HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



LES RACINES DE L'HISTOIRE DU JAZZ  : DU CHANT DES ESCLAVES AU BLUES RURAL

Musique reine de l'improvisation, chantée, louée ou parfois condamnée par celles déjà en place, la musique de jazz trouve ses origines en Afrique, immense continent, qui a vu tant et tant d'hommes, femmes et enfants condamnés à immigrer par la force, vendus et enchaînés comme du bétail. Les traites négrières internes, destinées à satisfaire les besoins en main-d'œuvre de l'Afrique noire précoloniale venait grossir un commerce transatlantique bien rodé. L'Afrique, cette "terre sauvage", qui a été le théâtre depuis l'Antiquité du plus important trafic d'hommes, a fourni durant des siècles une main d'œuvre bon marché.


LA TRAITE NÉGRIÈRE

Non content d'avoir pratiquement exterminé les Indiens et spolié leur territoire, l'arrivée des premiers colons en Amérique est indissociable de la traite négrière. Celle-ci a commencé avec l'arrivée des Britanniques en Virginie au 16e siècle et se poursuit jusqu'au milieu du 19e siècle. Durant cette longue période, l'esclavage occupe une place importante et facilite l'organisation sociale et économique. Le Sud des États-Unis concentre le plus grand nombre d'esclaves et environ 600 000 Africains seront au service des blancs. Ce chiffre, qui est déjà important, représente seulement 5 % du total des esclaves déportés en Amérique du Nord et du Sud.

Connaître les origines du blues, c'est d'abord connaître la véritable vie des esclaves durant cette longue période. Or, les traces historiques ne sont pas assez précises et nombreuses pour que l'historien n'encoure pas le risque de se tromper en déduisant trop hâtivement des idées propices et convenues.

Si les colons de Virginie sont parmi les premiers à posséder les premiers esclaves, ce n'est qu'en 1902 que l'on trouve trace du premier enregistrement sur rouleau d'une chorale de noirs lançant, dans un spiritual, toute sa force et sa foi. Plusieurs siècles séparent donc l'arrivée des premiers colons du premier enregistrement sonore et rien n'a été écrit ou presque pour retracer le cheminement musical qui a conduit les esclaves noirs au premier pas du blues.

Les récits romanesques si bien écrits par les blancs ne peuvent accréditer une quelconque vérité historique. Celle-ci s'opère donc par déduction, en comparant les chants et les rythmes traditionnels d'Afrique avec ceux du continent américain. Ainsi, si une quelconque vérité doit exister, elle relève davantage du terrain musicologique qu'historique.


UN PEUPLE AFRO-AMÉRICAIN

Au début du 20e siècle, quand apparaissent les premiers enregistrements mettant en vedette des noirs, la musique afro-américaine, comme pour souligner sa force et son indépendance, fait découvrir à de nombreux blancs sa diversité : le ragtime, le blues, le spiritual, sans oublier son moteur principal : le rythme.

En débarquant sur le sol américain, les esclaves noirs transportent avec eux leurs souvenirs et leurs souffrances. La foi dans des dieux « païens » donne le courage nécessaire pour résister à la cruauté des blancs et les chants scandés par des rythmes interminables, l'espoir en des jours meilleurs.

Malgré les différences d'idiomes, les noirs doivent s'adapter aux langages des blancs : le Hollandais (au Nord de la côte Est), le Français (au Sud de la côte Est, en Louisiane) et l'Anglais (majoritaire ailleurs). Les esclaves doivent également abandonner leurs croyances pour embrasser celles des blancs : le catholicisme en Louisiane, au 19e siècle, et le protestantisme, partout ailleurs.

Les blancs ne reculent devant rien pour asseoir leur autorité et leur supériorité. La volonté avec laquelle ils veulent "contrôler" les noirs ne produit en fait que de l'injustice, de la violence et de la cruauté. Pour supporter cela, les esclaves trouvent dans leurs chants et leurs danses un réconfort bien maigre, mais salutaire quand il s'agit de survivre. Alors que les paroles des chants évoluent en s'adaptant à la situation vécue, les danses, en forme de transe et au nom d'une certaine magie, produisent des répétitions gestuelles inlassables dont le but n'a que peu de rapport avec celle de leur origine.

