LE FACTEUR TEMPS... UN ENJEU NÉGOCIABLE ?

La trop grande précipitation vers un résultat hypothétique, non consistant et reposant sur du faux-semblant est une des causes majeures de l'échec en musique. De nombreuses méthodes reposent sur cela pour faire miroiter des progrès spectaculaires dans un délai très bref et avec seulement quelques leçons à la clé. L'enjeu économique est passé par là et favorise la multiplication de ces approches musicales. Ces "méthodes éclairs" collent à une notion de plaisir éphémère et évidemment à une compression du temps si recherchée… c'est là leur force première. La réalité musicale est bien sûr tout autre.

Dans la réalité, la notion de plaisir doit se conjuguer avec l'amour de la musique et des sons, non pas sur le court terme, mais sur le long terme, là où aucune méthode ne semble capable de répondre présent ! Si celles-ci trouvent leur efficacité dans des idées répandues comme : "faire ses premiers pas en musique" ou "tenter l'aventure musicale", elles n'en restent pas moins dirigistes, ce qui va à l'encontre de toute souplesse d'enseignement. Il ne faut donc pas, sous prétexte d'avoir trouvé une méthode habilement construite, tourner le dos à la réalité musicale. La vigilance doit être de mise, et il ne faut pas hésiter à demander l'avis auprès d'un professeur compétent avant de se lancer dans une aventure hasardeuse.

Un enseignement dans lequel la notion de plaisir est constante dépend étroitement d'un suivi personnalisé, c'est essentiel et nécessaire. Il est donc indispensable de construire un enseignement aux murs solides, reposant sur des acquis historiques, des références, mais également orienté vers le présent, voire vers l'avenir suivant les centres d'intérêts et les facilités de l'élève. Quand on apprend la musique, on construit une histoire, son histoire, avec un passé, un présent et un avenir qui se profile à l'horizon. L'accomplissement d'un tel parcours est déjà une réussite en soi et justifie amplement la notion de plaisir qui s'y rattache.

HIER, LA MUSIQUE EN DILETTANTE

Autrefois, la séparation entre les musiciens professionnels et ceux qui pratiquaient la musique pour le plaisir était rare. Même les souverains participaient à la musique, aux pièces de théâtre et aux représentations de danse. Par exemple, Beethoven a présenté des symphonies avec des orchestres constitués en grande partie de musiciens amateurs. Comme il n'existait pas de cycle d'études supérieures, il n'était pas possible de différencier les musiciens dilettantes (pour le plaisir) des musiciens professionnels. Les corporations moyenâgeuses représentaient des exceptions. Avec le développement de la musique romantique du 19e siècle qui a fabriqué des virtuoses, la spécialisation est devenue incontournable pour coller au plus près d'un répertoire de plus en plus technique. Aujourd'hui, le mot dilettante a une signification péjorative.

La séparation entre les interprètes et les auditeurs, qui a conduit à l'art pour l'art, a entraîné la crise de la musique à notre époque. Le mouvement des jeunesses musicales s'est efforcé de changer des dilettantes et des novices en de véritables musiciens, mais sans vraiment y parvenir. Certains poursuivent leurs efforts pour supprimer la séparation entre les compositeurs et les interprètes ; d'autres prêchent la nécessité d'une aristocratie de la musique qui différencie bien les compositeurs professionnels des amateurs.

Par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 09/2013)



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