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POLITIQUE ET ENSEIGNEMENT MUSICAL

Cet article représente la volonté d’évoquer les problèmes d’un univers particulier : l’enseignement artistique spécialisé (les écoles et conservatoires de musique, de danse et d’art dramatique) pour les acteurs d’un autre univers artistique, parfaitement complémentaire, celui de l’éducation musicale au sein de l’enseignement général.

Le présent texte s’adresse à tout lecteur intéressé par l’enseignement artistique, mais surtout à ce qu’il est convenu d’appeler de nos jours, en matière de système culturel : les médiateurs et les décideurs. L'article ambitionne de braver l’inquiétant constat qu’une grande partie du personnel politique, tellement occupée à cimenter son empreinte dans les médias, ne consacre pas – ou plus – de son temps à se cultiver.


QUELQUES MOTS D’INTRODUCTION

À cause du « Yalta » historique qui sépare les mondes de l’éducation musicale (ministère de l'Éducation Nationale) et de l’enseignement artistique spécialisé (ministères de la Culture et, en partie, de la fonction publique territoriale), il nous est apparu utile de rappeler d’abord aux acteurs du premier la situation et les différents problèmes qui frappent le second. Les propos qui suivent ne nous permettant pas de traiter de la totalité de ces aspects en un seul article, avons-nous décidé de nous centrer déjà sur la confusion qui marque la réflexion politique à propos de quelques-uns de ces aspects seulement.


Un rappel : la situation française des établissements d’enseignement de la musique, de la danse et de l’art dramatique (l’enseignement artistique spécialisé)

À côté de l’enseignement artistique dispensé au sein de l’enseignement général – notamment la discipline musique dénommée éducation musicale – prodigué par les 65.000 établissements de l’Éducation nationale (écoles primaires, collèges, lycées) et ceux placés sous la tutelle du ministère de l’Agriculture (lycées agricoles) ou au sein de certaines universités et grandes écoles (enseignement supérieur), il existe un autre domaine, qualifié d’enseignement artistique spécialisé, relatif à l’enseignement de la musique (majoritaire), de la danse et de l’art dramatique, délivré au sein d’un ensemble qui rassemble environ 4.500 établissements en France : les écoles et conservatoires de musique. Ceux-ci ne sont bien sûr pas à confondre avec des centres de loisirs ou des centres d’animation ! [en cette matière, relire le texte fondamental d'Hannah Arendt : La crise de la culture (Paris, Gallimard, Folio essais, 1972, 380 p.)].

Le nombre de ces établissements d’enseignement s’est progressivement accru à partir des années 1970, lorsque la notion de culture est devenue une composante importante du développement économique des collectivités locales : les responsables politiques de terrain – notamment les maires – ont alors commencé à prendre conscience d’une forte demande de politique(s) culturelle(s) de la part de leurs populations administrées, constituées de classes moyennes émergentes.

À la suite d’une vague de premiers équipements (centres sociaux, crèches, cantines, gymnases, stades…), se sont ainsi multipliés les équipements dits culturels : centres culturels, MJC, écoles et conservatoires de musique, salles polyvalentes, auditoriums, salles de théâtre, etc. À Paris par exemple, il a fallu attendre la décennie 1980-1990 pour voir enfin s’édifier des locaux spécifiques offerts aux dix-sept conservatoires municipaux d’arrondissement de la Ville (CMA), soit près d’un siècle après la création des premiers cours municipaux de musique (en 1900, dans le 18e arrondissement). La rénovation, l’extension ou le renouvellement de ces locaux, qui aujourd’hui se révèlent insuffisants ou inadaptés, commencent à se mettre très doucement en place (2e mandature municipale du XXIe siècle : 2008-2014).

