DOSSIERS DIVERS



LA VIE DE MUSICIEN DANS UN ORCHESTRE CLASSIQUE

La vie du musicien dans un grand orchestre n'est pas toujours rose… elle est faite de passion, mais également sujette à des jalousies, des combines. Construit comme une microsociété, l'orchestre paraît bien fragile…


LE MUSICIEN DE L'ORCHESTRE AVANT LE LEVER DE RIDEAU

Dans dix minutes, le concert commence. Au programme, des morceaux difficiles qui demandent le grand orchestre au grand complet. Nul bruit se fait entendre, si ce n'est l'ultime mise au point des danseurs derrière les rideaux. Quelques retardataires finissent de s'habiller derrière les étuis de contrebasse (c'est pratique !). Non loin de là, un violoniste s'amuse avec son nœud papillon pour tromper son ennui tandis qu'un autre a le regard plongé dans un magazine musical. Son voisin, laisse filer avec un rien d'appréhension...

- " Bon sang, ce soir il va falloir jouer pendant deux heures sans pause. Encore un concert marathon ! "

- " J'ai bien vu que tu étais inquiet hier soir dans la chambre d'hôtel, tu tournais en rond, angoissé. Il n'était pas bien difficile de se rendre compte que tu essayais de donner le change en plaisantant, comme si de rien n'était. " lui rétorque d'un ton compatissant son collègue violoniste.

Chez les musiciens comme chez tous les artistes, il n'est pas bon d'avouer que l'on a le trac... c'est une question d'honneur. Montrer sa nervosité est une faiblesse qui pourrait jeter du discrédit sur son professionnalisme. D'ailleurs il est maintenant trop tard pour paniquer, le rideau s'ouvre, le chef d'orchestre fait son apparition sous les applaudissements du public et la musique démarre.


BAVARDAGE DANS LA FOSSE D'ORCHESTRE...

Féerie de la musique... on raconte que certains musiciens inscrivent l'heure sur la partition pour savoir, sans regarder leur montre, dans combien de temps ils pourront aller dîner... la magie de la musique n'opérera pas ce soir !

Être assis, tous les soirs, sur la même chaise, entre les mêmes voisins bourrés de tics, de rituels, l'artiste se sent partir pour céder sa place au fonctionnaire qui dort en lui.

- " Quand on ne fait que de l'orchestre... on se détruit... sinon, t'es au courant pour la tournée au Japon ? "

Se fondre dans l'orchestre entraîne une frustration. On choisit cette carrière pour être remarqué, mais les écritures musicales vous obligent à l'abnégation.

- " Et ne parlons pas de la fosse d'orchestre... celui qui lui a donné ce nom à du faire un avé tous les jours de sa vie ! Vous êtes coupé du public, vous êtes dos au spectacle (que de toute manière, vous ne pourriez voir) et les gens n'aperçoivent de vous qu'une suite de crânes plus ou moins dégarnis. "

- " Dire que pour en arriver là, il aura fallu plus de dix ans d'études, à raison de plusieurs heures de travail par jour "

L'offre n'excède pas la centaine de places par an, autant dire qu'il n'en aura pas pour tout le monde !

- " Le chômage est quasi inévitable à la sortie de l'école ou du conservatoire. Il y en a que pour les solistes et nous alors ! "

Avant tout, un orchestre est constitué par un ensemble d'individualités où chacun doit tenir sa place, sans poser de questions. Difficile pour un musicien de devenir transparent, sa passion, même en sommeil, est là, toujours prête à bondir. Les coups de gueules, ça arrive ! (comme le montre si bien le film Prova d'orchestra - Répétition d'orchestre - en 1978).

Tout le monde s'observe. Les cordes observent les cuivres qui en retour regardent les percussions avec un air narquois. Les tuttistes reprochent aux solistes de n'être que des musiciens "dans la lie". Au sein de l'orchestre, on se jauge, on se juge comme dans les familles. À la façon dont son voisin joue, à sa façon d'attaquer la phrase, on sait s'il a eu un revers amoureux ou s'il est dans des difficultés financières. L'état d'esprit du musicien oscille entre l'anarchiste, le troubadour rêveur ou le corporatiste de bon aloi.


