DOSSIERS DIVERS



FACTEUR D’ORGUE, UN MÉTIER PEUPLÉ DE CONTRAINTES

Si la réussite sonore d’un orgue à tuyaux est toujours possible grâce au talent et à l’expérience de quelques facteurs consciencieux, nul doute que le chemin pour y parvenir soulève des problèmes et des contraintes lors de sa fabrication ou de sa restauration…


L'ORGUE À TUYAUX, D'ABORD UNE QUESTION D'EMPLACEMENT

Celui qui, profane ou amateur, se retourne vers une tribune et y voit un orgue, suppose-t-il ce que cache ce buffet plus ou moins sculpté et ces tuyaux de façade étincelants ou ternis par le temps ? Sans doute pas, car cette parure élégante ou imposante, parfois de style mal défini, n’est que la partie visible de l’iceberg. De nos jours, l’instrument à tuyaux a encore bien peu de rapports avec les substituts électroniques qui tentent de le remplacer. Aucun groupe d’enceintes, aussi remarquable soit-il, n’est en mesure de restituer aussi bien la « vie acoustique », la profondeur spécifique et la diversité sonore que l’organiste imaginatif obtient de sa forêt de tuyaux.

Pour arriver à un tel miracle, tâchons, aussi succinctement que possible, d’exposer les problèmes essentiels que le facteur d’orgues doit résoudre pour réussir le travail qui lui est confié. Trois cas se présentent, hormis les simples « relevages » : la restauration ou la reconstitution d’un instrument historique, la restauration avec améliorations d’un orgue non classé, enfin la construction d’un instrument neuf.

Délaissant pour l’instant la première situation qui requiert des solutions très contraignantes, voyons comment un facteur va réagir lorsqu’il dispose d’une certaine marge de liberté...

Il y a tout d’abord le maintien et le choix de l’emplacement. Certaines églises n’ont pas de tribune, d’autres en ont deux ; l’orgue au niveau du sol, soit dans le transept, soit derrière l’autel, peut être préférable à une tribune trop haute ou trop profonde.

Chaque lieu a, selon les matériaux employés et le style de son architecture, sa réalisation acoustique particulière. Les voûtes en berceaux posent moins de problèmes que les coupoles ou les voûtes d’arêtes. La bonne propagation du son étant la première des préoccupations d’un facteur d’orgue sérieux. Des solutions radicales sont ou ont été parfois adoptées dans certaines églises :

  • Sainte Jeanne-de-Chantal, à Paris : transfert de la tribune de chœur à la tribune du fond.
  • Saint-Augustin, à Bordeaux : transfert de l’orgue de tribune au sol contre le mur du chevet.
  • Notre-Dame des Blancs-manteaux, à Paris : avancée de la tribune de 2,50 m pour permettre la fermeture de l’instrument et son décollement du mur.

Il faut ensuite déterminer le style, la couleur dominante de l'instrument. L’élément de départ peut être l’existence d’un matériel de qualité à réutiliser, ou bien, si le facteur a une certaine souplesse d’adaptation, la réalisation de souhaits précis exprimés par les commanditaires : titulaire, clergé ou commission consultative. On établit alors le plan de l’instrument : le nombre de claviers, la répartition dans l’espace, le choix des jeux, la composition des mixtures.

Cette dernière étape est encore plus importante s’il y a des impératifs de place ou de finances ; paradoxalement, il est plus difficile de réussir un petit orgue de 12 jeux qu’un grand instrument de 50 jeux, car chaque jeu doit avoir sa personnalité, mais aussi se prêter à des mélanges équilibrés et aussi variés que possible.

Une fois la composition établie, le facteur restaure ou construit la mécanique, prévoit une alimentation adaptée à chaque clavier (un principal de 16 pieds réclame plus de vent qu’une flûte de 2 pieds), calcule les pressions nécessaires et la taille des tuyaux en fonction du vaisseau à remplir, puis prépare en atelier l’étape cruciale : l’harmonisation.


HARMONISATION ET RÉSULTAT SONORE

Il s’agit alors de faire « parler » chaque tuyau de la manière la plus naturelle et de faire une première égalisation de chaque jeu. Pour les jeux à bouche, bourdons, flûtes, principaux, cela se fait en réglant l’ouverture du pied (plus ou moins de vent), celle de la « lumière » (mince fente entre le pied et le biseau), l’inclinaison et l’épaisseur du biseau, la hauteur et la largeur des bouches.

Pour les jeux d’anches, trompettes, voix humaines, bassons, l’épaisseur des languettes, leur courbure et la forme des rigoles sur lesquelles elles vibrent ; tout cela en se réservant une marge de manœuvre. En effet, une fois l’instrument mis en caisse, expédié puis monté ou remonté sur place, intervient la mise au point définitive : qualité du timbre et courbe mélodique de chaque jeu, rapport entre les différentes harmoniques, proportion des volumes entre claviers.


LE FACTEUR D'ORGUE (Relief TV - 01/2012)
Un reportage québécois qui explique les bases de la construction d'un orgue par le luthier Denis Roulet.

Comme un peintre qui se recule pour jauger sa toile, le bon facteur d’orgues doit vérifier ou faire vérifier le résultat de loin, en se déplaçant à divers endroits de l’église. Gare alors parfois aux surprises ! Il arrive trop souvent que la montagne accouche d’une souris et bien des orgues font illusion à la tribune. Depuis la nef, tel plein-jeu devient maigre, tel jeu de détail se perd ou encore on ne distingue plus l’opposition de timbre et de volume entre la montre du positif (surtout si le clavier est en encorbellement) et celle du clavier principal.

Il faut aussi imaginer l’église pleine de fidèles, avec une acoustique plus mate qui absorbe les harmoniques. Dans les grandes circonstances, un orgue perd au moins 30 % de son éclat et de sa présence ! Que d’inaugurations qui peuvent s’avérer décevantes… Aussi, s’il est juste de déplorer, ici et là, quelques gâchis, seul le temps, la persévérance et l’expérience peuvent servir la réussite d’un orgue à tuyaux. Pensez-y du jour, où pris dans la tourmente d’une « bourrasque sonore », vous assisterez à un concert dans une de nos chères églises ou cathédrales.

Par D. Merlet



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