Contrairement à l’enseignement général, placé sous la tutelle directe de l’État (des ministères de l’Éducation nationale, de l’Agriculture, de l’Enseignement supérieur) qui le finance dans sa quasi-totalité (ses personnels – professeurs des écoles, des collèges, des lycées, des universités – dépendent majoritairement de la fonction publique d’État, soit pour 2013, 41 % du budget total du ministère de l’Éducation nationale : ce qui représente, après le remboursement de la dette, le premier poste de dépense de l’État avec ses 90 milliards d’€), l’enseignement artistique spécialisé reste un domaine éclaté, essentiellement du ressort des collectivités territoriales : une grosse moitié des établissements du domaine relève du droit privé (secteur associatif, peu ou prou subventionné par les collectivités locales, qui se doit d’appliquer et respecter la convention collective nationale de l’animation) ; une petite moitié des établissements du domaine est constituée d’établissements territoriaux (essentiellement gérés en régie directe par des communes ou par des établissements publics de coopération intercommunale [EPCI]).

La structure polymorphe de l’enseignement artistique spécialisé est due à l’histoire même de sa constitution et de sa mise en place progressives sur le territoire [sur l’histoire de ces établissements, consulter l’essai de l’auteur : L’Enseignement de la musique en France ]. Vouloir gérer ces deux domaines – enseignement général et enseignement spécialisé – d’une semblable manière (relire pour exemple les textes réglementaires produits par le ministère de la Culture) en laissant ces spécificités fondamentales de côté, restera voué à l’échec.

Pour clore cette introduction, précisons que les appellations école de musique ou bien conservatoire de musique, qui semblent traduire des structures différentes, ne délimitent en fait aucune différence et n’ont aucun fondement juridique particulier, hormis depuis 2006 [arrêté du 15 décembre 2006, J.O. du 29 décembre 2006, fixant les critères du classement des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique] pour les quelque 300 établissements dits « classés par l’État », qui utilisent les sigles CRR, CRD, CRC ou CRI. Pour la clarté de l’exposé, rappelons la signification de ces sigles :

  • CRR : conservatoire à rayonnement régional, anciennement conservatoire national de région.
  • CRD : conservatoire à rayonnement départemental, anciennement école nationale de musique de danse et d’art dramatique.
  • CRC : conservatoire à rayonnement communal, anciennement école ou conservatoire municipal.
  • CRI : conservatoire à rayonnement intercommunal, anciennement école intercommunale de musique, de danse et d’art dramatique (en soulignant qu’il s’agit d’établissements qui demeurent malgré tout financés en quasi-totalité par des collectivités territoriales).

De plus, le recours à l’une ou l’autre de ces appellations – école ou conservatoire – diffère selon des usages locaux, suivant que l’on se trouve dans la région parisienne – ou sa banlieue – ou que l’on réside en province.


1 - Les établissements d’enseignement de la musique, de la danse et de l’art dramatique : leurs maux

Pour une commune ou un EPCI, son école de musique ou son conservatoire de musique représente le premier poste – ou l’un des tout premiers postes – de dépense budgétaire. De ce fait, ne nous étonnons pas que ces établissements spécialisés attirent les regards et concentrent sur eux l’attention des décideurs politiques, car ils leur procurent à tout le moins quelques préoccupations. En effet, indépendamment d’un budget d’investissement non négligeable (construction du bâtiment ou mise à disposition de locaux [le cas échéant], achat d’instruments de musique divers [pianos, percussions, contrebasses…], de matériels pédagogiques, de musique imprimée [partitions, manuels et méthodes, partitions d’orchestre et d’ensembles instrumentaux], de livres, d’enregistrements audio/vidéo [CD, DVD]…), le budget de fonctionnement d’une école ou d’un conservatoire de musique se trouve affecté d’un accroissement régulier et inéluctable, ce pour au moins deux raisons :

  • Le salaire des enseignants – part la plus importante du fonctionnement – subit une revalorisation mécanique (suivant en cela les évolutions fixées soit par la convention collective de l’animation [droit privé], soit par les barèmes des carrières de la fonction publique territoriale [droit public], fonction du GVT : glissement vieillissement technicité)

  • Les élèves se doivent de recevoir un temps d’enseignement alloué qui augmente fatalement en fonction de leur progression dans le cursus (temps des cours individuels rallongé ; rajout de plusieurs disciplines théoriques et collectives [écriture, culture musicale, orchestres, ensembles vocaux ou instrumentaux, musique de chambre, improvisation, MAO…]).

