LES QUESTIONS DU CANDIDE



DEVENIR MUSICIEN, UN APPRENTISSAGE SEMÉ D'EMBÛCHE

Si vous aimez la musique et que vous souhaitiez apprendre à jouer d'un instrument, vous devrez faire face à des questions pratiques et techniques : Quel instrument choisir ? Au bout de combien de temps saurai-je jouer ? Quel style de musique aborder ? Quel genre de professeur dois-je rechercher ?… comme à des questions plus personnelles : Ai-je les capacités ou le profil pour devenir un musicien, même amateur ? Ai-je une culture musicale suffisante ? Suis-je capable d'expliquer mes goûts, mes souhaits, mes ambitions ? Etc.


VOUS, LA MUSIQUE ET LE PROFESSEUR

Devant tant de questions, le musicien candide se sent souvent désarmé. Un mauvais choix peut être lourd de conséquences. Mieux vaut se poser les bonnes questions et ne pas définir son choix sur un professeur ou sur un instrument dans la précipitation. Il est toujours bon de prendre son temps. L'apprentissage de la musique demande de la réflexion. Elle appartient au domaine artistique, ce qui implique une approche pédagogique toute particulière.

Étant débutant, comment ne pas se tromper ?

Sachez que votre décision ne doit pas vous engager pour une courte durée de quelques mois. En si peu de temps, vous n'apprendrez rien de solide. Vous n'aurez consolidé aucune connaissance, ni acquis les réflexes de base pour démarrer convenablement l'étude d'un instrument. Dès que vous cesserez votre activité musicale, les connaissances et les acquis s'évanouiront aussi vite qu'ils sont apparus.

Suivant votre choix et le but à atteindre, les possibilités qui s'offrent à vous peuvent être très variables. Aujourd'hui, il est très facile de prendre des cours de piano ou de guitare. Même les rudiments de l'arrangement musical, de la composition moderne ou du travail en home-studio peuvent s'apprendre dans des structures privées. Le choix est vaste, même si tout n'est pas exempt de critiques. Si votre recherche se porte sur Internet, vous remarquerez rapidement que la grande majorité des sites d'éducation musicale est malheureusement trop axée sur l'enjeu commercial et non sur l'information. Cependant, avant de trouver le lieu idéal et de connaître les conditions d'exercice, il ne serait peut-être pas inutile que vous vous posiez certaines questions… pas sur l'école, ni sur la méthode ou sur le professeur… mais sur vous !

Dans la précipitation, il arrive trop souvent que l'on oublie l'essentiel : la raison profonde qui vous attire vers la musique !… Est-ce la nature de l'instrument, sa sonorité ? Est-ce pour briller de mille feux ou pour se faire remarquer ? Est-ce par mode ou par imitation ? Est-ce par convenance sociale ou est-ce par goût de la performance ou du savoir ? Les questions sont nombreuses et méritent vraiment réflexion.


LE GRAND SAUT VERS L'INCONNU

Quand on place la musique sur un plan créatif, l'exigence n'est pas la même que lorsqu'on y accède par des connaissances et des pratiques "scolaires", comme le déchiffrage d'une partition. Ces propos ne cherchent pas à mettre en comparaison ou en concurrence la façon d'aborder l'étude de la musique. Non, le mot "exigence" se situe dans les capacités de la personne à accéder ou pas à un enseignement type : lecture, improvisation, création, technique, déchiffrage, etc. Il n'y a là aucune supériorité, ni aucune référence à un certain don artistique.

Sachez qu'une personne débutante n'est jamais apte à percevoir par elle-même ses réelles dispositions musicales, ni ses facilités artistiques dans un domaine particulier. Pour elle, cela se situe souvent au niveau de l'intuition, dans un sentiment vague stimulé parfois par les réflexions des amis ou de l'entourage familial : "Dis… tu te débrouilles pas mal ! Tu as appris cela tout seul ? Tu prends des cours… et avec qui ?" Tel pourrait être le dialogue imaginaire qui serait capable de faire franchir le pas à un musicien candide.

Le professeur ne semble pas capable, lui non plus, de percevoir les qualités de son élève. Seul le temps et la pratique révéleront au grand jour les possibilités de son élève. Cependant, pour cerner rapidement son profil et ses différentes aptitudes naturelles, un enseignant compétent peut mettre en place une batterie de tests en rapport avec l'apprentissage de la musique.


