PÉDAGOGIE



L'OREILLE MUSICALE, EXERCICES ET ÉDUCATION AUDITIVE

Si une oreille musicalement bien éduquée rend de nombreux services au musicien, ses facultés s'étendent à bien d'autres domaines. Elle contribue à avoir une meilleure diction, à mieux maîtriser les langues étrangères, à affirmer sa communication, ainsi que de palier aux problèmes de dyslexie, de troubles de la mémoire et de concentration. À tout ceci s’ajoute quelques notions plus ou moins abstraites que l’apprentissage de la musique se fera un plaisir d'évaluer : oreille relative, absolue, justesse, audition intérieure... de quoi y perdre son latin, mais pas la note !


L'OREILLE, UN ORGANE SENSIBLE

Dotée de nombreuses facultés naturelles et sensorielles, l’oreille nous permet de percevoir la complexité de milliers de sons. Au contact de notre existence quotidienne, elle élabore scientifiquement son programme. À la réception d’un son, sa première mission est de nous indiquer sa provenance et sa distance avant d’analyser, pratiquement au même instant, les différents paramètres qui constituent son identité : sa fréquence, son intensité et son timbre… Autour de cet organe si précieux, ce sont trente mille terminaisons nerveuses qui entrent en connexion. En lien avec le cerveau, l’oreille permet de saisir un nombre important de paramètres indispensables à notre équilibre.

Il existe une très jolie phrase qui dit : « L’œil conduit l’homme dans le monde et l’oreille amène le monde dans l’homme. » L’oreille est un récepteur sonore. Nous subissons d’abord le son avant de le traiter. Cet état de fait explique bien des choses... Face à un choc sonore, comme une explosion soudaine, nous n’avons aucune parade pour nous protéger. L’oreille, malgré son « intelligence » et ses pouvoirs multiples, a de multiples faiblesses dont celle d’être extrêmement sensible aux sons de grande intensité.

Dans des conditions normales, c’est à nous qu’il appartient d’aiguiller les sons, en positionnant certains d’entre eux au premier plan et d’autres en arrière-plan. Contrairement à un microphone qui capte tout ce qui lui arrive, le cerveau, via notre oreille, a le pouvoir suprême de capturer un son jusqu’à faire abstraction de tous ceux qui l’entourent. Ce mécanisme-là, qui n’a rien d’artificiel, repose avant tout sur notre attention. Dit autrement, il nous faut un tout petit peu de concentration pour percevoir un son qui provient d’un lieu précis de notre environnement.


UN SON PARMI D’AUTRES

Excepté les personnes sourdes, tous les individus ont cette capacité de choisir un son parmi des dizaines d’autres. C’est même vital, car si nous n’avions pas cette possibilité, la vie serait infernale et nous aurions toutes les chances de devenir fou. La musique que nous aimons tant se présenterait à nos oreilles comme un magma sonore informe et indigeste, tel un bruit de fond continu et sans relief sonore (acouphène).

Nous n’avons pas toujours conscience de cette faculté de discernement, parce que celle-ci s'est éduquée bien malgré nous ; encore que dans certains cas, nous aidions nos oreilles dans leur tâche quotidienne. Une quelconque chanson suffit à illustrer mon propos. À son écoute, vous remarquerez que la voix du chanteur ou de la chanteuse prédomine sur tous les instruments qui l’accompagnent. Dans le jargon, on dit que la voix est "mise en avant" ou "mixé en avant". L’intérêt de cette manip technique fort simple est de nous éviter tout effort supplémentaire pour entendre clairement et distinctement les paroles qui sont chantées. Le mixage, conduit par la sensibilité des oreilles de l’ingénieur du son, a ses priorités esthétiques et la voix plus que tout autre. Bien entendu, face à un tel constat, il n'est pas question d'évoquer ici une quelconque éducation de l'oreille, bien au contraire... et pourtant, à la lecture de ce qui va suivre, on peut se poser la question !