Il faut aussi se rendre compte qu’une augmentation du nombre d’élèves débutants pour bénéficier à court terme d’une masse financière plus importante constituée de leurs frais de scolarité (droits d’inscription acquittés par les familles), ne sera en aucun cas une solution puisque ce plus de recrutement en début de cursus ne fera que faire refluer le problème dans le temps, en encourageant à terme une augmentation différée mais fatale du budget de fonctionnement de l’établissement, non compensée par les départs des plus grands élèves.

Face au constat de l’accroissement inévitable du poids financier d’une école ou d’un conservatoire de musique, qu’advient-il alors inévitablement : le(s) responsable(s) politique(s) – quelle que soit son (leur) orientation – se sent(ent) subséquemment investi(s) d’une mission de réforme ou de réorganisation de son (leur) établissement local. Et c’est là que le bât va blesser, puisque, à partir de ce moment, la structuration pédagogique de l’établissement va presque toujours endurer des considérations et/ou des contraintes sérieuses, qui lui seront extérieures, formulées et impulsées par des décideurs qui ne connaissent pas grand-chose aux exigences pédagogiques de l’enseignement artistique spécialisé, habités qu’ils sont de représentations mentales en général assez éloignées de la réalité. Au mieux, ces décideurs accepteront-ils peut-être de prendre l’avis de leurs équipes enseignantes (au minimum celui du directeur ou du responsable coordinateur).

Les conséquences de cette prise de conscience se retrouveront presque toujours les mêmes et ouvriront inlassablement sur les quelques éternelles questions vite posées. Ainsi, puisque le responsable politique constate qu’entretenir un tel établissement revient « toujours trop cher », il se dit in petto ou bien déclare haut et fort :

- «  Quel est le retour sur investissement du financement par notre collectivité d’une école ou un conservatoire de musique ? À combien revient un élève ? » Faire préciser à l’établissement quelle est son ouverture réelle Voir s’il poursuit bien la réalisation sur la cité ; d’un projet d’établissement cohérent.

« L’établissement ne prodiguerait-il pas un enseignement élitiste, qui ne serait donc pas en phase avec notre volonté politique de démocratisation culturelle ? Ne pourrait-on pas multiplier les cours collectifs en chargeant leurs effectifs d’élèves, car ces cours sont moins onéreux et donc plus rentables ? D’autant que, d’après les textes officiels du ministère de la Culture (« source » qui, dans ce cas, est immanquablement appelée en secours !), la mission première de ces établissements serait de former des amateurs ? »

· « L’enseignement prodigué par l’école ou le conservatoire de musique est-il réellement en prise directe avec notre époque ou ne reste-t-il pas trop conservateur ? L’établissement ne peut-il avoir davantage recours au numérique à tous les niveaux pour réduire et limiter le nombre d’enseignants ? Ne peut-on pas développer, dans une plus grande proportion, l’accès aux musiques actuelles, aux musiques extra-européennes, aux autres cultures communautaires ? »

· « Les enseignants (musiciens, danseurs, comédiens) ne bénéficient-ils pas d’un statut dérogatoire par trop avantageux (16 heures d’enseignement pour les professeurs territoriaux, 20 heures pour les assistants territoriaux) ? Ne pourrait-on pas les utiliser davantage (comprendre hors du légendaire : « face à face pédagogique » ?  »


2 - Les confusions des politiques : quelques propositions pour les réduire.

Passons en revue quelques-unes des réflexions – ces quasi-réflexes ? – politiques rappelées ci-dessus, que nous ne manquons pas de continuer à rencontrer aujourd’hui un peu partout en France (mais depuis presque une trentaine d’années maintenant !), peut-être à cause – mais pas seulement – des effets de la « crise », et n’hésitons pas à en commenter certains, en espérant que nos remarques pourront, un tant soit peu et en toute humilité, éclairer – ou, à tout le moins, faire réfléchir – quelques-uns des décideurs politiques (élus municipaux ou associatifs) encore enfoncés dans une certaine confusion, et qui accepteraient d’examiner d’une manière un peu plus juste ces différents éléments.


La confusion en matière de « retour sur investissement »

Il va de soi que les investissements réalisés en matière de culture doivent faire l’objet de deux considérations parallèles, l’une sociale, l’autre économique.

