ANALYSE MUSICALE



LE GROOVE EN MUSIQUE, COMMENT LE DÉFINIR ?

Employé à tord ou a raison, le mot groove a pénétré le cœur de presque toutes les musiques, excepté le classique qui a échappé à cette dérive. Ce mot « branché », qu’affectionnent tout particulièrement les musiciens, mérite quelques explications…


UN GROOVE, S’IL VOUS PLAIT !

Dans le milieu musical, le mot est couramment utilisé, pourtant Mozart, Beethoven ou Bach n’ont certainement jamais eu connaissance de cette contagion musicale qui provoque chez nous ce besoin de bouger de la tête et des pieds. Or, ni vous ni moi ne sommes en mesure d’attester formellement que ce ressenti n’existait pas avant l’arrivée du jazz, puisque c’est de cette musique influencée par les rythmes africains que les Blancs auraient commencé à entrevoir une autre façon de vibrer à la musique. D’autre part, les partitions ne peuvent attester du phénomène ni dans un sens ni dans l’autre puisque le groove ne s’écrit pas, mais s’interprète seulement, et comme les premiers témoignages sonores remontent à la fin du 19e siècle, les réponses se couronnent dès lors d’hypothèses.

Mozart et même Bach, que l’on a toujours envisagé comme un visionnaire, ne se danseront jamais sur une piste de danse. Toutefois, des essais ont été tentés. Si nous revenons quelques années en arrière à l’ère du disco, des adaptations classiques ont vu le jour. Une grosse batterie qui martèle tous les temps boostée par une ligne de basse ondulante ont essayé de donner le change à des mélodies classiques populaires. Malheureusement, le résultat ne fut pas à la hauteur des espérances et apporta un effet très similaire à celui des grands groupes de rock qui tentèrent l'expérience inverse, c'est-à-dire en jouant avec de grands orchestres symphoniques ; une amère expérience qui se résume par une musique lourde, pesante, qui avait perdu toute son âme...

Même si la musique classique jusqu’au 19e siècle s’est souvent inspirée des danses européennes anciennes pour exister, dans les faits, elle s’en est détachée progressivement jusqu’à exclure toute possibilité de retour. Les compositeurs classiques ont toujours désiré que leur musique soit écoutée pour elle-même. La séparation entre une musique populaire, simple et directe, et une musique dite « savante » semblait définitive.

Cependant, il ne faut pas user prématurément de tels raccourcis, car vouloir comparer une musique occidentale sans groove ni swing à une musique non occidentale qui aurait tous les atouts de son côté serait une erreur. Si le pianiste Jacques Loussier – pour ne citer que lui – a trouvé chez Bach matière à groover, c’est que sa musique porte en elle, quelque part, ce groove que l’on dit absent.

Il faut rajouter à cette première explication, la complexité des rythmes africains dont l’exécution donnerait des sueurs froides à pas mal de musiciens occidentaux. Les pygmées, par exemple, produisent des rythmes d’une si grande subtilité qu’ils n’ont pas échappé aux oreilles de quelques compositeurs contemporains, notamment György Ligeti et Steve Reich.


LE GROOVE PAR LE RYTHME

Quand on relie le groove à la danse, la musique doit posséder ce petit plus rythmique qui donne immédiatement cette envie de se lever et de bouger. Duke Ellington groove et Michael Jackson groove aussi. Les deux histoires musicales n’ont assurément pas grand-chose à partager, sauf cette sensation d’une pulsation qui, littéralement, « avance ». On a l’impression que le tempo accélère alors qu’il n’en est rien.

Le terme groove, qui démontre en quelque sorte que l’on est dans le rythme, est né de l’argot des musiciens de jazz. Comme bien d’autres mots, il a été récupéré et exploité pour démontrer qu’il existait d’autres façons de se saisir d'un rythme et de le jouer. Au bout du chemin, il est parvenu à s’insinuer dans la plupart des musiques afro-américaines taillées pour la danse : rhythm and blues, soul, funk, disco, et même le rap, qui n’a pourtant pas pour vocation première de faire danser.

Le groove est donc d’abord une question de rythme, une façon de produire des effets en jouant sur la dynamique et la mise en place de certaines notes, tout en incluant d’infimes variations dans la continuité du jeu. Pour que la sensation du groove existe, il lui faut un cadre, et c’est sur des motifs rythmiques réguliers qu’il parvient à s’installer durablement.

Le jazz swing d’avant-guerre répond parfaitement à cela. Le chabada hypnotique du batteur joue d’infimes variations sur sa cymbale ou son charleston. L'accentuation du « da » de la noire sur le second temps succède au « cha-ba » des deux premières notes ternaires. Tous les autres instruments s’articulent autour de ce rythme obsédant pour former une machine rythmique où chaque accent placé en contretemps ou en syncope renforce l'effet d'une musique qui swingue.

L’autre fait significatif doit être relié à la musique funk des années 60/70, celle de James Brown ou de Herbie Hancock, qui porte en elle encore plus l’image du groove. Le cliché tenace doit notamment cette sensation à ses plans de basses répétitifs et sur sa façon de s’appuyer sur les temps forts.


LE GROOVE CHEZ LES « MUSICOS »

Le groove s’exprime aussi à travers un langage propre aux « musicos » où il est question de jeu en avance du temps (before the beat) qui contrebalance un autre jeu placé au fond du temps (on the beat, comme disait Gainsbarre). Plus rarement est évoqué la note après le temps (after the beat). Toutes ces notions sont liées à la pulsation (1). C’est du ressenti, une sensation de jeu qui évite d’avoir à jouer trop mécaniquement sur le tempo, une approche rythmique qu’il est difficile d’expliquer clairement avec des mots. Il faut garder à l’esprit que le tempo doit donner l’impression qu’il avance – alors qu’il ne bouge pas - pour que l’effet du groove s’installe. Le musicien joue en quelque sorte autour du tempo. Le jeu est fluctuant, relâché, tout en gardant une bonne assise.

Une autre façon d'entrevoir le mot groove est de comprendre comment les musiciens communiquent entre eux, comment ils pulsent et comment ils perçoivent leur jeu respectif. Le noyau que constitue la basse et la batterie est souvent le conducteur du groove, celui qui fédère autour de lui tous les autres instruments de l’orchestre. On peut bien sûr avoir un jeu qui groove tout seul avec son piano, néanmoins, c’est à travers le jeu collectif que le groove trouve toute sa raison d’exister.

1 – Sur les boîtes à rythmes où le problème est récurrent, l’installation d’une fonction groove pallie artificiellement à cette absence de « swing » naturel.

Par ELIAN JOUGLA

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