QUAND L'INSTRUMENT HABILLE LE MUSICIEN

Note d'humour ou réalité ?... Le hautbois est un angoissé qui semble être en manque d'oxygène, tandis que son voisin la flûte joue la fille de l'air sous ses airs mondains. La clarinette montre sa présence et sa bonhomie tandis que le basson, avec sa dimension qui le distingue des autres, joue le "hurluberlu". Notre ami la trompette brille de tous ses éclats de l'intérieur comme de l'extérieur alors que le trombone et le cor ont appris à prendre patience... vu que les silences... ils les connaissent !

Non, je ne vous oublie pas les percussions, avec vos gestes chorégraphiques et vos manies de taper avec tout ce qui vous tombe sous la main !

Et toi contrebasse, on ne voit que toi au fond de l'orchestre et toujours ta fâcheuse tendance à dormir ! L'alto, qui souffre des sobriquets et autres blagues que lui donnent les autres membres de l'orchestre, se flatte de répondre qu'il est l'instrument le plus proche de la voix humaine, tandis que Monsieur le violoncelle, avec son côté aristocratique, revendique sa profonde connaissance du répertoire.

Et pour finir ce tour d'horizon rapide des personnalités de l'orchestre, le violon qui, s'il n'est pas soliste, a une fâcheuse tendance à cultiver l'aigreur... et comme il a tendance à se multiplier très vite au sein de l'orchestre, il peut très rapidement devenir contagieux pour celui-ci.


DES HIÉRARCHIES ET INÉGALITÉS AU SEIN DE L'ORCHESTRE

Qu'un musicien ne soit pas d'accord avec les heures de répétition, les écritures d'une partition... ou qu'un chef d'orchestre enrage et c'est la grève qui arrive, appuyée par le syndicaliste de service.

À cela s'ajoutent les hiérarchies et les inégalités... En effet, quel rapport existe-t-il entre la place du premier violon, qui conduit l'ensemble des cordes et épaule le chef d'orchestre, l'instrument soliste qui s'expose tel un chanteur et s'angoisse au jugement des autres, et le tuttiste placé tout au fond de l'orchestre, un peu à l'écart et qui entend plus son instrument que le reste de l'orchestre ?

Il s'agit bien là d'une lutte des classes en miniature, pas de celle que l'on rencontre dans les petites formations où chacun connaît l'autre et où le respect est de mise de façon plus naturelle, parce que plus évidente. Le novice qui rentre dans un grand orchestre comprend très vite qu'il ne doit pas trop attendre des autres, qu'il doit faire sa place. Ainsi, les musiciens de rang sont costamment les moins payés, mais souvent les plus assidus. Après vingt ans de carrière, généralement, un violoniste touchera toujours moins qu'un débutant soliste.


QUAND LES MUSICIENS RÂLENT

- " Nous, les membres de l'harmonie, nous sommes exposés, alors que vous, les cordes, vous pouvez vous cacher. Personne n'entend la différence. "

- " Possible, mais chez nous les cordes, nos partitions sont à chaque fois plus fournies, car c'est nous qui faisons le "fond" musical. "

- " Oui, c'est vrai, mais on ne voit que bien peu de violonistes se battre physiquement, comme nous, les percussionnistes. "

Et puis il y a tout ce que l'on ne dit pas...

L'orchestre est une entreprise avec ses mesquineries, ses ragots... L'ambitieux qui, pour un poste plus en vue, lorgne sur le soliste qui va bientôt partir à la retraite ; l'impatient qui se dit... qu'il va falloir attendre encore quelques années avant de voir son nom figurer à l'affiche. Et puis, il y a celui vers qui les yeux se tournent, bien malgré soi ou par obligation... le chef d'orchestre. Celui-ci peut être un complice auprès des musiciens ou à l'inverse être ce petit chef tatillon usant de la baguette, pour asseoir son autorité.

Le chef invité est vite catalogué, dès le premier geste.

- " Quand c'est un bon, il sait transmettre par le regard, de façon claire. Il parle peu, mais sait exercer son talent de façon concise. Avec lui, le travail "tombe", on ne perd pas de temps. Quand c'est un mauvais, il est tatillon, voire "brouillon". Il perd parfois la mesure au sens propre comme au figuré ".

Quant au chef d'orchestre permanent...

- " C'est celui qui marche souvent sur des œufs." Il doit naviguer à vue entre les susceptibilités des musiciens et les exigences de la vie d'entreprise. "

Ce qui explique ou justifie son salaire dix fois, quinze fois plus important que les musiciens tuttistes. Sans compter la célébrité !