· L’investissement social doit être regardé à l’aune de son impact indirect, mais fondamental, sur les citoyens. Comme le rappelle si bien Pierre Moulinier :

« À la décharge des responsables des politiques culturelles nationales ou locales, rappelons que […] l’impact majeur d’une action culturelle est immatériel, qualitatif et, s’il y en a un, il est indirect. Travailler au développement culturel, c’est œuvrer pour l’expansion de la beauté, de l’intelligence, de la créativité artistique, de l’agrément de la vie, pour le mieux-être, le renforcement de l’identité personnelle et collective, le développement du sens critique ou de la participation citoyenne. » [Pierre MOULINIER, Les politiques publiques de la culture en France, Paris, P.U.F., « Que sais-je » 3427, 1999, 128 p., p. 105.].

· L’investissement économique doit être évalué au moyen d’outils adaptés, par exemple grâce à l’analyse d’impact économique en matière d’action culturelle (technique économique développée à partir des années 2000 en Amérique du Nord et encore peu connue ou peu maîtrisée en France) : cette démarche permettra d’évaluer ce que « rapporte » réellement l’investissement d’un euro de la part du financeur-décideur d’un projet culturel sur un territoire donné (1,10 € ? 1,20 € ? 1,50 € ?…) [consulter notamment de Yann Nicolas : Les Premiers Principes de l’analyse d’impact économique local d’une activité culturelle, Paris, Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), ministère de la Culture, avril 2007, document CM-2001-1, 8 p.].

Aujourd’hui, les premiers – souvent les seuls – arguments avancés par de nombreux responsables politiques se réduisent à :

  • Combien de citoyens touchés ? : c’est assurément toujours beaucoup trop peu en regard de la population totale et surtout du nombre des supposés électeurs desdits responsables.
  • Quel est le coût par élève pour la collectivité ? : c’est évidemment toujours beaucoup trop en regard du budget de ladite collectivité.

De là, ces responsables s’estiment tout à fait « fondés » à demander en retour beaucoup et plus encore à l’établissement.


La confusion en matière d’« élitisme » supposé des écoles et conservatoires de musique et de leur enseignement

« Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Ce proverbe, très ancien, semble qualifier les critiques souvent entendues contre les écoles ou les conservatoires de musique, de danse et d’art dramatique. Rappelons d’abord que les mots « élitisme » et « élitiste », dans leurs sens récents (1967, 1968), sont « devenus usuels pour évoquer la tendance à maintenir et développer les hiérarchies socio-intellectuelles. » [d’après Le Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992, volume I, 1 156 p., p. 673.]. Il s’agit donc d’un problème inhérent à l’organisation structurelle de la société et non pas du rôle supposé des établissements d’enseignement artistique qui adopteraient une telle démarche en ce domaine. D’ailleurs, il va de soi, pour tout observateur un tant soit peu objectif et lucide, qu’aucune structure d’enseignement artistique spécialisé ou qu’aucun de ses maîtres de musique, de danse ou d’art dramatique n’affiche ni ne se réfère à un tel programme aux relents de « culture bourgeoise » : tous les élèves qui le souhaitent doivent pouvoir s’y inscrire – et le peuvent –, sauf si l’insuffisance de moyens mis en œuvre par le décideur-financeur les en empêche (en termes d’insuffisance de locaux et/ou de budget accordés).

D’ailleurs, s’agirait-il là du seul « élitisme » rencontré, car cette insuffisance de moyens n’autorisera une place qu’aux enfants des seules familles arrivées en premier et bien au fait des procédures d’inscription mises en œuvre (queues d’attente – campements – devant l’établissement, appels téléphoniques réitérés sans interruption par plusieurs membres des familles mobilisés pour cela…). À l’évidence, accuser les écoles et conservatoires de musique d’aider au « renforcement » des inégalités socioculturelles de la société est une absurdité pitoyable.

