PÉDAGOGIE



LE CONSERVATOIRE EST-IL TOUJOURS 'HAS BEEN' ?

Pour certains enseignants, les conservatoires de musique sont en pleine mutation au point de conjuguer au passé leur image « vieillotte » et sectaire. Une évaluation passable, admissible ou recevable de leur action nécessite cependant une mise au point prenant en compte l’actualité récente pour avoir une opinion la plus objective possible.


PETIT RETOUR DANS LE PASSÉ…

Regardons d’abord dans le rétroviseur et remontons au début des années 90. Les professeurs et musiciens bien informés pourraient répondre que depuis trente ans, de grands changements se sont produits. Toutefois, crier victoire en pensant qu’une révolution s’est produite, ce serait admettre que les repères qui ont forgé la réputation des conservatoires – bonne ou mauvaise – appartiennent désormais à une époque révolue.

Dans les années 90, le conservatoire est un milieu clos, dont seuls les élèves qui le fréquente sont autorisés à se présenter aux différents examens et concours. Le candidat libre - celui qui accède à la connaissance et à la pratique en travaillant avec un professeur indépendant ou au sein d'un organisme privé – n’a droit qu’à se présenter au concours d’entrée s’il souhaite suivre la filière.

Dès lors, l’étude de la musique s’ouvre sur un étrange paradoxe qui fait que tout le monde ou presque peut se présenter au baccalauréat quel que soit son âge et ses prétentions (il existe même des passerelles pour suivre des études universitaires), alors que l’accès libre aux examens du conservatoire n’est possible qu’en suivant un long processus bien précis.

Ce règlement interne permet de façonner le musicien. Les enseignants les plus conservateurs (ou qui ont connu cette période-là) vous diront certainement que cette « tradition institutionnelle » avait du bon, car elle permettait de faire un tri en amont et donc de garantir au conservatoire un niveau global plus satisfaisant. Bien évidemment, quand la contradiction est absente et que le « plaignant » doit faire face à un sectarisme périmé, il est bien difficile de soumettre des idées neuves pour les appliquer !

Nous pourrions nous pencher également sur le mot « conservatoire » qui vient de l’italien ‘conservatorio’: lieu où l’on garde et maintient. Si nous considérons la musique comme un art, et que tout art dans l’histoire nous conduit à penser que sa survivance est due à son évolution, alors la musique ne peut être qu’une « discipline » en mouvement, libre et vivante. En revanche, si le mot est associé à une notion de valeur, à un lieu où l’on pourvoit une certaine qualité d’enseignement artistique pour former des interprètes de grand niveau, alors le mot conservatoire, dans le sens « scolaire » est pleinement justifié. Pour l’anecdote, je ferais remarquer que l’utilisation du mot « conservatoire » se retrouve uniquement dans les pays latins. Les mots « universités » (comme aux États-Unis) ou « école de musique » sont largement plus répandus ailleurs sur le globe.


CÔTÉ ‘REMISE EN QUESTION’

Interrogeons-nous… Un établissement comme le conservatoire peut-il être en mesure de « mixer » différentes approches pédagogiques et musicales sans que ses fondements soient remis en question ? Tout l’enjeu est là, et la responsabilité du ministère de l’Enseignement et de la Culture engagée. Tout doit commencer par l’ambiance générale qu’il faut dédramatiser, car un conservatoire à rayonnement régional ce n’est ni l’école du village ni la « maison pour tous » du quartier qui propose quelques cours à taille humaine.

Quelques conservatoires régionaux cherchent cependant à briser les silences et les attitudes sectaires en tentant des expériences innovantes comme l'Opéra junior à Montpellier. L’organigramme s’élargit alors en proposant plus d’options. Il est surtout essentiel de briser le dirigisme qui garde parfois des relents d’avant Mai 68. Tout l’inverse de La Cité de la musique à Paris qui propose depuis plusieurs années des approches souvent ambitieuses pour démocratiser l’approche de la musique. N’oublions pas qu’avec les années 2000, le numérique s’est propagé et a remis à plat bien des idées sur le rapport à la connaissance, ce qui a contraint un bon nombre de professeurs et dirigeants de conservatoire à s’interroger sur les nouveaux moyens mis à disposition dans l'enseignement.