Au commencement, la rencontre des différentes ethnies sur le sol américain se déroule dans le conflit. Le creuset de l'esclavage produit dans sa diversité bien des contrastes et des rivalités. Mais petit à petit, un mélange inévitable se produit entre les noirs de différentes ethnies ainsi qu'avec des blancs (basé sur une relation entre maître blanc et esclave noire) Ces croisements interraciaux finiront par donner naissance à un pseudo peuple afro-américain.


À LA NOUVELLE-ORLÉANS

Pour de nombreux historiens, la Nouvelle-Orléans serait la ville témoin, celle qui, au 19e siècle, aurait donné naissance à une nouvelle musique produite par des noirs. Rien n'atteste ceci d'une façon formelle, bien que des écrits rapportent que de longues fêtes, d'interminables danses avaient lieu sur une place baptisée du nom de "Congo Square". En fin de semaine, des musiciens noirs et souvent ivres se réunissaient armés de tambours, de bidons, de caisses ou de boîtes. Ils tapaient frénétiquement des rythmes superposés donnant naissance à des polyrythmies endiablées. Ils étaient encouragés en cela par les danseurs et par leurs gestes suggestifs prônant la liberté et un appel au sexe… non dissimulé.

Le tambour était l'instrument le plus répandu. Il existait un petit modèle construit en bambou, portant le nom de bamboula. De nombreuses parties du corps étaient utilisées pour frapper sur la peau : les mains, les coudes et même les pieds, sauf sur le grand tambour où des baguettes (parfois en os) étaient employées. D'autres instruments accessoires étaient utilisés pour enrichir les timbres : gourde remplie de petits cailloux, planche à laver, triangle et banjo copiée sur la guitare espagnole.

Après la guerre de Sécession, des noirs arrivés des Antilles ont apporté avec eux leurs rythmes exotiques pour produire un mélange rythmique encore plus riche. L'histoire de la musique afro-américaine va ainsi au fil du temps s'enrichir de ses différentes migrations entre peuples noirs, donnant plus tard naissance à la musique afro-cubaine aux Caraïbes et les rythmes de samba au Brésil.

Au début du 19e siècle, nous sommes encore bien loin des intonations qui donneront au jazz sa singularité. À la Nouvelle-Orléans, la langue créole prédomine. Elle est issue d'une culture française et forme un patois qui survit aujourd'hui encore grâce aux cajuns. Quand les Français ont cédé la Louisiane face aux Anglais, l'utilisation de la langue de Shakespeare est devenue un tournant essentiel à l'existence du jazz. L'intonation de la langue anglaise a permis aux Noirs Africains de créer un parler original « swinguant » et qui servira comme base pour créer le jazz.



LA RENCONTRE ENTRE LES LANGUES



Les langues des noirs sont portées par des voix gutturales, mais également douces. À l'inverse des langues latines où prédominent les accents toniques à la fin des mots, les langues africaines sont le plus souvent désarticulées, les mots sont retenus ou s'enchaînent en glissant les uns aux autres. Comme la rencontre avec la langue anglaise est difficile, les voix des noirs vont modifier l'intonation de cette langue en supprimant presque toutes les syllabes et en relevant les toniques principales. Cette transformation radicale de la langue anglaise préfigure la notion de swing en apportant des valeurs rythmiques et mélodiques jusqu'alors insoupçonnées. Cependant, il faudra attendre l'exploitation musicale d'un musicien comme Louis Armstrong, bien des années plus tard, pour que cette notion balbutiante se révèle pleinement.

À côté de cette exploitation maladroite de la langue anglaise, les religions ont eu une influence déterminante sur la musique des noirs en Amérique. La religion catholique exploita sans retenue l'esclavagisme pour rallier les noirs à leur cause, en chassant leurs croyances et en les incitant à pénétrer dans les églises (l'évangélisation était féconde). Des chants nouveaux et profanes vont ainsi être créés par gens de couleur et vont se répandre en dehors des églises catholiques pour venir enrichir les rites vaudous. Chantés en créole, ils évoquent le plus souvent des thèmes religieux empruntés aux maîtres blancs, français et espagnols.

