HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE JAZZ
Compositeur à succès, Dave Brubeck a reçu une formation classique par Darius Milhaud. Il doit une grande partie de la reconnaissance de son quartet par la présence du saxophoniste alto Paul Desmond. Il a fait preuve d'originalité, à travers quelques-unes de ses compositions, en employant des mesures peu répandues dans le jazz des années 1960 : le 5/4 pour Take Five et le 9/8 pour Blue Rondo à la Turk.
DAVE BRUBECK : BLUE RONDO A LA TURK
Les expérimentations du Quartet de Dave Brubeck, avec des mesures inhabituelles en jazz comme Blue Rondo a la Turk et Take Five, permit à des millions de jeunes auditeurs enthousiastes de découvrir dans le jazz moderne de nouvelles régions inexplorées. À cette époque où le rock fait son apparition, tandis qu'en France, le jazz entonne ses dernières mesures dans les caveaux de Saint-Germain, la musique de Dave Brubeck, arrive là où on ne l'attend pas. Sa musique ne se danse pas, elle s'écoute comme celle d'un "modern jazz quartet". Dave Brubeck, ne rompt pas avec une certain classicisme, car le style est bien "West-Coast" ou si vous préférez appartenant au courant " Cool Jazz ".
Non, si Carmen McRae, Al Jarreau ou Claude Nougaro ont choisi et re-adapté deux des plus célèbres morceaux du quartet de Dave Brubeck : Take Five et Blue rondo à la Turk, ce n'est pas un hasard. En réalité, c'est dans l'utilisation de la rythmique et de la signature qu'il faut voir la nouveauté. Le modernisme de ces deux morceaux, apparus à la fin des années 1950, osait pour une fois rompre avec le traditionnel 4/4 très courant dans le jazz.
Alors que le morceau Take Five est de façon constante en 5/4, du début à la fin, il n'en est pas de même pour le morceau Blue rondo à la Turk. Si le thème de celui-ci est bien original avec sa signature en 9/8, l'improvisation, elle, est basée sur une rythmique en 4/4 des plus classique et même "bluesy".
Ces deux morceaux, outre leurs signatures, ont comme autre point commun, une mélodie à l'écriture "swingante". D'ailleurs, tout est résumé dans l'adaptation française écrite par Claude Nougaro pour le morceau Blue Rondo à la Turk sous le titre A bout de souffle".
Dans la version originale, Take Five marque un tournant par l'utilisation d'un riff de basse obsessionnel couplé à celui du piano, sur lequel le batteur Joe Morello use et joue des silences comme des roulements de caisse claire pendant son chorus. On nage en plein jazz modal, à une époque où le jazz commence à lorgner du côté des aventures avant-gardistes du free jazz.
L'expérience sera renouvelée en 1961 avec l'album Time Further Out dont la pochette reproduit un tableau du peintre Miro. Le rythme de chacun des morceaux présents sur cet album est inspiré par les chiffres qui figurent sur le tableau.
Sur cet album figure un morceau en 7/4 intitulé Unsquare Dance composé à l'origine pour décourager le public des concerts qui ont l'habitude de marquer le rythme en frappant dans les mains, souvent à contretemps. Le rythme en 7/4 à quelque chose de "bancal" dans le sens où il associe une mesure 4/4 à une mesure 3/4 ce qui rend la tache difficile à tout musicien qui s'y aventure. D'ailleurs, à la fin de l'enregistrement du morceau, le batteur Joe Morello laisse échapper un rire, bien content de s'en sortir aussi bien après un tel exercice. Cela démontre une fois de plus la difficulté du rythme, mais aussi son importance comme axe central des musiques actuelles.
Sur le même album figure deux morceaux qui s'enchaînent et portant la même signature que Take Five, il s'agit de Fare More Blue et Fare More Drums. Contrairement à Take Five où Dave Brubeck soulignait de façon discrète le riff à 5 temps au piano pendant le chorus du batteur, dans le morceau Far More Drums, Joe Morello joue vraiment seul. Le style est au minimum de son expression, il se veut le plus épuré possible.
Un des musiciens important de ce quartet est le saxophoniste alto Paul Desmond. Non sans humour, il disait de lui : "Vous pouvez facilement me reconnaître, parce que, lorsque je ne joue pas, ce qui se produit étonnamment souvent, je reste appuyé contre le piano.". Paul Desmond derrière ses lunettes, avec cet humour à froid, avait un air faussement détaché, nonchalant. Modeste, il était des quatre musiciens du groupe, de loin le plus intéressant, le plus attachant. C'était l'âme de ce groupe. Il a trouvé là, pendant plusieurs années, un moyen de se sécuriser, de gagner sa vie et de voyager. La célébrité, il n'en avait pas besoin et il tournait en dérision toute question abordant ce sujet.
Musicien original, influencé par les grands maîtres du saxophone jazz, comme Charlie Parker, Johnny Hodges ou Lee Konitz, le plus proche de son style, sa sonorité délicate était dotée d'un léger vibrato et son invention mélodique toujours en éveil, maniant avec habileté les rythmes et les trouvailles harmoniques, par curiosité comme par goût.
Il jouera pendant 17 ans avec Dave Brubeck et ne connaîtra le succès qu'à travers ce long séjour au sein de ce quartet quelque peu atypique. Il aura été le plus écouté des altos de sa génération, préférant à d'autres moments de sa vie, le plaisir de la solitude ou celui de la littérature. Il décédera prématurément en 1977.