LES QUESTIONS DU CANDIDE



LES MÉTHODES DE PIANO OU DE MUSIQUE QUE VALENT-ELLES ? (entretien)

Chaque année, de nouvelles méthodes de musique voient le jour, chacune tentant d’apporter ses propres solutions. Pour un candide, le choix est si vaste qu’il est parfois difficile de trouver LA méthode idéale. Une mise au point s’impose. Nous avons demandé à Elian Jougla, enseignant, pédagogue et intervenant auprès du site Piano Web de répondre à nos questions.



D’abord une question simple : que pensez-vous des méthodes de musique ?

Elian Jougla

 : l’idée d’une méthode est de conduire les pas du musicien afin de l’aider à surmonter et à résoudre des difficultés d’ordre technique ou pour se perfectionner dans un style musical précis. Une méthode a donc un côté positif, même s'il ne faut jamais perdre de vue qu’une méthode est toujours le résultat d'une vision personnelle, celle d’un auteur, plus rarement de plusieurs. Donc, utiliser une seule méthode, quelle que soit son efficacité, aura toujours une valeur réductrice.

Et pourquoi donc ?

Ma curiosité musicale a toujours été grande. En tant qu’enseignant et pédagogue, avec aujourd’hui plus de 35 ans de recul, vous vous doutez bien que j’ai eu entre mes mains de nombreuses méthodes. J’ai connu des méthodes proposées par des marques d’instruments : Yamaha, Suzuki, Bontempi... mais aussi des méthodes issues de musiciens professionnels et d’universités notamment américaines comme la Juilliard ou Berklee. Certaines étaient dirigistes, d’autres un peu moins ; l’important étant de comprendre les objectifs. J’ai eu droit à toutes sortes de formats, de contenus et de styles. Moi-même ayant développé mes propres approches méthodologiques dans certains domaines, notamment dans le rythme et l’improvisation, j’étais assez bien placé pour avoir quelques idées concernant leur développement…

Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’une méthode vendue dans le commerce a toujours une valeur économique rajoutée, ce qui, dans certains cas, pose parfois des problèmes d’objectivité. Dans mon parcours, outre certaines sollicitations, je me rappelle avoir eu une proposition de poste à Montpellier dans une école qui proposait sa propre méthode pédagogique. Lors de l’entretien, à la question : « Que dois-je faire, si l’élève n’accroche pas ? Je passe ? J’utilise d’autres moyens ? », le responsable de l’école fut clair : « Surtout pas. Vous devez utiliser la méthode. C’est obligatoire. C'est notre vitrine. » Bien que ne partageant pas une telle approche pédagogique, cette réponse était compréhensible dans le sens où tout le fonds de commerce était axé sur ladite méthode. Le responsable avait déjà d’autres ‘antennes’ dans la région et ailleurs, et il cherchait à s’implanter dans la ville. Une autre fois, j’ai été confronté à un éditeur de presse allemande qui voulait vulgariser ses revues musicales en France en utilisant des professeurs de musique comme relais. Les magazines étaient bien faits, ouvert à toutes les formes musicales actuelles, mais en contrepartie il fallait accepter la revue mensuelle avec tout son contenu, quel qu’il soit et faire abstraction de ses propres idées personnelles…

J’ai toujours une position très réservée sur la pensée unique. Dans mes cours et dans un premier temps, je fais toujours appel à différentes méthodes, mais aussi à mon intuition et à mon expérience pour travailler avec l'élève dans des domaines précis, comme le déchiffrage, le rythme ou l’improvisation… Avec plusieurs visions d’approche pédagogique, on évite justement ce côté réducteur et formaté de la méthode unique…

Lorsque je regarde le contenu d’une méthode, j’essaye toujours de comprendre les objectifs de l’auteur. Ses idées, les limites de l’ouvrage, le fond comme la forme. Je sais ce que représente en amont la conception d’une méthode et sa difficulté de mise en œuvre, aussi je porte que très rarement un regard critique. Je le suis bien plus envers moi. Je demeure avant tout un observateur. J’analyse et ensuite j’instruis.

Sur votre route, vous n’avez jamais eu entre vos mains de méthodes assez performantes qui puissent convenir à l’un de vos élèves ?

À y réfléchir, non... Mais en vérité, je n’ai jamais désiré poursuivre une méthode de bout en bout avec quiconque. Même à mes débuts, dans les années 70, j’avais compris qu’utiliser une seule méthode pouvait se révéler un sacré piège. Je voulais éviter le risque d’un échec pédagogique à court ou moyen terme, ce qui est très fréquent dans l’enseignement de la musique. J’ai toujours eu du respect pour mon travail, suffisamment pour ne pas tomber dans le piège de la facilité en n’utilisant qu’un seul ouvrage, sans autre réflexion. Le respect, on le doit également à l’élève, parce qu’il vous fait confiance.