À l'arrivée des Anglais en Louisiane, les noirs vont davantage s'investir dans le protestantisme, non pas à cause de sa domination, mais surtout à cause de la prise de liberté avec laquelle il est possible de célébrer Dieu dans un langage commun et non dans une langue morte, le latin (langue officielle alors employée dans les messes par les Catholiques) Les noirs vont ainsi chanter selon leurs cœurs, sans contraintes et en mêlant leurs traditions à celle du protestantisme.

Musicalement, les mélodies chantées par les noirs vont être capables de transformer en profondeur la religion protestante grâce à leurs gammes pentatoniques héritées d'Afrique. C'est ainsi que tous les cantiques créés par les noirs vont apporter aux chorals des intonations toutes nouvelles.


SPIRITUAL & GOSPEL

Les noirs sont laissés libres de célébrer entre eux leur culte et des prêcheurs naissent ici et là portant la voix de Dieu dans un ton imprécatif et ancestral. Le pasteur débute par un récit biblique avant d'inviter les fidèles à répéter les vers, un par un. Ensuite, le ton monte afin d'exhorter le pouvoir émotionnel et un jeu de questions/réponses s'enchaînent, développant des mélodies dégagées de tous contrastes rythmiques. Le chant est pur, exempt d'instruments, et à travers lui, les confessions surgissent et deviennent collectives. Quelques mesures sont seulement nécessaires pour servir de base à l'improvisation. Les chants sont embellis par des effets de voix. Les notes accentuées sont légèrement décalées sur les temps faibles et provoquent des syncopes rythmiques.

Deux courants de chant se dessinent : le négro spiritual, tiré de l'Ancien Testament, est plutôt recueilli et exprime la souffrance humaine et le gospel song, tiré du Nouveau Testament, est plutôt gaie, rythmiquement enlevé et proche des chants incantatoires africains. Leur point commun est d'être habituellement dialogués par un fidèle (ou un prêcheur) et une chorale plus ou moins bien organisée.

Comme la majorité des noirs ne savent pas lire, la transmission des sermons et des chants est orale. Quand les premières notations musicales écrites apparaissent au cours du 19e siècle, les premières chorales professionnelles commencent à se répandre un peu partout et font entendre à travers les États-Unis leurs chants si émouvants. La qualité de certaines interprétations harmonisées à plusieurs voix parvient à conduire le négro spiritual vers les salles de concerts. Chez les blancs, de grands artistes aux belles voix classiques récupèrent et exploitent ces chants, mais en dénaturant l'essence même de ce qui les personnalise.

Au début du 20e siècle, des instruments apparaissent : guitare, percussion, trompette, etc. Un pianiste du nom de Thomas A. Dorsey exploite certains accords et harmonies populaires afin de toucher un public plus vaste. La présence de pianistes, d'organistes, de chanteurs et chanteuses à la voix chaude, de chorales chantant pour un public blanc apportent aux chansons évangéliques une tout autre dimension, plus vivante et populaire.

L'histoire du gospel et du spiritual est constituée de grands artistes, notamment : Louis Armstrong, Sister Rosetta Tharpe, Marion Williams, Mahalia Jackson, Golden Gate Quartet, sans oublier la chanteuse de rhythm and blues Aretha Franklin.



LE BLUES CAMPAGNARD



Durant la guerre de Sécession, les États-Unis subissent de nombreux changements majeurs allant de la libération des esclaves à la construction du chemin de fer. C'est à cette époque que des musiciens noirs vont devenir des troubadours en errant de ville en ville pour chanter leurs misères en s'accompagnant d'une simple guitare. Nulles traces musicales n'existent pour relater cette période ombrageuse des États-Unis, seule l'arrivée des premiers enregistrements attestera de l'existence d'un style musical campagnard appelé blues.

