PÉDAGOGIE



PIANISTE CLASSIQUE, PIANISTE DE JAZZ, QUELLES DIFFÉRENCES ?

Généralement, tout commence par l’éducation. La pratique comme le style conduisent les pas du futur musicien à exercer son art sur des voies qui n’exigent pas nécessairement une même technique et encore moins un même fonctionnement cérébral. Ainsi, la promptitude à réagir face à une situation imprévue est différente selon l’éducation musicale reçue, classique ou jazz…


L’INÉGALITÉ FACE À UN MÊME MORCEAU

La formation musicale et la pratique entraînent des priorités, notamment à travers le répertoire choisi et la façon de l’aborder techniquement. Musique écrite ou non écrite, doigté, harmonie, etc. réclament quelques habiletés que des exercices longuement pratiqués sont censés faciliter. Tout dernièrement, une étude scientifique conduite par l’Institut Max Planck de Leipzig a démontré qu’une pratique musicale induisait des différences neurologiques (1), c’est-à-dire des différences de réactivité sensorielle et de comportement face à un même morceau de musique abordé par un échantillon de pianistes professionnels issus du classique et du jazz.

Cette inégalité face à un même morceau laisserait à penser qu’il est encore plus difficile d’exceller si le pianiste « navigue » de style en style ; la sélection naturelle tendrait alors à se radicaliser au fur et à mesure que le niveau s’élève. Le résultat obtenu par cette expérience étant subordonné à de l’habileté, celle-ci doit bien entendu tenir compte du tempérament, de l’acquis et de la personnalité de chaque pianiste. Cette étude possède donc une part de subjectivité, même si elle relève fort justement des différences d’aptitudes entre les pianistes de jazz et de classique.

L’idée selon laquelle un niveau d’excellence en classique pourrait devenir une porte d’entrée pour aborder le jazz est une idée répandue, mais fausse. Il est difficile d’atteindre avec la même habileté ces deux domaines sans se heurter frontalement à des dispositions qui, sur le fond, ne font pas appel aux mêmes développements intellectuels. Seule la technique peut éventuellement trouver des points d’accroches, car ni le développement harmonique ni le jeu rythmique sont semblables. La confusion provient aussi d’un jazz qui depuis ces 50 dernières années n’a eu de cesse de s’intellectualiser en s’inspirant de la littérature classique. Keith Jarrett ou Brad Mehldau, pour ne citer qu’eux, sont de parfait exemple de cette évolution, elle-même relayé dans les écoles de jazz.


LES PARTICULARITÉS DES STYLES ABORDÉS

S’ils peuvent s’accorder sur l’importance de choisir un doigté efficace, dès que les doigts se posent sur les touches, pianiste jazz et pianiste classique suivent des chemins différents. L’héritage d’un long apprentissage et d’un style de musique différent entraîne des effets neurologiques distincts.

À la base, pour un pianiste de jazz, l’issue d’une bonne éducation musicale est d’être apte à improviser et à adapter sa technique immédiatement : doigté, sens métrique, rythme. Le support harmonique étant sa source du développement technique et de son inventivité, le pianiste de jazz est prompte à changer l’ordre des notes et à glisser quelques harmonies étrangères ou de substitutions. Cette flexibilité est sa grande force. Face à de l’imprévu, il est capable de planifier l’approche du morceau en réorganisant sa pensée, et cela, avec plus d’efficacité que le pianiste classique.

Le pianiste classique, à cause du crédit accordé aux écritures, se concentre sur le respect de la partition, ce qui détermine une « foi » pour tout ce qui concerne la perfection, le respect et la maîtrise technique du jeu instrumental. L'expression personnelle qu'il ajoute à l’œuvre est la seule liberté qu’il s’autorise. La vision globale du jeu est plus analytique, notamment en abordant l’aspect des traits techniques et le doigté. Théoriquement, la pratique d’un « doigté intelligent » permet au pianiste de formation classique de trouver une solution plus efficace quand le doigté recommandé semble peu académique ou absent.

Autre fait marquant, le comportement physique face à l’exécution. Généralement introverti, le pianiste classique décrit des mouvements précis dans son jeu en épousant l’écriture et la personnalité de l’œuvre, alors que le jeu physique du pianiste de jazz, plus extraverti, doit anticiper et rebondir en fonction de la structure de la grille, des échanges - s’il joue avec d’autres musiciens - et de la vitalité de ses improvisations. Cette simple observation, certes simpliste, tend à démontrer que le style musical et ses exigences se traduisent aussi par un rapport différent avec l’instrument.

Dans l’étude conduite par l’Institut Max Planck, la scientifique Daniela Sammler précise que lors de l’interprétation fidèle d’une pièce classique ou durant une improvisation d’un thème musical de jazz au piano, différentes procédures relativement spécifiques s’établissent dans le cerveau, ce qui rend le passage d’un style à l’autre plus difficile, et que pour avoir une vision plus juste, il est nécessaire de rechercher le plus petit dénominateur commun de plusieurs genres de musique.

Par ELIAN JOUGLA

1 - A comparison between classical and jazz pianists (2018)


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