Suivre une méthode, pour l’enseignant, c’est très facile ?

Oui. C’est simplement un manuel avec une directive à suivre. Cela décharge la responsabilité de l’enseignant en quelque sorte. Une méthode est censée pénétrer au cœur de la réflexion de celui pour qui elle est destinée. Je sais que ce que je dis là n’est pas facile à entendre, voire à comprendre, mais c’est la vérité, et c’est là le but de la majorité des méthodes… Parfois, lors de la pratique, la méthode peut agir comme un révélateur en montrant les faiblesses et les incapacités de l'élève. Elle peut donc être riche d'enseignement pour le professeur, évidemment.


LA MÉTHODE DE MUSIQUE IDÉALE

Pourriez-vous définir une méthode de musique idéale ?

Il est très difficile de répondre à une telle question, surtout si je souhaite rester en accord avec ma propre conception pédagogique… Logiquement, une méthode est conçue par une personne qui a la science, le savoir et l’expérience. De temps en temps, c’est un collectif de musiciens qui intervient, mais c’est extrêmement rare, car il est difficile de partager une conception qui touche à la création, à l’idée même. En revanche, il est possible d’avoir plusieurs ‘lectures’ successives pour aboutir à un produit fini en partant d’une simple idée ou d'un concept…

Une méthode devrait toujours être révolutionnaire par sa façon d’aborder et de concevoir l’enseignement d’un instrument. C’est là son intérêt fondamental. Sinon à quoi sert-elle ? En faisant bouger les lignes, elle participe directement ou indirectement à l’évolution de la musique. Mais la méthode révolutionnaire est rare, et si elle existe, elle mettra toujours du temps à trouver sa place. En fait, il est difficile de provoquer pédagogiquement sans provoquer également une levée de boucliers, sans que des critiques pensent et discutent à votre place… Aujourd’hui, on a trop tendance à favoriser les moyens au détriment des idées. Ce vide existe dans la création musicale, mais également dans les méthodes qui utilise le marketing pour faire croire à de nouvelles révolutions pédagogiques, alors qu’il n’en est rien !

Par le passé, diverses approches ont été faites en utilisant des chiffrages, des couleurs comme la méthode Bontempi ou des schémas basés sur la mémorisation visuelle, mais aucune d'entre elles n’ont abouti vraiment. Ces méthodes se sont finalement toutes marginalisées, car sur le fond, leur principe reposait sur une sorte de ‘miroir aux alouettes’. Aujourd'hui c'est la vidéo, l'interactivité appuyée par les réseaux communautaires, phénomènes se traduisant par : « Il existe des difficultés, mais nous allons vous montrer comme c'est facile en étant plus proche de vous. ». Trop de méthodes sont assujetties à des démarches commerciales qui trahissent finalement les bonnes idées. D’ailleurs, le piège est de croire qu’une méthode qui marche commercialement est efficace pédagogiquement…

Mit bout à bout, un ensemble de méthodes pourrait peut-être constituer un outil efficace, mais vouloir résoudre tous les problèmes, et les mettre en accord avec un individu à travers une seule méthode, c’est complètement utopique, voire malhonnête. Cependant, si la démarche de l’auteur est conduite par des enjeux économiques et commerciaux, alors les raisons de l’existence de la méthode sont toutes trouvées et justifiées. Mais une telle conduite n’aura plus rien à voir avec de la pédagogie, puisqu'en principe, celle-ci ne sera plus au centre des préoccupations de son auteur.

Justement, quels sont les arguments de vente d’une bonne méthode ?

Une méthode doit mettre en confiance celui qui l’utilise. C’est fondamental. L’accroche commerciale passe par là. Elle doit être claire, concise et n’avoir qu’un seul but : être efficace. Susciter l'achat. En me basant sur ce que je connais, il est possible de les classer grossièrement en deux catégories. Vous avez les méthodes aux contours scolaires qui comprennent des schémas et des dessins, des petits exercices et des morceaux. Elles peuvent être ludiques, mais restent classiques par leur approche pédagogique. Elles sont destinées principalement aux enfants. L’autre courant concerne généralement la clientèle adulte. Elles se veulent moins scolaire et elles favorisent habituellement une prise en main de l’apprentissage moins contraignante. Mais aujourd’hui, avec l’arrivée de l’informatique, des méthodes interactives ont vu le jour, avec ou sans CD à l’appui. Il y a donc beaucoup de choix pour tous les âges, tous les niveaux et tous les styles de musique ou presque…

