ANALYSE MUSICALE



LA PLACE DU RYTHME DANS LES MUSIQUES IMPROVISÉES JAZZ, BLUES OU ROCK

Imaginer un rythme, le ressentir et le développer déterminent une approche artistique que l’on rencontre généralement dans les musiques improvisées. Contrairement aux musiques écrites comme le classique, le pianiste qui pratique les « musiques vivantes » telles que le jazz, le blues ou le rock, est contraint de construire une relation sensiblement différente vis-à-vis du rythme.


MÉLODIE, HARMONIE ET RYTHME

Musiques écrite et non écrite sont avant tout le reflet d’une différence de concept. Théoriquement, alors que l’écriture formate la façon d’interpréter, donc de ressentir la musique, l’improvisation invente ses propres lignes conductrices. Plus précisément, l’écriture permet de guider les pas du musicien en cadrant la mélodie, l’harmonie et le rythme, tandis que la musique improvisée oblige une prise en main plus personnelle en se référant habituellement à des règles d’harmonie et à une somme d'expériences librement acquises.

Puisque les accords et la mélodie dépendent l’un de l’autre pour cohabiter harmonieusement, on aura tendance à penser que le rythme est un élément indépendant qui s'ajoute par-dessus. Or, dès qu’un pianiste joue une mélodie écrite ou improvisée, celle-ci installe toujours son propre développement rythmique, ce qui oblige le pianiste à créer un accompagnement qui soit en mesure de lui répondre en tout point. Le plus souvent, par habitude ou par expérience, le pianiste improvisateur cherchera à cadrer l’espace temps de la mesure. Cette notion, qu'on appelle dans le jargon le "sens de la mesure", est capitale. Elle intervient pour délimiter un cycle précis (relatif à la signature de la mesure), que le pianiste doit ressentir, et à l’intérieur duquel il pourra développer librement des figures rythmiques.

Ainsi, malgré sa richesse, ses indépendances et ses variantes, ce qui guide le rythme, c’est bien la mélodie. Il existe cependant des exceptions, comme avec les premiers blues ruraux où le chant était bien souvent le seul moteur rythmique à produire des irrégularités. Jusqu’à l’avènement du blues moderne, le dessin de la ligne mélodique sera sujet à des variations rythmiques importantes. En revanche, ses héritiers directs comme le boogie, le rhythm and blues ou le rock chercheront d’une façon quasi obsessionnelle à éliminer toute imperfection rythmique en suivant une ligne directrice immuable, capable de dépeindre chaque style dès les premières mesures grâce à l’emploi de quelques figures rythmiques stéréotypées.

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ÉVOLUTION DU RYTHME DANS LES « MUSIQUES VIVANTES »

Le jeu pianistique flamboyant du romantique Chopin ou celui plus impressionniste de Debussy ne sont pas en mesure de traduire le sentiment de « dureté » des accords plaqués et dissonants que l’on rencontre dans le jazz ou le rock. Le pianiste qui pratique les « musiques vivantes » utilise les mains, les bras, mais aussi tout le corps pour libérer son énergie physique. L’engagement est total. Les pieds tapent, les mains courent librement sur le clavier, improvisant des mélodies spontanées et des canevas harmoniques parfois audacieux.

L’inconvénient de notre système de notation musicale est d’avoir été conçu d’après des valeurs et des repères qui s’accordent mal avec les « musiques vivantes ». Pour conduire à bien n’importe quelle musique improvisée contemporaine, le pianiste ne peut faire l’impasse d’un bagage culturel reposant essentiellement sur des enregistrements. Les disques et autres CD sont des objets fort utiles pour apporter des réponses quand l’écriture manque d’argument. D’ailleurs, on ne peut vraiment comprendre ce qu’est un blues, un standard de jazz ou une chanson de rock’n’roll - tant au point de vue mélodique, harmonique que rythmique – sans écouter les grandes figures historiques. L’avantage, par rapport à la musique classique, est d’avoir à disposition une source incontestable : l’enregistrement. Alors, autant utiliser cette richesse !