Le grand problème d’ouverture que rencontre le conservatoire ne se pose pas vraiment sur la qualité de son enseignement – bien que la pédagogie doive toujours évoluer et ne jamais s’en remettre uniquement à de l’acquis – mais sur la musique proposée. Le répertoire privilégie toujours et majoritairement les illustres « grands compositeurs » comme étant la ressource essentielle d’un langage musical de référence. C’est bien, mais certainement insuffisant. Certes, le conservatoire ouvre ses portes à des compositeurs contemporains, mais c’est toujours très ciblé et pas toujours démocratique, à l’image des musées qui conservent dans leur sous-sol des œuvres méconnues qu’ils exposent à l’occasion d’un événement particulier.

N’allez surtout pas croire également que la « vieille croûte » de la façade qui s’efface pour laisser place à un bâtiment flambant neuf sera la preuve qu’une révolution est en marche dans la façon d’aborder l’enseignement de la musique. L’insonorisation y gagnera sûrement quelque chose, comme peut-être le matériel qui sera en partie renouvelé via quelques aides financières départementales, régionales ou nationales, dans une sorte de solidarité prenant fait et cause autour de l’idée que l’on apprend bien mieux quand les conditions de travail s'améliorent.

Or, si le lieu et les conditions de travail changent, ceux qui y participent – les enseignants – changent-ils pour autant ? Ne sont-ils pas toujours enfermés dans leur « tour d’ivoire », et comment peuvent-ils empêcher de placer les élèves dans un moule, si la forme – le fond – ou eux-mêmes ne veulent pas que les lignes bougent. Leur responsabilité vis-à-vis de l’élève et de ce qu’ils aiment n’est-elle pas surtout dictée par leur statut de fonctionnaire de la musique qui les « protège » ?

Tout ceci n’est pas nouveau, et bien que des voix s’élèvent dans l’enseignement de façon globale, la preuve qu’il existe d’autres ressources et approches pédagogiques reste toujours très difficile à démontrer sans passer par une offensive collective mûrement réfléchie. Une idée « intéressante » mais sans réel objectif mesuré - ou ne pouvant le démontrer - aura peu de chances d’avoir l’aval des hautes instances. Cette réflexion conduit à la question suivante : « L’enseignement est-il assez à l’écoute de l’individu ? »

Quand le promoteur de certaines valeurs culturelles comme le conservatoire est face à un problème, il confie généralement que la solution envisagée est toujours la meilleure… Mais la meilleure pour qui et pour quand ? Le slogan actuel « favoriser la mixité sociale » est en bonne voie. Le dispositif ‘Démos’ sollicité par le ministère de la Culture et le ministère de la Cohésion des territoires, entre autres, ne peut qu’être approuvé. On ne peut aussi contester ou nier que le niveau global des musiciens en France s’est amélioré. Toutefois, le doit-on seulement au déploiement d’énergie voulu par les écoles de musique et les conservatoires, où faut-il chercher la raison autre part ? N’existe-t-il pas une forme de résignation ou de pression latente face aux comportements que traduisent les nouveaux supports numériques ?

Vu de l’extérieur, la priorité des conservatoires d’aujourd’hui n’est plus vraiment la même. Certains responsables ont pris conscience qu’un changement radical était nécessaire, comme la présence obligatoire d'être sur le Web et de mettre en ligne des vidéos présentant les différents cursus et programmes afin de permettre à un large public de recueillir tous les renseignements utiles sans se déplacer. Ce petit signe des « temps modernes » a toute l’apparence d’une main tendue qui vous invite à penser que le conservatoire de musique n’est plus un modèle d'instruction dépassée ou 'has been’.

En conclusion, il existe et il existera toujours des musiciens à former comme des idéalistes de la musique pour lesquels tout changement sera difficile, mais il apparaît au grand jour de nouvelles voix libérales qui écoutent l’individu avec un intérêt certainement moins élitiste que par le passé, même si encore, côté référence, un « premier prix de conservatoire » signifie toujours quelque chose dans l’inconscient collectif.

Par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 02/2021)


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