LES LIMITES TECHNIQUES DE L’INTERPRÉTATION FACE AUX ÉCRITURES


LE COURRIER DES INTERNAUTES



M. Gody

Bonjour,

Comment un grand compositeur classique évaluait-il la limite d'interprétation par rapport à ce qu'il écrivait ? Je parle de la limite technique de l'interprète : vitesse des doigts sur un piano, par exemple. Y a-t-il eu des morceaux écrits impossibles à jouer ? Je ne suis pas musicien, j'aime le classique néanmoins. Merci.


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N’ayant pas la science infuse, mais connaissant assez bien le domaine des claviers et de l’arrangement orchestral, il faut savoir - puisque vous précisez que vous aimez le classique – que la plupart des grands compositeurs étaient d’excellents instrumentistes : piano, orgue et violon, principalement. C’est donc avec leur instrument favori qu’ils pouvaient développer au mieux un dialogue musical constructif, c’est-à-dire en écrivant une musique qui tenait compte des aléas techniques propres à l'instrument qu'ils pratiquaient : tessiture, effets sonores (glissando, par exemple), intervalles, polyphonie, etc. Toutefois, quelques petites précisions supplémentaires s'imposent...


LES LIMITES TECHNIQUES DE L’INTERPRÉTATION

Pour répondre à votre première question concernant « la limite technique de l’interprétation, comme la vitesse des doigts sur un piano », en théorie, il n’en existe pas ; un compositeur peut très bien écrire une musique difficilement accessible, supérieure à ses propres capacités techniques, et même pour des instruments qu’il n’a jamais pratiqués. Cela se rencontre en musique classique, mais aussi à travers de nombreuses musiques contemporaines. Il suffit alors de connaître les spécificités du jeu de l’instrument et ses limites. De là, par extension et sur le même principe, découle l’écriture des orchestrations, celles qui conduisent aux concertos ou symphonies (pour faire simple).

Ensuite, vis-à-vis de votre seconde question « Y a-t-il eu des morceaux écrits impossibles à jouer ? »

À ma connaissance, je n’ai pas eu vent d’une œuvre écrite antérieure au 20e siècle qui n’ait pas été exécutée à cause de ses difficultés techniques. D’ailleurs, si tel était le cas, où serait l’intérêt d’une telle démarche ? Quand bien même cela se serait produit, cela n’aurait pu arriver que par une méconnaissance de l’engagement technique lié à l’usage de l’instrument… donc condamnée dès sa naissance à disparaître.

En revanche, l'arrivée de l’ordinateur a suscité de nouvelles formes d'exploitation de la musique dès les années 1950. Les champs du possible sont alors devenus sans limites, modifiant au passage le rapport à l’écriture conventionnelle (signes et exécution). Par la suite, en devenant un "outil familial accessible", l'ordinateur a surtout facilité la tâche du compositeur lambda qui, en sachant utiliser avec ingéniosité ses connaissances dans le domaine de la programmation et sans être un musicien doté d'une grande technique instrumentale, lui a permis d'entrer dans le cercle très fermé de l'orchestration et de l'arrangement. Aujourd'hui, à l’ère de « l’intelligence artificielle » où l’ordinateur est gavé de données musicales, rien ne semble impossible, comme en témoigne diverses expériences récentes (lire : Musique et intelligence artificielle).

Déjà au siècle dernier, toujours grâce à l'ordinateur, des compositeurs de formation classique utilisaient l’outil pour justement faire reculer la nature même de l’interprétation classique, lui reprochant son « immobilisme radical ». En modifiant la structure des écritures ou en inventant des nouvelles, certaines œuvres contemporaines du 20e siècle sont suffisamment complexes pour rendre impossible toute interprétation sur un instrument acoustique, créant ainsi une dichotomie, une volonté farouche de créer deux mondes parallèles sans autre trait d'union que de produire des sons.


CONCERNANT L’ORCHESTRATION

Sans avoir suivi un enseignement musical poussé, notamment dans les domaines de l’harmonie et de l'écriture instrumentale, il est difficile pour un compositeur d’éviter des erreurs quand celui-ci écrit pour des instruments dont il ne connait pas les subtilités. Écrire une partition pour piano quand on est violoniste ne s’improvise pas et inversement !

Si le violon reste un violon, le piano reste un piano. Une orchestration provenant d’une époque implique l’utilisation de certains instruments comme le violon et le clavecin pour la musique baroque. Une simple lecture comparative de partitions orchestrales permet d’observer cela avec précision. De même, chaque instrument, en imposant son jeu particulier, dicte à son tour une écriture. Un compositeur, qui tient le rôle d’orchestrateur, doit savoir quelles sont les limites autorisées par chaque instrument et ne doit surtout pas être guidé par le simple désir de voir toutes ses idées devenir réalité. Outre la tessiture délimitée par l'instrument, viennent se greffer des lois acoustiques et des règles d'harmonie qui se dressent comme un mur si elles sont incomprises ou mal utilisées. Ainsi en est-il de l’impact sonore et de son esthétisme quand l'orchestrateur doit "marier" un ou plusieurs violons, un cor avec un hautbois ou une guitare avec un piano, tout ceci en tenant compte de l’époque et du style !

Par ailleurs, il existe des œuvres contemporaines qui sont écrites « dans le style de » ou « à l’intention de ». Celles-ci font aussi référence à un style précis comportant des limites et des obligations. C’est le cas notamment de certaines musiques de films pour lesquelles le compositeur doit réaliser un travail d’approche historique quasi « scientifique » afin que l’adaptation orchestrale soit « raccord » avec le contexte des images (par exemple des emprunts de musique folklorique dans les westerns ou de musique baroque dans les films de cape et d’épée).

Par ELIAN JOUGLA


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