ÉDUQUER LES OREILLES

Dans notre société occidentale, un constat s’impose : c’est l’œil qui prédomine. La vision est surexploitée au détriment de l’audition. Ce sont 80 % des informations qui transitent par l’œil. Nous ne sommes pas (ou plus) dans le même contexte que la plupart des animaux pour qui l’ouïe est capital pour survivre. Nous oublions trop souvent que pour être mieux armé face aux agressions sonores de la vie moderne, une oreille attentive permet de se recentrer, et d'être plus réactif.

En musique, l’éveil musical n’est pas un vain mot. Un des rôles de l’enseignant est de réveiller les oreilles paresseuses qui, malheureusement, sont parfois abîmés par l’écoute de musiques trop fortes. La mission est difficile, mais pas insurmontable. Le problème avec une ouïe endommagée, c’est que tout retour à un état antérieur est impossible. Ce qui est perdu et irrémédiablement perdu ! La surdité est comme un mur solide sur lequel viendrait se briser les ondes sonores. Les appareils auditifs, malgré leurs avancées techniques, ne sont que des béquilles qui permettent de retrouver, dans le meilleur des cas, une écoute acceptable.

Pour le futur musicien, l'éducation de l'oreille est la première des « sciences » sérieuses qui se présente à lui. Sa pratique conduit à une plus grande concentration et à une prise de conscience de son « écoute intérieure ». Pour éviter tout malentendu, il faut d’abord effacer du vocabulaire des phrases toutes faites comme : « Ceux qui n’ont pas d’oreilles ne devraient pas faire de la musique » ou « Pourquoi essayer, puisque je chante faux ? » (pour info : ce n’est pas la voix de la personne qui est fausse, mais son incapacité à se représenter auditivement la mélodie dans sa tête, ce qui la conduira finalement à chanter faux).

Ces inepties conduisent trop souvent à des souffrances, à un enthousiasme qui meurt et non à une quelconque solution. L’enjeu est le suivant : Il faut déprogrammer pour reprogrammer l’oreille. Cela demande du temps, un temps que les professeurs préfèrent consacrer à des élèves qu’ils considèrent plus « doués ». Parfois, pour enfoncer le clou, la sanction tombe et les résultats aux tests sont sans appel : « Votre enfant manque d’aptitude pour suivre une formation au conservatoire. »


LA PRÉPARATION AUDITIVE

La première des solutions pédagogiques consiste à faire aimer cette recherche introspective sur le son, sa hauteur et ses caractéristiques tonales, d’abord en faisant prendre conscience à l’élève qu’il possède des facultés auditives. L’écoute appliquée de musiques diverses apporte souvent des réponses encourageantes. Pour éviter toute lassitude, les exercices d’écoute doivent être diversifiés. Si dans les faits ils sont parfois complémentaires, dans la pratique ils doivent être travaillés indépendamment. Toutefois, il est important de souligner que les connaissances intellectuelles acquises ultérieurement doivent trouver en tout ou partie leurs réponses dans l’éducation auditive de l’oreille ; preuve d'un travail bien conduit.

S’il s’agit d’un enfant en bas âge…

LES BRUITS

La première étape consiste à porter son attention sur les bruits environnants et plus particulièrement sur ceux issus de la nature, car plus diversifiés, plus « mélodiques » et généralement moins agressifs. Faites-lui découvrir des sons qu’il ne connaît pas. Il augmentera ainsi son appétit de découverte, sa curiosité.

LA HAUTEUR DE SON

La seconde étape consiste à distinguer si un son est aigu ou grave en plaçant en concurrence deux sons, puis au fur et à mesure, vous devrez réduire l’intervalle. L'usage d'un instrument à clavier est idéal.

LE MOUVEMENT SONORE

Exercice optionnel. La troisième étape jouera sur le glissement d’un son (comme celui joué par un trombone à coulisse). Monte-t-il ou descend-il ? Sur un synthétiseur, vous pouvez utiliser le portamento.

L’INTENSITÉ SONORE

La quatrième étape consistera à estimer l’intensité d’un son. Est-il plus ou moins fort que le précédent.

LA MÉMOIRE AUDITIVE

Pour cette dernière étape, vous chantez (ou jouez) une courte mélodie issue d’une chanson populaire que l’enfant connaît. À défaut, tester une comptine ou une ritournelle (genre Sur le pont d’Avignon ou J’ai du bon tabac) et vous demandez à l’enfant de la chanter tout de suite après. Deux points positifs ressortent de cet exercice-là : une meilleure confiance en soi et une plus grande chance pour que l'enfant chante avec justesse.

