ANALYSE MUSICALE



MUSIQUE ET INSTRUMENTS DU FUTUR, QUE FAUT-IL EN PENSER ?

Si l’on en juge par l’histoire, il a toujours existé deux catégories de compositeurs : ceux qui se sont appuyés sur les instruments de leurs contemporains pour écrire leur musique et les autres, plus aventureux, qui ont trouvé leur inspiration à travers de nouveaux outils...


RAPPEL HISTORIQUE ET CONTEXTE

Contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord, la musique classique n’est pas une longue histoire qui se meurt à petit feu. Bien au contraire. C’est à travers elle que se sont produites les plus grandes révolutions musicales, aussi bien en ce qui concerne l’écriture qu’à travers les moyens mis à la disposition des compositeurs.

Faire bouger les lignes, c’est certainement la chose la plus importante, mais aussi la plus difficile. Pour qu’elles bougent, rien de mieux que la naissance d’un instrument pour provoquer des idées sur le rapport au son, à la technique et aux principes établis.

Cependant, l’arrivée d’un instrument tout beau, tout neuf, entraîne aussi de la méfiance. C’est une sorte d’autodéfense que les musiciens ont généralement contre l’inconnu. Pour un enseignant, c’est le « danger » de voir vaciller son autorité face à un instrument qu’il ne maîtrise pas encore, et pour le compositeur, peut-être, d’être attaqué sur ses compétences, ou pire en remettant en cause son avenir de musicien (dans les années 80, l’arrivée des boîtes à rythme programmables provoquera un séisme chez les batteurs). Donc, chaque nouvel instrument entraîne dans son sillage des remises en questions, mais également des hypothèses.

En effet, quand un nouvel instrument voit le jour, il ne naît pas par hasard. Souvent, c’est une idée de départ qui, étape par étape, par des transformations successives, donnera naissance à un instrument. C’est très souvent un travail de collaboration conduit en petit comité à l’initiative du compositeur ou d’un musicien qui cherche à explorer d’autre façon d’appréhender son rapport avec les sons.

© pixabay.com - Des boutons et des câbles… mais ne serait-ce pas un Moog ?


UNE QUESTION DE SON ET DE REGARD

Le son justement, il en est toujours question tout au long de l’histoire de la musique. C’est bien lui le moteur des instruments. C’est lui qui guide et qui oblige l’utilisation de nouvelles techniques, de nouveaux concepts, l’acquisition de nouveaux supports et matériaux. L’idée même de beauté sonore, d’équilibre sonore, a permis par exemple de pousser plus loin les recherches sur le piano forte pour arriver progressivement au piano moderne que nous connaissons. La technique et la mécanique ont toujours été de bons serviteurs quand il s’agit de défendre la bonne cause.

Aujourd’hui encore, à l’ère du tout numérique, les avancées technologiques se font par palier successif, ce qui tendrait à prouver que dans les années à venir, les constructeurs vont continuer à explorer l’univers numérique tel que nous le connaissons actuellement, jusqu’à ce qu’un nouveau pas important soit franchi. Jusqu’à là, prudence ! Car dans cette balance entre progrès et sécurité, il existe toujours des enjeux économiques. Toutefois, d’autres raisons expliquent cette approche modérée :

1. Le compositeur. Il existe des musiciens qui sont des visionnaires et qui conçoivent leur propre expérience musicale en étant plus à l’écoute de leur cœur que de la raison. On imagine très bien que du temps de Jean-Sébastien Bach, il fallait certainement plus de courage qu’aujourd’hui pour oser affronter le « bon désir » des personnes influentes. D’ailleurs le compositeur allemand est un bon exemple de cette audace. Sa musique s’accompagnait d’un profond désir d’avancer dans le domaine de la lutherie. Le compositeur était passionné par l’amélioration des instruments de son temps, au point d’être devenu l’un des plus grands experts de l’orgue. Ses échanges avec le facteur Silbermann auront une grande influence sur le développement du piano moderne. Bach ira jusqu’à inventer un instrument à cordes, un violoncelle aigu, la viola pomposa.