Rien n'explique la construction du blues, ni la présence des deux notes altérées, ni les séquences de quatre mesures. Tout ceci reste encore aujourd'hui très mystérieux. Les formes poétiques des chants africains ou des chants de travail sont incapables d'apporter une quelconque réponse dénuée d'interrogation à un musicologue, même avertie. Deux idées s'affrontent : les notes blues (les notes bleues) seraient une résurgence de chant d'Afrique occidental ou auraient pris racine en Inde pour migrer à travers les pays arabes et l'Espagne avant de s'installer sur la côte Ouest de l'Afrique.

Contentons-nous d'affirmer que le blues est apparu avant 1900, à une date à partir de laquelle sont partis les balbutiements du jazz instrumental.

De ces chants primaires, le blues va rapidement évoluer, laissant le désespoir ou la tristesse se transformer en des jours plus gais ou en utilisant des tons ironiques ou vengeurs. Le tempo nonchalant s'est accéléré pour se transformer en locomotive entraînante sous le nom de boogie-woogie. Le jazz, aux aguets, s'en empare à son tour en harmonisant et enrichissant sa grille de 12 mesures.

Dans les champs ou sur la voie du chemin de fer, les travailleurs de force scandent des chants construits comme pour le spiritual par des questions/réponses. Ces chants les aident à rythmer et à soutenir leur dur labeur. S'inspirant de leurs chants ancestraux basés sur une gamme à cinq notes, les noirs vont développer une nouvelle approche musicale, sans le moindre rapport avec celle des rares forçats blancs. L'une de ses particularités est l'utilisation du shout, véritable cri de ralliement et de reconnaissance construit en de courtes phrases. Ainsi, lors de la construction du chemin de fer, les phases criées surgissant de leur gorge et les "han" de respiration, au moment où le lourd marteau s'abattait sur la voie, ont contribué à produire des phrases porteuses de mélodies. Celles-ci ont ensuite été améliorées, transformées pour prendre place au sein du blues.

Les premiers chanteurs de blues étaient des hommes sans instruction. La guitare en bandoulière, ils chantaient d'une manière criarde, avec parfois un certain humour, des blues campagnards. Parfois, ils se réunissaient à plusieurs pour le bal du samedi soir quand les travailleurs de couleur avaient quelques sous en poche. La musique de blues est à ses débuts une musique de danse, mais dont la portée des paroles est essentielle pour donner un sens, une vérité. Les paroles, qui ne sont pas omniprésentes tout le long de la chanson, sont relayées par de courts passages musicaux improvisés, réalisés à l'aide d'un harmonica ou d'une guitare. Ces passages instrumentaux ont pour but de permettre au chanteur de réfléchir à la suite de son histoire… improvisée.

Le blues est un style de musique qui se veut avant tout sobre et simple, compréhensible par tous ceux qui l'écoute. Il est le reflet de la vie de tous les jours et de son histoire. Les premiers enregistrements de blues datent des années 1920. Les artistes connus vivaient dans le Sud et le Sud-Est, tels : Big Bill Broonzy, Blind Blake, Barbecue Bob, Brownie McGhee, Sonny Terry, Big Joe Williams, Snook Eaglin, Robert Johnson…

Il faut attendre la fin de la première guerre mondiale pour que le blues immigre vers les grandes villes du Nord, comme Chicago, Memphis, Saint-Louis, Detroit ou New York. Malgré un show business naissant, les musiciens de blues urbain ont conservé l'âme des notes bleues et la manière de s'en servir comme leurs frères aînés, chanteurs campagnards.

Par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 03/2010)

À CONSULTER

LES STANDARDS DU JAZZ


HISTOIRE DU SYNTHÉTISEUR
SOMMAIRE "DOSSIERS"
ACCUEIL
PARTICIPER/PUBLIER : EN SAVOIR PLUS
Facebook  Twitter  YouTube
haut
haut

Accueil
Copyright © 2003-2024 - Piano Web All rights reserved

Ce site est protégé par la "Société des Gens de Lettres"

Nos références sur le Web - © Copyright & Mentions légales