D’ailleurs, je ne sais pas si toute cette abondance est vraiment nécessaire et toujours utile. Je pense qu’une personne livrée à elle-même aura bien du mal à choisir efficacement ce qui lui convient… Depuis l’époque où il n’existait que quelques méthodes, dont la fameuse Méthode Rose pour piano, qu’est-ce qui a changé ? Sur le fond, pas grand-chose. L’emploi d’une méthode ou de plusieurs n’a jamais empêché une personne de devenir un musicien, car tôt ou tard, pour qu’elle le devienne, elle devra s’échapper des lois toutes faites, des chemins tracés, de ce qu'elle aura appris dans les livres, pour enfin trouver sa propre voie. Cette indépendance s’acquiert avec les années et l'expérience. Alors, le recul aidant, la personne comprendra l’impact qu’aura eu sur elle chaque méthode utilisée, directement ou indirectement, en bien comme en mal...

En définitive, par rapport à l’ancêtre qu’est La Méthode Rose, chaque nouvel opus pédagogique tente de dédramatiser l’approche de la musique et de son apprentissage en jouant sur de nouveaux supports plus attractifs ou en essayant de démontrer qu’il existe une autre approche plus simple, et peut-être plus rationnelle.

Pensez-vous que l’on puisse apprendre la musique sans utiliser de méthode ?

Dans toute forme d’apprentissage, il existe toujours une méthode, une conception, une approche dictée par vous ou par quelque chose provenant de l'extérieur, comme les conseils d’un professeur, le contenu d’un ouvrage ou parfois les deux réunis. Mais ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que l’élève aussi fabrique sa propre méthode d’apprentissage en fonction de ce qu’il est dans son for intérieur… Il existe toujours une interaction dans l’étude d’un art entre la source d’apprentissage et son résultat. Suivant la personnalité de l’élève, une méthode musicale peut être acceptée ou totalement refusée. En conséquence, le résultat variera du tout au tout… La méthode n’est ni bonne, ni mauvaise, elle ne peut être qu’inadaptée.

Pourrait-on dire que c’est une question de circonstance ?

Oui, en quelque sorte. Que la méthode soit sur papier ou sur support informatisé, aucune méthode ne peut construire le musicien, elle ne peut que l’assister à un moment donné dans son existence. Ce qui est déjà bien, mais forcément incomplet.


L'ÉVOLUTION DES MÉTHODES MUSICALES

Est-ce que les méthodes d’aujourd’hui sont meilleures que par le passé ?

Disons qu'elles offrent plus de possibilités en étant beaucoup plus ouvertes aux musiques actuelles. Ce qui semble normal vu l’évolution de la musique et la place qu’elle occupe dans notre société. Toutefois, de nombreuses pistes restent encore à explorer. Il existe trop de méthodes encadrées de connaissances parfois inutiles ou secondaires… Ce qui pourrait conduire à de la curiosité ou à une prise en main artistique beaucoup plus libre est rarement exploitée. Ce qui est fort dommage.

Vous pensez à quoi exactement ?

Prenons l’exemple d’un dessin… ou plutôt une esquisse. Est-il toujours nécessaire de voir le dessin terminé pour déjà imaginer quelque chose ? Non, n’est-ce pas ! Car chacun de nous, en voyant simplement une esquisse, se représentera à sa façon et grâce à son imaginaire une suite toute personnelle, même si celle-ci est très éloignée de l'idée de son auteur. Artistiquement, l'important n'est pas de trouver l'exacte représentation du dessin terminé, mais de stimuler son imaginaire de manière efficace... En peinture abstraite, le plus important est ce que vous ressentez en regardant l’œuvre. Il ne vous est pas demandé de l'analyser ou de la reproduire. Si l’on transpose cela en musique, il est tout à fait concevable de donner les premières notes d’une mélodie ou seulement une progression d’accords et de demander à l’élève d’imaginer une suite toute personnelle. Pour l'enseignant, c'est facile à mettre en pratique à condition de savoir adapter le niveau de difficulté au profil de l’élève. L’important est d'éviter de mettre en face de la personne une échelle de valeurs qui pourrait la freiner dans son élan créatif, dans sa petite part de confiance qu'elle a en elle. Cela demande des efforts, mais ce n’est jamais du temps perdu, ni de l’énergie gaspillée. Le mot méthode prend ici tout son sens, car la méthode agit de façon constructive et vraiment interactive entre l'enseignant et l'élève.

