PÉDAGOGIE



MUSIQUE, SPIRITUALITÉ ET CULTURE MUSICALE

On dit souvent que la musique est une façon de s’ouvrir au monde, que la musique est porteuse de messages universels, de paix et d’amour, un transmetteur entre le monde tel que nous le ressentons et celui que nous cherchons à créer et développer. La musique est certainement essentielle à l’homme en créant un espace indéfinissable, une dimension spirituelle qui nous permet de recevoir afin de mieux donner.


S'OUVRIR À LA MUSIQUE, UNE QUESTION D'ÉCOUTE

L'écoute de la musique est capable de vous enrichir émotionnellement et spirituellement à condition d’aller vers elle, d’être prêt à la recevoir. Et pour recevoir cet indicible, il faut non seulement être plein d’allant et de curiosité, accepter la diversité qui construit sa richesse, mais éviter - dans la mesure du possible - les directives établies, les idées préconçues, méthodes et autorités qui chercheraient à faire de vous des experts ou des musicologues avertis. En réalité, cette réceptivité aux sons, aux harmonies et aux rythmes, quelle qu'en soit l'origine, doit s’établir en toute liberté tout en gardant un cap, un but cohérent. C’est essentiel pour s'ouvrir à la musique de façon intelligente.

QUAND J'ÉTAIS ADOLESCENT...

Quand j’étais adolescent, ma « chance » a peut-être été de m’affranchir des codes musicaux éducatifs en vigueur. Dans un premier temps, j'ai eu le courage de m’opposer à des principes trop stricts pour qu’enfin, après quelques années de pratique pianistique, je m’élève contre cette autorité qui impose sa vérité, au grand dam de mon enseignante qui essayait en vain de me remettre sur "le bon chemin". J’avais décidé de rompre les amarres non pas avec l'instrument, mais dans ma manière d'aborder, d'écouter et de vivre la musique.

Quitte à être tout seul et à me débrouiller par moi-même (du moins pour un temps), j’avais surtout compris que mon apprentissage musical aurait dû débuter par de la culture, en écoutant des styles divers, afin de m'enrichir tant sur le plan émotionnel que spirituel. Je me disais : "S'il existe autant de différentes musiques, c’est qu’elles ont toutes une bonne raison d’être là parmi nous."

Au tournant des années 70, l’enseignement de la musique en France était tout autre. Celui qui s’affranchissait de la musique classique devait généralement poursuivre ses efforts en solitaire. Comprendre certains mécanismes et certaines pratiques instrumentales devenaient un parcours du combattant. Je l’ai vécu, et pour l’avoir vécu, j’en ai retiré un enseignement riche de sens.

Tout en respectant l’attachement que je pouvais avoir envers la musique classique, ses œuvres, et bien que paradoxalement les maîtres de la discipline furent sensibles à la musique de leur époque, voire en franchissant quelques « lignes interdites », je ne comprenais pas pourquoi mon éducation musicale devait se traduire par une connaissance tournée vers le passé. De toute évidence, il était clair que les musiques de Bach, de Beethoven ou de Debussy n’étaient pas, à mes yeux, le centre du monde pour exprimer ce que je vivais et ressentais sur mon instrument comme dans mon for intérieur. Ce sentiment-là, je le vivais également de la même façon envers d’autres musiques ayant connu, elles aussi, de nombreuses remises en question, comme le jazz.

Si toutes les musiques ne sont pas d’une portée spirituelle, elles ne manquent pas moins de vertus en délivrant chacune des messages personnels. Au début des années 70, alors que la culture musicale des adolescents de mon âge se résumait à écouter de la chanson française et du rock, de mon côté je m’abreuvais aux sons du jazz, du classique, des musiques ethniques et contemporaines, du raga indien, de la musique brésilienne et que sais-je encore. Toute cette musique que je découvrais surtout à la radio – parfois par petites touches à des heures tardives - participait à mon bonheur de devenir musicien. Pour autant, je n’ignorais pas les versants plus populaires de la musique, même ceux hérités de grand-maman !