Chaque style de musique a une façon d’agencer le rythme et de le développer. Dans de nombreuses musiques afro-américaines, la mélodie possède des caractéristiques expressives très marquées, et dans bien des cas, l’accompagnement rythmique joue un rôle crucial en servant de « moteur » à la pulsation du chant. C’est d’autant plus vrai dans le domaine du blues, du gospel et bien sûr du jazz où l’improvisation (le scat) est pour le chanteur ou la chanteuse un passage obligé.

Le jazz est certainement la musique la plus perméable aux changements rythmiques. En un demi-siècle – approximativement des années 1920 aux années 1970 – le jazz n’a eu de cesse d’évoluer en produisant de profondes modifications dans l’utilisation des harmonies et dans la place accordée au rythme.

Le jazz de la Nouvelle-Orléans, puis de Chicago des années 1920-1930, vivront à l’ère du swing jusqu’au seuil de la seconde guerre mondiale. Le rythme ternaire est alors régulier (l’hypnotique chabada du charleston l’incarne parfaitement) et sert autant la mélodie que les improvisations. Puis, avec l’arrivée du be-bop dans les années 1940, l’assise rythmique devient un peu plus débridée et commence à dialoguer avec les instruments solistes de l’orchestre. La contrebasse et la batterie s’illustrent avec plus de véhémence.

Après le « jazz cool » des années cinquante et des premiers rythmes implacables du « jazz funky », les années 1960 seront celles des divisions. Tandis que le cri de révolte lancé par le free jazz impose un vent de liberté rythmique et harmonique en tournant le dos à toutes idées de structure, un autre jazz plus aseptisé, prenant racine dans le rock et la « pop-music », prône un retour au rythme simple, cadré et mesuré.

Le jazz s’émancipe, si bien qu’il devient une forme d’art controversée, une musique complexe, voire expérimentale et souvent critiquée. Pour les amateurs de la première heure, le jazz devient trop élitiste en s’appuyant de plus en plus sur des techniques de composition proche de la musique classique.

Paradoxalement, dans les musiques populaires, le rythme a tendance à se radicaliser toujours plus. Le groove entre dans la danse, et le corps renoue avec la liberté de ses mouvements. Toutefois, les syncopes, les contretemps et le swing n’ont pas disparu, bien au contraire, ils en sortent même renforcés. Les accents à contre-temps, que les batteurs nomment le « back-beat », prennent du relief, la syncope installe durablement ses points d’ancrage, tandis que l’effet « swing » continue de fluidifier l’enchaînement des figures rythmiques. Quant au groove, depuis que la musique funk a cherché à le dompter, il est bien plus difficile de le cerner intellectuellement avec des mots que d’avoir à l’interpréter (voir : Le groove en musique)


RIFFS, LICKS ET AUTRES EFFETS PAR DÉFINITION

Aussi utile l’un que l’autre, les riffs et les licks sont des motifs essentiels pour habiller les musiques « vivantes ».

Le riff est un motif mélodique répétitif, souvent incisif, nerveux et de courte durée. Au piano, les riffs de basse, associés à des accords syncopés, illustrent parfaitement la musique funk.

Au piano, les licks sont des motifs ornementaux qui ont pour fonction d’occuper les espaces vacants laissés par l’accompagnement rythmique. Ils viennent l’enrichir sous la forme d’un dialogue rythmique informel.

Les breaks sont des cassures rythmiques. Au piano, l’accompagnement rythmique s’interrompt généralement pendant une durée d’une ou de deux mesures pour laisser place à des motifs mélodiques écrits ou improvisés. Comme pour la batterie, ils servent fréquemment à marquer une séparation entre deux parties d’un morceau.

Le « feel » consiste à changer le caractère du groove (ou le tempo) lors d’un changement de partie.

Par ELIAN JOUGLA


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