DES TESTS POUR PRENDRE POSITION

Les tests doivent être de nature morphologique et psychologique. Ils évalueront les différentes dispositions comme la mémoire, les réflexes, l'intuition, la vivacité ou l'imagination, soit à travers des jeux et même à travers un contact direct avec l'instrument. S'ils sont bien menés, les tests peuvent se révéler utiles.

Le rôle du bon enseignant est de conseiller, de guider, pas forcément d'appliquer à la lettre "le manuel du bon petit musicien" ! Ainsi, suivant le niveau recherché et avant même d'aborder la musique, les tests seront capables de révéler l'aptitude ou l'inaptitude de certaines personnes dans des domaines précis (déchiffrage, improvisation, rythme, etc.) Il arrive parfois que des incapacités physiques et psychologiques se révèlent en contradiction complète avec la pratique musicale d'un type d'instrument ou d'un style musical désiré. Alors pourquoi chercher à éluder le ou les problèmes quand les tests sont révélateurs ?


En tant qu'enseignant, il m'est arrivé à plusieurs reprises de refuser des personnes en piano pour des raisons morphologiques et psychologiques : doigts trop gros, raideurs multiples, manque d'énergie… Dans ces cas, mieux vaut orienter la personne concernée vers un autre instrument ou un autre courant musical (sans fermer la porte de la musique, ce qui serait une grave erreur !). L'attitude de l'enseignant doit être honnête et juste. À lui de trouver les mots sécurisants, les mots susceptibles de canaliser l'envie vers d'autres voies. Il doit démontrer que rien n'est perdu, que tout est encore possible. L'enseignant et l'élève doivent toujours être au service de la musique. C'est seulement dans ce contexte-là, quand on est en phase avec elle, que l'on obtient les meilleurs résultats.


IL FAUT OSER POUR RÉUSSIR

En musique, il faut oser. C'est même un critère essentiel ! Il faut être capable de se projeter, sans craindre de se tromper. Chez l'adulte, quand celui-ci manifeste des besoins modestes ("je veux apprendre pour le plaisir, je ne veux surtout pas devenir un musicien professionnel !" - phrase classique que j'ai entendue un grand nombre de fois), il est encore baigné, souvent à tort, par des sentiments négatifs : peur de l'échec, de l'âge, anticipation des difficultés, comparaison avec d'autres musiciens, etc. Ces projections négatives que tout enseignant rencontre sur sa route, s'évanouissent, le plus souvent, quand la réussite est au rendez-vous.

Comment surmonter la peur de jouer et se diriger vers la réussite ?

Pour créer des contre-exemples capables de surmonter les peurs et les craintes, il faut miser sur le temps (une notion généralement mise à mal en pédagogie). Seul le temps peut laisser place à la réflexion. Celui qui sait que la musique est communication, comprendra tous les avantages qu'il tirera d'un dialogue constructif avec son professeur. C'est ainsi que la réussite musicale a toutes les chances d'exister. Personnellement, je ne compte pas le nombre de fois où mon rôle d'enseignant a été éclipsé au profit d'un déballage d'arguments psychologiques. Obtenir chez l'élève adulte un sentiment de réussite passe obligatoirement par l'estime de soi et par la capacité à affronter les défis. À l'inverse, chez l'enfant, la soif de découverte et de curiosité l'emporte fréquemment sur la peur de l'inconnu. La prise en main pédagogique de l'enseignant est alors facilitée (*). Comme j'aime le répéter à mes élèves, la musique n'est pas difficile, mais son chemin est long. Il faut vous préparer à faire un long voyage !

(*) : il va de soi que ce discours est construit sur des généralités. Chaque élève est un cas particulier et doit être étudié de la sorte.

Autre enjeu : la course à la perfection, si fréquente en musique ! C'est une valeur qui stresse les individus et qui empêche toute forme de spontanéité. L'image que renvoie le professeur est alors cruciale. Dans la pratique, une main de fer dans un gant de velours est une conception difficile à appliquer en musique. Le sourire convivial du professeur ne sera certainement pas suffisant s'il compte apporter la libération intérieure à son élève. Professeur et élève doivent toujours trouver le terrain capable de libérer l'échange, sans heurt et quel que soit le sexe et l'âge. Les conflits ouverts pour des raisons mineures et les rapports d'autorités sont toujours nuisibles quand ils concernent un domaine artistique comme la musique. Et dès que ce sont les excuses qui s'expriment, elles sont toujours le témoignage d'un handicap, le témoignage d'un frein à la réussite.