Bien évidemment, toutes ces musiques me parlaient à des degrés divers, mais en m’y abreuvant, petit à petit, je ressentais de nouveaux appels qui m’incitaient à poursuivre : ici un nouveau son, là une mélodie enchanteresse ou de ce côté-ci un rythme visiblement bizarre, mais sympa. J’avais notamment compris que l’on ne se perdait rien à écouter différentes musiques, bien au contraire. Pour une fois, la curiosité ne s'élevait pas en un vilain défaut. L'écoute « exponentielle » de la musique me permettait de ressentir des sensations encore jamais éprouvées, comme si un monde neuf s’ouvrait en moi.


« MUSIQUES SPONTANÉES » ET « MUSIQUES RÉFLÉCHIES »

La culture musicale, c’est enrichissant à plus d’un titre. Personne n’a besoin qu’on lui prenne la main pour apprécier une musique, n’est-il pas vrai ? En revanche, pour s’enrichir à son contact, il faut l’accepter telle qu’elle se présente et ne pas entrer en résistance ou chercher forcément le « pourquoi » dès que se présente un premier titillement agaçant pour son oreille. Pour s’élever émotionnellement et spirituellement, il est nécessaire de prendre parfois du recul plutôt que de se braquer et d’estimer que la première sensation négative est la bonne.

Fondamentalement, il existe deux grandes catégories de musique : les « musiques spontanées » et les « musiques réfléchies ». Pour faire simple, les « musiques spontanées » sont celles qui impriment l’esprit sans effort et les « musiques réfléchies », celles qui demandent une écoute plus attentive pour se laisser capturer.

« Musiques spontanées » et « musiques réfléchies » n’ont pas à entrer en concurrence. Ce serait faire fausse route que d’imaginer cela. Il n’existe pas de musiques possédant des qualités inférieures et d’autres dotées de valeurs supérieures, il existe seulement différentes façons de ressentir et d’intellectualiser la musique quand on l’écoute. Se faire plaisir en écoutant une musique sans effort, en se laissant aller, est tout aussi indispensable que de se poser et de chercher à comprendre une autre musique pour s'élever intellectuellement.

Les « musiques spontanées » et les « musiques réfléchies » se chargent des mêmes émotions humaines à condition d’y être réceptif. Joie, gaieté, tristesse ou mélancolie cohabitent dans toutes les formes musicales. Malheureusement, notre soif d’apprendre, mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, notre manque de culture, nous pousse à user de raccourcis pour décrire un concerto ou une simple chanson. Dès lors, on ghettoïse la musique à coup d’étiquettes pour expliquer ses particularités. Aucune musique n'y échappe. Voici quelques poncifs très répandus qui causent plus de tort à la musique qu’ils ne lui font du bien : le rock est une musique de sauvage ; avoir le blues ; le jazz, c’est tordu ; le reggae, c’est toujours pareil ; le classique c'est pour les intellos, etc. Il en existe bien d’autres que certainement vous connaissez de votre côté.

La somme de ces assertions populaires ne fait que traduire une approche superficielle des musiques incriminées, de toute évidence une méconnaissance. La découverte d’une musique – surtout celle qui n’attire pas au premier abord – demande toujours quelques efforts personnels pour se laisser capturer.

Au fur et à mesure que l’on s’aventure dans une musique, dans son histoire, quand on cherche à comprendre sa construction, son pourquoi, mais aussi ses sonorités et ses implications humaines, l’image superficielle tend toujours à disparaître pour ouvrir à sa place des espaces inexplorées. Ces nouvelles sensations éclairent notre façon d’écouter, de ressentir et de percevoir parfois tout un peuple. Les critères positifs et négatifs s’appuient alors sur de l’expérience, sur un acquis construit en toute liberté, sur des émotions qui ne peuvent s’expliquer avec des mots et qui, du coup, balaye devant sa porte méthode et on-dit.