La confusion en matière de publics enseignés

Les textes officiels du ministère de la Culture, relatifs à l’enseignement artistique spécialisé et que d’aucuns appellent à leur secours comme déjà écrit, présentent depuis quelques années une assertion quelque peu spécieuse qui définirait comme leur mission principale le fait que les écoles et conservatoires de musique, de danse et d’art dramatique ont à former des amateurs. Le recours assez systématique à l’opposition amateur/professionnel est apparu, notamment depuis les années 1970, dans les études développées par les sociologues de la culture et des « pratiques culturelles », et adopté sans trop de précautions par beaucoup de décideurs politiques. Les pouvoirs publics ayant eu besoin d’évaluer la portée et les résultats de l’action culturelle mise en œuvre dans leurs politiques culturelles, plusieurs administrations chargées de réaliser de telles études se sont trouvé mises en place. Au travers de leurs travaux(2) sont ainsi apparues différentes taxinomies, parmi lesquelles ont émergé les notions de pratiques culturelles et la classification afférente de pratiques amateurs (notons que dans ces études, on utilise d’ailleurs assez peu ou même pas du tout la notion de pratiques professionnelles).

Cette proximité avec les sciences humaines a fait que, par quelque incohérence intellectuelle et par démagogie certaine, les pouvoirs publics ont alors décidé de s’occuper des adeptes des « pratiques culturelles amateurs », cohortes nombreuses s’il en est, notamment en matière de jardinage. De ce fait, beaucoup de politiques serinent-ils aux responsables et aux enseignants des écoles et conservatoires de musique que leur public est constitué d’amateurs. C’est évidemment inexact : ces établissements forment des élèves artistes, au moyen d’un enseignement artistique de qualité. D’ailleurs, qui pourrait définir ce que devrait être un « enseignement pour amateurs » ? Au cours préparatoire, si les élèves étaient considérés en tant qu’amateurs, leur apprendrait-on alors à ne lire que le nom des rues ?


La confusion en matière d’adéquation avec l’époque

La période actuelle, imbibée par la propagation de produits culturels standardisés, fabriqués de manière industrielle (musiques de variété, sons Internet compressés, littérature commerciale…), et soumise à la mode du « tout-numérique », qui semble être devenu un progrès indispensable [alors qu’en 2013 il ne nous est déjà plus possible de consulter des disquettes informatiques (Mini Floppy Disks) inventées il y a seulement trente ans en 1984, nous arrivons cependant toujours à accéder à un texte écrit il y a 2000 ou 3000 ans (sous forme de hiéroglyphes sculptés, ou sur un papyrus…) !]), cette période, disions-nous, permet aux politiques – dont certain baignent déjà dans une « inculture » certaine (nous n’aurons point la cruauté de rappeler certains exemples venus de très haut…) – d’exiger de leurs établissements d’enseignement artistique qu’ils suivent ces modes  : ils se devront de réserver une plus grande part à l’enseignement des musiques dites « actuelles » (qui resteront actuelles jusqu’à quand, d’ailleurs ?), à la MAO (musique assistée par ordinateur), au recours au tout-numérique, mais aussi prendre en compte les cultures de différents groupes communautaires environnants, afin de satisfaire – sans le dire – davantage d’électeurs potentiels (cours de oud, de danse orientale…).

Il s’agit là encore d’une confusion des genres : sous couvert d’ouverture sur la société contemporaine, le politique « mord » sur le domaine technique de l’enseignement artistique, animé par le temps contraint de la durée de son mandat et par l’espérance de sa réélection, se mêlant de choses qui n’entrent évidemment pas dans ses compétences. Selon l’Adjoint à la Culture de la Ville de Paris, qui s’exprime dans un article de La Lettre du Musicien devenu célèbre [signé de Pierre WOLF-MANDROUX : « Paris reporte la réforme de ses conservatoires », La Lettre du Musicien, n° 431, avril 2013, pp. 81-83], les enseignants des conservatoires auraient « fait des progrès » ! : « Je ne considère pas du tout que les conservatoires sont élitistes. Leurs professeurs ont d’ailleurs réalisé des progrès pédagogiques considérables à ce niveau. » De quels progrès s’agirait-il ? Sous quelle forme ? Parmi les « multiples » compétences artistiques de ce décideur, lesquelles lui permettent d’estimer une telle chose ?


La confusion en matière de statut

Les discussions des années 1990/91, préparatoires à la création de la filière culturelle de la fonction publique territoriale, avaient fixé le temps plein du travail des enseignants artistiques spécialisés à 16 heures pour les professeurs et à 20 heures pour les assistants. Ce statut, dûment argumenté par le fait qu’il s’appliquait à des artistes tenus de continuer à travailler leur discipline pour la qualité de leur enseignement (instruments, danse, comédie, voix), n’a pas manqué de créer une jalousie certaine de la part de plusieurs autres cadres d’emploi.