Heureusement, pour éviter tout malentendu et friction inutile, un administrateur est là pour veiller à la bonne organisation de l'orchestre, s'occupant, entre autres, des bulletins de paie ou des congés sans solde.


LA VIE DE MUSICIEN ET LA COURSE AUX CACHETS

Il n'y a pas bien longtemps, l'Opéra de Paris offrait aux musiciens bien des avantages : peu de tournées, des après-midi de libres et un répertoire classique connu par avance. Si la liste des virtuoses était impressionnante, le soir, comme souvent, c'étaient les "supplémentaires" qui s'escrimaient dans la fosse. Cela permettait à de jeunes musiciens de "se faire la main". Certains d'entre eux, les plus expérimentés, mais également les plus débrouillards, couraient le "cachet" en participant aux émissions de variétés télévisées, genre "Guy Lux" ou "Gilbert et Maritie Carpentier".

Cela a duré pendant 25 ans. Ce job alimentaire et occasionnel a permis à de nombreux musiciens "d'arrondir" les fins de mois. Il y avait celui qui sortait d'une nuit tzigane chez Raspoutine et qui avait tendance à piquer du nez le matin durant les répétitions des émissions, ou celui qui espérait trouver, en ces lieux médiatisés, l'opportunité d'un engagement pour une tournée.

En une vingtaine d'année, l'arrivée de la musique informatisée à bien changé la justification et l'utilité de l'orchestre. Elle a chassé le musicien des studios, et quand un grand orchestre est vraiment nécessaire, on préfère faire appel à des musiciens de l'Europe de l'Est, bien moins onéreux que chez nous. La chute du mur de Berlin a entraîné dans sa chute les syndicats et les règlements. Depuis, la "tournée" des grands orchestres est remplacé par des congés sans solde.

Les musiciens pour gagner correctement leur vie sont obligés de jongler entre répétition le matin, cours l'après-midi dans un conservatoire et concert le soir. Sans compter une clientèle, pas toujours déclarée, qui fait appel à leurs services pour des soirées privées. Ainsi, le soliste "classique" parvient à doubler son salaire, mais à quel prix !


L'ORCHESTRE-TÉLÉPHONE

Quand, à l'oreille d'un musicien parvient la date "d'un concert du dimanche" (concert souvent associatif), il téléphone à ses collègues pour monter rapidement un programme. S'opposent alors parfois des problèmes de planning, des conflits entre la répétition officielle de l'orchestre et le concert improvisé, synonyme de rentrée d'argent. Aussi, certains musiciens n'hésitent pas à utiliser l'arrêt maladie... mais attention, il ne faut pas généraliser ! Il s'agit le plus souvent pour les musiciens de "s'aérer" en participant à d'autres expériences musicales, ce qui par rebond n'est pas nuisible, puisque cette "fraîcheur" rejaillit ensuite dans l'orchestre officiel. Il ne faut pas oublier que la qualité d'un orchestre dépend du niveau de son plus médiocre musicien.

Le facteur individualiste de chaque musicien au sein de l'orchestre est déterminant pour la tenue de l'ensemble et si de trop fortes personnalités sont en mal de reconnaissance, ils peuvent perturber l'équilibre de l'orchestre, souvent fragile. La musique est passion et ne doit pas déborder du cadre.

Aujourd'hui, l'orchestre est dans une logique de marché et de concurrence "commerciale". Or, un orchestre symphonique avec un son, une identité demande plusieurs années de travail continu pour faire référence. Il a besoin de stabilité au niveau de son effectif et d'un apport financier soutenu et régulier pour exister. La subvention reste à ce jour vitale pour compenser les aléas d'un mécénat parfois absent.

Érigé en microsociété, l'orchestre souffre des blocages de toute organisation. Répartis en pupitres, derrière leur outil de travail, on retrouve aussi bien le fonctionnaire que le patron ou le syndicaliste. Faut-il comparer alors la vie du musicien d'orchestre aux banales tensions de la vie de bureau ? Si certains le pensent, d'autre y verront une atteinte à leur professionnalisme, l'artiste souhaitant toujours jouer la carte de la différence. Au fond, il existe et existera toujours un malaise dans la musique tant que ses serviteurs n'arriveront pas à s'accorder sur la place de celle-ci dans la société, dans ses valeurs sociales et économiques comme éducatives et humaines.

Par ELIAN JOUGLA


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