PÉDAGOGIE



LE SOLFÈGE, LE MAÎTRE-MOT DE L'ENSEIGNEMENT MUSICAL

Il fut un temps, pas si lointain, où les écoles et conservatoires imposaient systématiquement une année ou deux de connaissance en théorie et solfège avant de commencer l’instrument. La réponse à cette exigence reposait sur le constat que sans savoir lire les notes de musique, il ne pouvait exister aucun avenir musical construit. Bien entendu, dans les faits, l’histoire a souvent prouvé le contraire...


QUAND LE SOLFÈGE A « MAUVAISE PRESSE »

Au regard de cette position intangible, de cet aveuglement, il va de soi que le solfège a certainement eu et aura encore le tord de freiner le talent de personnes douées pour la musique. Ce manque de tolérance, cette conception à sens unique de l’apprentissage de la musique nous éloignent de la notion fondamentale de ce que doit être une démarche artistique réussie.

Le solfège raconte la même histoire à tout le monde, et c’est peut-être là son grand tort. Alors que chaque instrument développe et impose sa propre orientation technique, sous prétexte d’être un outil servant à communiquer, le solfège est resté un langage uniformisé depuis le 17e siècle. Et si l’on excepte les quelques écarts de conduite du 20e siècle et de ses écritures (qui demeurent cependant marginaux), la musique s’étudie toujours d’après de vieux schémas, faute de vouloir remettre en question ses fondamentaux.

Le solfège que nous utilisons à travers les « instruments classiques » est utile, mais c’est la façon de l’intégrer qui parfois ne convient pas. En priorité, il faudrait placer la sensibilité aux sons au cœur des réflexions personnelles, et ne pas les réserver à une élite qui serait plus à même, soi-disant, de les comprendre. Ce n’est pas une question d’âge, car un jeune enfant est déjà extrêmement sensible à la perception des sons qui l'entoure. C’est une question d’éducation et non de moyens.

Le solfège a surtout « mauvaise presse » parce qu’il demeure obligatoire dans les conservatoires et les écoles. En agissant ainsi, on brise l’élan naturel, on cherche à dresser la pensée intellectuelle et on élude une grande partie des sensations qui construise la personnalité, artistique ou pas. De plus, les notions de solfège demeurent abstraites tant que le lien avec l’instrument n’est pas construit. L’enfant qui apprend d’abord le solfège avant l’instrument se retrouve sur les bancs de l’école avec des définitions théoriques, des schémas et un langage analytique qu’il doit admettre sans qu’il sache sur le fond quelle sera la portée de ces connaissances vis-à-vis de l’instrument.

Face à la rigidité du solfège, certains répondront que son usage intensif n’a jamais empêché la musique d’avoir de grands compositeurs et d’habiles instrumentistes. C’est vrai, mais à quel prix ? D’une façon globale, je reste persuadée que le niveau recherché en musique par la grande majorité des gens n’est en aune façon guidé par cette tentation d’appartenir à une élite ou à devenir des êtres d’exceptions. Toutefois, si tel était le désir, il serait alors nécessaire de trouver de meilleures solutions que celles utilisées actuellement pour que le socle puisse s’élever. Seules les écoles privées et les professeurs indépendants peuvent ou pourraient prétendre atteindre de tels objectifs en minimisant déjà au maximum le nombre d’abandons dès la première année.

De nos jours, de plus en plus de professeurs se soulèvent contre cette course à l’élitisme. Pour se construire, l’être humain ne devrait pas devenir un individu formaté, outrageusement spécialisé. Il ne devrait pas, non plus, vivre ou survivre à travers des divisions internes qui le pousse à s’affronter en permanence. Un véritable enseignement digne d’intérêt ne fractionne pas. Il construit un être harmonieux qui possède à la fois un corps libéré et un raisonnement construit autour de valeurs et d’émotions positives. Développer une intelligence purement intellectuelle au détriment des autres facultés - sensorielles et physiques - est une erreur que l’on rencontre encore trop souvent.


UN APPRENTISSAGE POLITIQUEMENT CORRECT

Si les conservatoires et les écoles nationales de musique bénéficient de quelques subventions de l’État et sont contrôlées sur le plan pédagogique par le ministère de la Culture, ce n’est pas le cas des écoles municipales (agréées et non agréées) qui sont majoritaires en France. La priorité étant de répondre à la demande des habitants de la commune, on constate généralement un manque de réflexion concernant les méthodes d’apprentissage qui sont mises en œuvre.

La mission de l’école de musique municipale est multiple : artistique et culturelle à la fois, mais aussi économique, ce qui sous-entend aussi des implications politiques. Malgré la volonté sincère d’apporter aux plus démunis l’accès à l’étude d’un instrument, on ne peut s’empêcher de penser que si l’école municipale déniche un jour un jeune virtuose, ce sera pour elle un atout supplémentaire pour obtenir des subventions et une certaine reconnaissance.

Il faut savoir également que chaque jeune virtuose qui ira parfaire la réputation de l'école municipale en entrant au conservatoire ne deviendra pas nécessairement un musicien professionnel. Statistiquement, ils sont même très rares à le devenir (moins de 10 %). Trop d’obstacles, trop de barrières se dressent, sans compter les facteurs liés au temps de l’apprentissage qui durent au minimum une dizaine d’années, de l’énergie gaspillée inutilement par manque de communication et d’appréciation, sans oublier le choix de l’instrument qui se révèle parfois à l’opposé du véritable désir, faute d’avoir eu le choix ou la chance d’en essayer plusieurs !

Quant aux examens, ils n’ont jamais démontré leur véritable utilité. Souvent perçu comme une sanction, ils ne sont que le reflet momentané d’une compétence instrumentale... car une fois lâchée dans l’arène médiatique et celui des grands soirs, tout change ! Il est alors grand temps de s’adapter à la réalité, à la pratique du jeu collectif, à la vie ordinaire du musicien, de la course au cachet, des rivalités, des jalousies, autant de désillusions et de difficultés qui arrivent soudainement, et pour lesquelles le jeune musicien n’est jamais préparé.

Par ELIAN JOUGLA


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