Les actuelles contraintes budgétaires et cette jalousie ancienne aidant, les écoles et conservatoires de musique semblent ainsi aujourd’hui l’objet d’attaques en règle, tant des politiques de gauche que de ceux de droite : parmi plusieurs questions récentes discutées au Parlement à ce sujet, consulter par exemple la question écrite n° 04121 du sénateur du Calvados (UMP) Ambroise DUPONT, posée à la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique (J.O. du Sénat du 24/01/2013, p. 252) sur la situation des professeurs de musique territoriaux.

De plus, et simultanément, réapparaît aussi dans les tentatives de réécriture ou d’amendement des textes statutaires des enseignants artistiques territoriaux, la très dangereuse notion de face à face pédagogique. Pour bien comprendre le danger inhérent qu’elle recèle, soulignons que cette notion laisse subodorer qu’il pourrait exister une possibilité d’employer les enseignants artistiques « hors » de leur seul face à face pédagogique (d’autant que le temps de congé d’un fonctionnaire n’est que de cinq fois son temps de service hebdomadaire). D’où la très forte tentation – récurrente chez certains décideurs – de « rentabiliser » les horaires – dérogatoires, mais dûment justifiés – des enseignants artistiques, « en utilisant » ces derniers, notamment pendant les vacances scolaires. Cela a été le cas pour la Ville de Paris [avec le risque de créer un précédent pour le reste du pays] (délibération 2013 DAC 468, soumise au vote du Conseil de Paris et adoptée le 9 juillet 2013).

Rappelons aux plus jeunes lecteurs, qu’en 1990/91, grâce à une très forte mobilisation des acteurs de l’enseignement spécialisé, la notion de « face à face pédagogique » avait pu être retirée des textes préparatoires à la création de la future filière culturelle de la fonction publique territoriale. Car, il va de soi qu’en dehors de ce face à face pédagogique, l’enseignant se doit de toujours travailler son instrument, préparer ses cours, se produire [spectacle vivant], etc.


Pour conclure

Nous continuons à constater qu’en matière d’enseignement artistique spécialisé, de nombreuses confusions perdurent dans l’esprit de moult responsables politiques. Il s’avérerait donc nécessaire que certains parmi ceux-ci révisent et actualisent les chromos qu’ils entretiennent quant à cet enseignement et quant aux établissements – écoles ou conservatoires de musique, de danse et d’art dramatique – dont ils ont la tutelle : face à l’inexistence d’une centralisation régalienne de ce secteur au niveau national (contrairement à l’enseignement général), une concertation étroite avec des responsables compétents et des pédagogues et personnels représentatifs de ces établissements s’impose impérieusement à eux, afin de ne pas obérer plus avant le devenir d’un très important secteur de la vie culturelle française, que beaucoup d’autres pays nous envient (Rappelons qu’il y a quelques années, un célèbre Secrétaire d’État américain a demandé et obtenu d’assister et de participer à un cours de « solfège » à la Française dans un conservatoire parisien).

par Gérard Ganvert (paru dans l'Éducation Musicale  - 07/2014)


À PROPOS DE GÉRARD GANVERT

Musicologue et essayiste, auteur de L’enseignement de la musique en France, Situation – Problèmes – Réflexions, Paris, L’Harmattan, 1999, 230 p. Ancien professeur associé (1997-2012) à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV). Chargé d’enseignement à l’Université de Versailles-Saint-Quentin (depuis 2010). Formateur auprès du Centre national de la fonction publique territoriale CNFPT (projet de e-learning FOREMI France) et d’UNIFORMATION. Chargé de mission en matière de formation, d’information et d’inspection au sein de la Société des éditeurs et auteurs de musique (SEAM) (depuis 1997). Membre fondateur (1985) de la revue Analyse Musicale. Ancien directeur général de la FNUCMU (aujourd’hui FFEM) (1984-1998). Professeur de conservatoire à Paris (depuis 1976).

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