2. Les moyens techniques. Plus près de nous, au début du 20e siècle, quand l’électricité devient le signe évident du basculement dans une nouvelle ère (mais aussi le signe flagrant de l’asservissement de l’homme aux machines), certains compositeurs chercheront à s’affranchir des instruments traditionnels, c’est-à-dire acoustique. Olivier Messiaen, compositeur visionnaire né en 1908, affirma que les instruments du 20e siècle seraient électroniques et, effectivement, l’électronique puis l’informatique ont fait irruption dans la musique classique : Pierre Boulez, Luciano Berio, Stockhausen écriront des pages musicales grâce à l’utilisation de l’électronique à partir des années 50. Le compositeur Pierre Henry ira jusqu’à se passer des instruments traditionnels en produisant une musique baptisée électroacoustique.


UNE QUESTION DE VOLONTÉ ET D’OPPORTUNITÉ

À ce stade des explications, il ne faut pas croire que l’arrivée des instruments électroniques a eu pour vocation première de remplacer leur homologue acoustique. L’arrivée récente de l’échantillonnage (même s’il installe à présent le doute concernant la pérennité des instruments traditionnels), ne fera bouger les lignes qu’à la seule condition de remettre à plat la façon d’aborder le jeu et la technique instrumentale, ce qui, sur le fond, est encore assez floue.

Les freins au changement demeurent très nombreux, alors que si nous regardions vraiment l’histoire en face avec ses errances, nous verrions que la plupart des obstacles au progrès n’a pas toujours eu grand sens.

1. Le changement : c’est d’abord une question de vision, et pour se réaliser, l’accomplissement de la vision doit être entre des mains influentes, c’est-à-dire entre des mains qui ont un pouvoir décisionnaire, mais aussi de bonnes compétences. Les premiers concernés sont bien sûr les musiciens et les facteurs d’instruments, suivis des fabricants et politiciens qui sont chargés d'orienter l’économie.

2. L’accélération du changement : il a toutes les chances de se produire si une réalisation musicale quelconque fait grand bruit et transporte l’idée visionnaire comme une réalité palpable.

3. Troisième raison : la nécessité qui pousse à inventer un autre instrument. Le pourquoi et dans quel but. Par exemple, du jour où le piano acoustique n’aura plus rien à dire de neuf, malgré sa littérature, son passé et la nostalgie que certains chercheront à récupérer, le piano acoustique disparaîtra comme n’importe quel autre instrument, lentement, mais sûrement.

4. Enfin, quatrième raison : peut-être la plus importante, l’éducation, qui est le premier maillon du changement en profondeur des principes établis. Accepter la différence, comprendre que quelque chose d’autre puisse exister, c’est déjà faire un pas important et décisif. Toutefois, un certain emballement face à un moyen d'expression tout nouveau ne signifie rien, bien au contraire.

Si une des raisons énoncées ci-dessus est absente, et même si l’instrument parvient à voir le jour, il finira par disparaître. Une fois de plus, l’histoire le démontre. Une simple visite dans un musée prouve cela. Ce n’est pas que l’instrument était mauvais ou difficile à utiliser, c’est qu’il n’a pas su provoquer un déclic assez puissant pour poursuivre son "aventure". Une fois de plus, ce sont les musiciens en premier qui décident de la vie ou de la mort d'un instrument.

THE SEABOARD, une nouvelle façon d'être au contact d'un clavier. Pari réussi ou pari perdant ? Seul l'avenir nous le dira.


Certains instruments ont été favorisés par l’Histoire qui les a vus évoluer jusqu’à la forme que nous leur connaissons, tandis que d’autres ont été tout simplement relégués aux oubliettes. Citons : le cor de basset, aïeul de la clarinette, tout comme le chalumeau médiéval, la bombarde qui préfigure le hautbois, le cornet à bouquin pour la trompette ou encore le pianoforte pour le piano. La liste pourrait s’allonger.