LA CONNAISSANCE DE SOI, LE FACTEUR DÉCLANCHANT

Si, par le passé, il fallait se déplacer, faire un certain effort pour entendre de la musique, aujourd’hui c’est elle qui vient à nous grâce à Internet, resplendissant de toute part et sous toutes les latitudes. La « musique populaire » comme « élitiste » ne sont plus mises à l’écart, souffrant bien moins que par le passé de comparaisons maladroites, intempestives ou absurdes. La musique traverse nos murs sans imposer de choix préalables, participant à l’essor d’une éducation artistique sans frontières. C’est pour nous une grande chance, car l’écoute de la musique nous permet d’échapper un temps à un monde matérialiste aussi captivant que dangereux.

Cependant, Internet n’est pour l'amateur de musique qu’une béquille technologique. La toile est dans l’incapacité d’apporter la moindre des réponses constructives à la compréhension de la musique, si ce n’est de faciliter des analyses lors d’études scolaires : comparer, évaluer, disserter… Or la dimension musicale, dans ce qu’elle a de spirituel et de profond, se trouve en dehors des contingences matérialistes. Même s’ils ont recours parfois à de la technologie pour exister, les sons ne se laissent jamais capturer. Ils voyagent dans l'espace et sont les premiers à nous emporter dans des expériences intérieures sans limites d’aucune sorte.

L’expression « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux » pourrait très bien s’appliquer à cette façon de s’ouvrir à la musique et à son univers fascinant, avec cette sagesse, mais aussi avec cette « inconscience » si prompte à recevoir pour apprendre et comprendre.

Chaque connaissance est indispensable pour celui ou celle qui souhaite atteindre un niveau supérieur de conscience. La connaissance de soi est une passerelle, un moyen unique qui nous permet d’atteindre notre véritable dimension. Sans cette connaissance, nous avons de grandes chances d’errer toute notre vie sans pouvoir trouver de réponses acceptables, sans pouvoir prendre appui sur du « solide » du « tangible ». Pour l’artiste, adieu la vocation et bonjour les illusions, la fragilité de chaque instant, les remises en question inévitables, et pas toujours souhaitables !

La musique nous offre une grande chance : celle de devenir aussi authentique que possible, de ne pas pouvoir tricher avec nous-mêmes (une notion que tous les musiciens découvrent dès leur plus jeune âge au contact de l’instrument). Pour atteindre un tel but, il faut s’affranchir de ses croyances comme de ses habitudes. Construire son itinéraire est difficile, mais il permet de s’épanouir, d’aller vers les autres, d’exister tout simplement ! En toute modestie, vous et moi sommes faits pour donner, échanger, partager et aimer. Au-delà de tout ce que l’on peut dire et entendre, de tout ce que l'on peut évoquer sur un sujet, on ne peut donner de sens à nos propos, nos idées, qu'en fonction de notre for intérieur, avec nos forces et nos faiblesses, nos ignorances, notre lâcheté ou notre courage.


LA MUSIQUE, UN LANGAGE PORTÉ PAR DES CONNAISSANCES

La musique est un langage très organisé ; organisé par l’homme avec des détails infimes qui nous poussent à communiquer et à partager. Pourtant, la musique des sons est toujours d’une grande subjectivité. Il faut en convenir, et cela est préférable pour comprendre les bases. Ses contours insaisissables et mystérieux nous invitent à voyager dans le temps, à nous ressourcer dans le passé, mais aussi à vivre l'instant présent, à inventer notre propre royaume. C’est le parfait échappatoire aux tourments du quotidien.