Que voulez-vous dire par 'échelle de valeurs' ?

Au départ, l'idée est toujours fragile. Il est donc très important de valoriser le travail conduit par l'élève, sans le critiquer. L'enseignant doit trouver les mots justes, les mots libérateurs. Ceux qui mettront en confiance. Cela peut se traduire par quelques exemples sonores joués par le professeur et qui seront comme des portes ouvertes aptes à démontrer toute la facilité du travail restant.

Alors, d’après vous, si les méthodes n’exploitent pas ce genre d’approche, cela vient d’où ?

C'est difficile à mettre en pratique à travers un support fixe. L'exemple que je vous ai donné est extrêmement lié à la personnalité de l'élève. Un ouvrage basé sur ce principe ne pourrait donner que des directives, des axes de conduite ou des pistes pour l'enseignant. En vérité, je pense que la raison principale ne provient pas des auteurs, mais des gens qui ne sont pas préparés intérieurement à se lâcher. Pour l’adulte, les traces laissées par le système éducatif sont souvent très tenaces. La majorité des gens ont besoin d’être formaté, conduit sur des rails pour avancer sereinement et ils font de même pour leurs enfants. De la même façon que les horaires, les transports et le travail, l’expérience et le savoir artistique doivent être acquits par des connaissances reconnues, par des repères comme des notes sur une partition. Il est bon de ne pas changer la donne. Se sentir sécurisé passe par un acquis ‘stable’, par un héritage, et comme de plus l’enseignement de la musique entraîne tout un tas d’idées préconçues qui brouillent les repères, cela n’arrange rien…

Il existe trop de confusions entre l’enseignement scolaire ‘classique’ et celui artistique. Les valeurs et les repères ne sont pas les mêmes… Peut-être que si les auteurs de méthodes musicales avaient un peu plus d’audace, les lignes pourraient bouger ! Une autre raison qui condamne les audaces provient des éditeurs qui voient avant-tout leur porte-monnaie, ce qui freine directement ou indirectement la volonté des auteurs à s’embarquer dans des aventures pédagogiques incertaines. L'important est de vendre, c’est ça qui compte ! Ou alors, l’auteur vend de la main à la main, conserve son indépendance en fixant les limites, mais sans être édité et sans aucune reconnaissance médiatique. C’est une question de choix.

Quels sont les raisons qui poussent une méthode de musique à se vendre plus qu’une autre ?

D’abord sa réputation. Elle l’obtiendra grâce aux professeurs qui vont l’utiliser dans leurs cours. Une méthode peut avoir aux yeux d’un enseignant une certaine valeur pédagogique. Mais je vous ferai remarquer au passage que le choix de la méthode est parfois encouragé par le bouche-à-oreille ou par des commissions de la main à la main… Le milieu musical est rapidement au courant quand une nouvelle méthode voit le jour, surtout aujourd’hui à l’heure d’Internet. De nombreux enseignants en sont friands. Pour eux, c’est une façon d’explorer de nouvelles pistes et d’éviter par la même occasion une routine pédagogique parfois ennuyeuse.

Une autre raison de la réputation d’une méthode proviendra de sa longévité, qui peut être considérée comme une valeur ajoutée. Elle aura fait ses preuves en passant de main en main ou en encourageant des élèves à aller de l’avant. Comme toujours, l’histoire ne retiendra que les réussites et ignorera les échecs. Pourtant, rechercher la cause des échecs est bien plus important qu’un taux de réussite, discutable par ailleurs. Corriger des erreurs, combler les manques, c’est comme une énigme qu’il faut résoudre, mais cela réclame du temps et beaucoup d’énergie. Une énergie devant laquelle de nombreux enseignants renoncent, ce qui est fort dommage, car cela permettrait aux personnes débutantes d’avoir une vision plus exacte de la musique et de son enseignement.

Entretien réalisé auprès d'Elian Jougla par W. D. Lugert (revue "Praxis des Musikunterrichts" - 06/2013)


SOM. "LES QUESTIONS DU CANDIDE"
SOM. "ESPACE COURS"
ACCUEIL
PARTICIPER/PUBLIER : EN SAVOIR PLUS
Facebook  Twitter  YouTube
haut
haut

Accueil
Copyright © 2003-2024 - Piano Web All rights reserved

Ce site est protégé par la "Société des Gens de Lettres"

Nos références sur le Web - © Copyright & Mentions légales