À partir de 7/8 ans, mais aussi pour les personnes plus âgées…

Il peut s’agir d’énumérer les instruments, de partir à leur rencontre technique comme sonore ou encore de comprendre la structure de l’œuvre et son pourquoi. Bref, un ensemble de connaissances qui stimule la réflexion et la curiosité. Il faut aussi encourager l’élève à poursuivre bien au-delà de sa propre estime.

Sauf à être mal conduit, tous ces exercices-là sont précieux et ne sont surtout pas des paravents à une bonne éducation musicale car ils préparent activement à la seconde étape : la mise en relation avec l’instrument.


L’AUDITION INTÉRIEURE

À la marge de ces exercices sur la préparation auditive existe aussi l’audition intérieure qui agit comme un révélateur en donnant libre cours à l’interprétation. Cet exercice, basée sur la mémorisation et la restitution d’une mélodie, permet d’évaluer de façon précise comment les sons sont perçus par la personne qui les chante. Par exemple, vous demandez à un enfant de chanter un air qu’il a en tête, librement, en a cappella. Ensuite, comme un jeu, il devra retrouver les notes qu’il entend avec son instrument (le piano convient très bien pour ce genre d’exercice). Si l’enfant possède un fil conducteur interne, il devrait retrouver assez rapidement les notes de la mélodie.

C’est le genre d’exercice que j’encourage, car il n’a de prise sur aucune tonalité imposée. De plus, il peut s’appliquer à une personne de tout âge et quel que soit son niveau technique. Avec l’expérience et la pratique, un musicien pourra mieux percevoir les intervalles au « feeling », mais cela l’aidera aussi à improviser, voire à lire une partition en la lisant mentalement (librement, toujours sans tonalité imposée).

L’audition intérieure est une façon « intelligente » de maîtriser son jeu sans avoir recours à de la théorie. En fait, c’est le paradis du musicien autodidacte qui peut exprimer en permanence et en toute liberté de nouvelles versions d’une même mélodie, en plaçant ici un silence ou là, une note qu'il fera traîner plus longtemps.


LA MISE EN RELATION AVEC L’INSTRUMENT

Tous les instruments n’exigent pas les mêmes règles. Comme déjà abordé à travers le cours La couleur et le timbre des accords, le pianiste a la mauvaise habitude de ne pas solliciter toute son attention quand il joue de son instrument. Au lieu d’être constamment en éveil, le pianiste devient vite un être passif, se contentant d’appuyer sur les bonnes touches pour obtenir en toute logique les sons adéquats.

À l’inverse, pour des instruments comme les cordes, les bois ou les vents pour lesquels il faut chercher et ajuster la hauteur de chaque note, le lien avec le son sera constamment dans la « vivacité » d’une attention soutenue. Un temps d’adaptation beaucoup plus long sera bien évidemment nécessaire. Le résultat est à ce prix. L’orgueil, la fierté sont à mettre également dans la balance puisque apprendre un instrument, c’est aussi et surtout relever un défi.


IL FAUT CONCLURE…

Sachez que la qualité d’une bonne oreille musicale est indépendante des notions apprises par le solfège, même si certains de ses exercices mobilisent et renforcent l’attention et la prise en compte consciente de la justesse auditive. De même, la pratique quotidienne d’un instrument ne favorisera pas la justesse de l’oreille. On peut travailler, s’entraîner sur un instrument comme le violon durant des mois sans jamais se servir correctement de ses oreilles. Si l’ouïe est « faussée », seule une aide extérieure et des exercices appliqués permettront sa rééducation.

Le travail de l’oreille est une culture, une « gymnastique des sons » qui concerne tous les musiciens, doués ou reconnus comme tels. Personne n’y échappe. Le « musicien éduqué » tirera toujours de ses oreilles un louable enseignement qui le conduira à plus de conscience et d’intelligence. Et si son oreille est absolue, il prendra alors conscience de ce qu’il entend dans l’instant présent, dans le lien direct qui associe les lois physiques aux harmonies.

par ELIAN JOUGLA

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