Les sons sont immatériels et, dans ce sens, ils traversent tout notre être au-delà de toute organisation. Cependant, il est évident que du côté de son serviteur - le musicien -, celui-ci doit construire un langage accepté par le plus grand nombre. De fait, et pour cause, la connaissance musicale a instauré des lois précises… Et ce sont ces mêmes lois qui défendent la musicalité et l’inventivité du créateur. La composition, l’harmonie, le contrepoint et pourquoi pas l’orchestration participent à l’éclosion de musiciens talentueux, mais à condition que toutes ces disciplines ne deviennent un champ d’investigation pour « intellectuels » en mal de reconnaissances.

Analyser une musique, même brillamment, ne fait pas de son interprète un créateur accompli ou un visionnaire. Toute connaissance doit s’intégrer parfaitement pour se transformer en un langage vivant et venant du cœur. Si la connaissance est nécessaire, elle n’est qu’un tremplin pour atteindre un étage supérieur de la conscience. Or, l'un des arguments de défense des artistes autodidactes, des anti-bourrages de crâne, est de s'opposer à un trop plein de connaissances en déclarant qu'au préalable de tout acquis, on ne connaît certainement pas les conséquences que cela entraînera. La crainte de perdre une part de spontanéité en est souvent la raison première.

Cette défense légitime ne s'inscrit pas en faux étant donné qu'elle ne remet pas en cause un quelconque héritage culturel et qu'il existe aujourd'hui différentes façons d’apprendre et d’aborder le métier de la musique. Toutefois, il est certain que celui ou celle qui refuse d’apprendre par conviction ou par crainte se limite lui-même, jusqu’à prendre le risque de créer sa propre prison d’où, peut-être un jour, il ne pourra plus s’échapper.

La connaissance doit être un guide et, de fait, un élément déterminant à la libération intérieure. Pour cela, son enseignement doit être exemplaire et reposer sur un rapport authentique aux vibrations musicales de chacun. L'enseignement doit devenir comme une respiration qui permet d’expérimenter sans être écrasé par des connaissances trop intellectualisées et standardisés. Un équilibre est à rechercher. Le « toujours plus » du « pas assez » produit bien des ravages dans une discipline artistique qui rime avec sensibilité. Tout repose sur la façon d'intégrer et d'utiliser l'acquis. L’interprète doit constamment être en mesure de le canaliser tout en continuant d'élargir ses compétences à un niveau supérieur sans entrer en lutte avec lui-même.


MUSIQUE ET ACTE CRÉATIF

Toutes ces belles phrases ne doivent pas vous faire oublier aussi qu’il est difficile pour un artiste de s’exprimer sur plusieurs plans à la fois : l’audace, la libération technique et physique, l’inventivité... Bien souvent, c'est dans ses moments de remise en question, d'interrogation, que la spiritualité trouve sa place et qu'elle nous conduit à des développements philosophiques.

Si pour certaines personnes la spiritualité n’est qu’un concept intellectualisé, pour d’autres, elle est comme une réalité palpable, vécu de l’intérieur. Ainsi, quand on crée, on joue à manipuler des énergies que l’on cherche à conduire du mieux que l’on peut. Dès qu’on y plonge, on s’aperçoit vite que le physique suit également. Cet état, comme en suspension dans le temps, est si puissant, si fort, que l’on cherche à tout prix à le reconduire. Ce n’est ni une question de niveau ni de connaissances, mais simplement lié à un besoin indicible qui prend fréquemment naissance avec la connaissance de soi et sa part d’audace.

Cette force semble sans limites, capable de nous transformer, de nous entraîner dans une spirale propre à doper notre mental comme cela existe chez les grands sportifs. Une révolution intérieure prend place, bousculant notre vie quotidienne, remettant parfois en cause nos certitudes, nos croyances et faisant naître en nous des nouvelles sensations, des émotions que nous ne soupçonnions pas de découvrir. Dans ces instants, la musique prend alors une tout autre dimension et s’orne de mots glorieux : sacrée, intemporelle, cosmique… Et lorsque nous ressentons librement cette dimension au plus profond de notre être, alors, peut-être, la chance d’entrer en harmonie avec l’univers, dans un monde immatériel, devient possible.

Par ELIAN JOUGLA


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