LA RESPONSABILITÉ DU PROFESSEUR

En enseignement, l'essentiel est d'adapter sa façon de transmettre en fonction des sujets à aborder (rythme, improvisation, déchiffrage…) : donner de son temps, développer la patience et la réflexion comme les idées, ne pas briser la gaîté (le rire est libérateur), ne pas travailler son instrument de façon mécanique, etc. Autant de dispositions salutaires qui laissent généralement la place à ceci : maîtriser la technique, rechercher la performance, la rapidité, le résultat sonore, la compétition, etc. On retrouve bien là l'idée de sport développée dans la page "Réflexions Pédagogiques : l'aisance".

Par défaut, l'élève fait confiance à son professeur. C'est normal, sinon le filtrage de l'information en retour serait déformé. Le professeur a donc une responsabilité : celle de répondre à l'attente de son élève. Mais qu'attend précisément celui-ci ? Est-il capable d'exprimer ses sentiments intérieurs, ses désirs ? Peut-il exprimer ses souhaits dans une matière où l'absence de culture et de savoir peuvent se révéler un handicap majeur ? Finalement, n'attend-il pas tout du professeur ?

Souvent, l'envie de s'exprimer est là, mais la pudeur, la timidité, la sensibilité, l'éducation rendent le moindre message, la moindre phrase difficile à décoder… et là, également, cette attitude si fréquente, apporte de l'ombre à la communication spontanée, utile et constructive. Ainsi, si l'enseignant n'est pas apte à discerner dans le discours et les attitudes de son élève : le nécessaire du superflu, le prioritaire du secondaire, le désir de l'illusion ; s'il n'est pas apte à transformer toutes les informations recueillies en de nouvelles ressources d'apprentissage, il aura toutes les chances, alors, de conduire rapidement son élève vers une impasse.

La musique, qui transporte en elle des compétences, revêt très rarement ses véritables habits. Régulièrement, les musiciens enrobent ses valeurs, du moins l'image qu'ils en ont, avec des phrases techniques et un vocabulaire qui laisse à penser, que pour être un bon musicien, il faut avoir quelques dons. En réalité, lors de son enseignement, la musique est servie par des professeurs qui instinctivement souhaitent rallier leur élève à ce bastion imprenable, en élevant cet art vers des frontières où seuls les élites ont le droit de séjourner. Non qu'ils en soient forcément heureux, mais simplement parce que la tradition, les habitudes, l'absence de remises en question et surtout les résultats musicaux d'une minorité sur une majorité renvoient toujours à l'excellence de certaines valeurs admises par la société. Il est donc difficile de faire preuve d'humilité et de simplicité sans trahir d'une certaine façon la musique avec un grand M.

Doit-on admettre pour autant que la musique est destinée à une minorité d'élus ?

Certainement pas ! Heureusement qu'il existe des musiciens dont l'ambition ne vise pas la démesure. Ces musiciens, en conservant des valeurs objectives au plus proche de leur personnalité et de leurs aptitudes, sont capables de faire jaillir de leur instrument plus de sentiments et d'émotions que de techniques. Ces musiciens sont plus nombreux que ce que l'on ose penser. Ce sont souvent des musiciens méconnus, parfois de brillants musiciens amateurs. Ce sont ceux qui, par modestie, mais jamais par fierté, n'ose pas se comparer (le mauvais mot est lâché !) à d'autres musiciens dit "talentueux" ou connus comme tel.

C'est d'ailleurs, dans cette balance, entre la technique de jeu et la simplicité de l'expression, que se joue une certaine conception de la musique. Il y a les musiciens pour qui la maîtrise technique est l'aboutissement majeur de l'étude d'un instrument et ceux pour qui une technique même simple ne rime pas, forcément, avec ennui, incompétence ou amateurisme. En d'autres termes, la place centrale que la technique occupe pour les premiers devient accessoire pour les seconds. Cette dernière approche étant plus subtile dans sa compréhension, son apprentissage n'en est que plus salutaire. Ainsi, en centrant moins sa pensée sur la technique et la performance, on a toute les chances d'augmenter son potentiel de réceptivité émotionnelle.

SUITE : L'ÉTUDE LA MUSIQUE FACE À LA PERFORMANCE ET AU SAVOIR

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