L’autre raison est due au musicien qui recherche généralement un instrument à la tessiture la plus uniforme possible, des graves jusqu’aux aigus. De fait, le tri s’opère presque naturellement en mettant à l’écart les instruments qui sont incapables de s’ajuster au bout de quelques transformations et tentatives.

Aujourd’hui, alors que la tendance musicale est au come-back, on redécouvre grâce à quelques musiciens passionnés des instruments oubliés. C’est le cas de la musique médiévale et baroque avec la flûte à bec, l’épinette ou la viole.

La découverte de ces instruments nobles et beaux parvient à notre connaissance grâce aux efforts fournis par le ministère de la Culture, mais également à travers le cinéma qui apporte quelques contours flamboyants à des instruments qui étaient jugés en leur temps comme inappropriés ou difficiles. Le 7e art révèlera notamment un instrument oublié, la viole de gambe, à travers le film « Tous les matins du monde » et son compositeur le plus représentatif Marin Marais.


LA RÉPONSE AUX INSTRUMENTS DE DEMAIN

De nos jours, les problèmes de tessiture, de justesse, d’équilibre, de possibilités ne sont plus réellement un problème, au point d’être devenus totalement l’inverse de ceux rencontrés par Jean-Sébastien Bach. Cette débauche actuelle de technologie n’est pas sans conséquence sur la musique. Ces nouvelles fonctions et capacités nées avec l’apparition de l’informatique et du numérique ont déjà dépassé le musicien qui court toujours après sans pouvoir les rattraper... Mais surtout, il court de moins en moins après de quelconques initiatives personnelles !

Le musicien n'a plus vraiment le temps pour cela. Trop de choses à penser et trop de directions à prendre en même temps. Le goût de l'effort n'a pas disparu, il s'est juste déplacé. Il a juste perdu en route une grande partie de ses audaces. La plupart des jeunes musiciens actuels semblent comme résigné face aux énormes possibilités qui s’offrent à eux, allant jusqu’en s’en détacher physiquement, s’épanchant dans un intellectualisme toujours plus puissant et repoussant au loin le côté instinctif que les musiciens d’autrefois pratiquaient naturellement.

La musique devient synonyme d’intelligence artificielle, de donnés, de mémoire et de commandes. L'autorité de notre cerveau s'efface devant le pouvoir des pistes guidées. Ce pouvoir-là a pris place et, semble-t-il, pour un moment. Le « mano a mano » avec l’instrument des temps modernes tend à disparaître. Chez les plus pessimistes, il laisse place à des illusions, signant la fin d’une époque dorée qui procurait à l’imperfection sa raison d’être ; un autre monde que les plus optimistes traduisent par de nouvelles perceptions sensorielles et relationnelles jusqu’alors inconnues. Deux blocs de pensés totalement à l’opposé l’un de l’autre, mais qui doivent cohabiter au cœur des mêmes notes, à défaut d’une même compréhension artistique.

Il est si difficile de juger objectivement les instruments et outils actuels, réels ou virtuels, qu’ils finissent par troubler n’importe quelle vision futuriste. Certes, l’histoire s’écrit au présent et se lit à l’imparfait, mais ce qui a fondamentalement changé et qui transforme nos désirs jour après jour, ce n’est pas seulement les ineffables avancés technologiques, mais les intérêts économiques qui sont venus mettre leur grain de sel dans notre rapport à la créativité. Dès lors, il en résulte une boucle sans fin : les intérêts économiques transforment la créativité en nécessité matérialiste, ce matérialisme en besoin et ce besoin en rentabilité.

Une simple question parmi d’autres, pour conclure : « le temps du crayon et du papier à musique est-il déjà révolu ? »

- Heu ! Oui, si l’on en juge l’usage actuel des tablettes avec ses centaines de partitions stockées.

« C’est donc ça, l’avenir ? Posséder des centaines de partitions et n’en connaître que quatre ou cinq ? »

Par ELIAN JOUGLA


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