ANALYSE MUSICALE : LA MUSIQUE DE FILMS



HOLLYWOOD ET LA MUSIQUE CLASSIQUE


LE PARLANT ET LA PLACE DE LA MUSIQUE

Au début du parlant, on dote les films d'une musique qui assure le continuum émotif du récit. Là où les mots ont une certaine audace et les situations une originalité, la musique apporte une paternité et une émotivité au film. Après avoir eu peur du cinéma parlant, les cinéastes trouvent dans cette possibilité, une originalité et une énergie nouvelle. La musique voit sa place diminuer dans la durée. Elle devient peu à peu une enclave sérieuse et réfléchie. Une réflexion et un discours s'amorcent.

Le compositeur donne une mémoire à son travail, une sorte de viatique qui peut le protéger dans un certain sens de l'aspect aléatoire de la musique au service du film. Happés par le rythme de la production de l'époque, les compositeurs travaillaient vite. Précipitation qui est de mise encore aujourd'hui.

Le voisinage de thèmes, de durées, de genres facilite la constitution d'un patrimoine musical en forme de puzzle. Il est évident que le compositeur doit produire des structures musicales en adéquation avec le contexte thématique du film et c'est le cas jusqu'au début des années 1960 où ils confortent réellement cette spécificité par un meilleur échange avec les gérants de l'industrie cinématographique.


LA MACHINE HOLLYWOODIENNE... LA MUSIQUE SOUS CONTRÔLE

En 1927, lorsque les frères Broekner jouent la carte du son, c'est à ce moment-là que se transforme l'univers hollywoodien ; création d'un chef de compagnie et d'un département musical, un orchestre pour chaque compagnie, une pléiade d'arrangeurs, d'orchestrateurs, c'est-à-dire qu'en fait la musique devient une sorte de standard codifié. On trouve d'ailleurs un certain nombre d'examens de cette sorte dans le livre d'Hans Sleyer, Composing for the films, puisqu'il dénonce l'idée selon laquelle : "tout sommet de montagne implique des appels de cors ; que toute descente de rivières au clair de lune implique une valse lente, etc.". Ainsi, tout un standard d'orchestration se ressemble, quel qu'en soit l'auteur, à travers les musiques de films américains des années 1930 à 1940 (Max Steiner demeure la grande figure de cette époque, avec des musiques comme King Kong ou Une nuit à Casablanca).

Hans Sleyer rajoute : "pour donner un leitmotiv à chacun, tout le monde est reconnu". Dès lors, la musique fait fonction de larbin musical qui annonce son maître avec un air important, même si le personnage est reconnaissable par quiconque. Les compositeurs français de l'époque sont les premiers à ne pas respecter cette règle. Dans le cinéma US, correspond un stéréotype sonore et mélodique. Cette conception de la musique dans le film est une sorte de sas de protection, permettant au spectateur de baliser lui-même le récit, par des émotions dépassant l'action du film, pour finalement tendre vers une codification de la trace laissée par l'image.

Il a fallu une certaine étape, la première décennie du cinéma sonore, pour que l'on se débarrasse de la thématique, qui était quand même héritée de l'adulte théâtre et de l'opéra du 19e siècle. L'intérêt d'une musique de films, elle est dans son épaisseur, dans sa sonorité et non pas à cause de cette thématique, qui à mon avis appartient plus aux succès musicaux de l'époque, qu'elle n'a la structure, la construction propre à ce que l'on attend d'une musique de film (exemple : Max Steiner et Autant en emporte le vent).

Les producteurs ont toujours eu la hantise de la musique qui n'était pas directement chantable, c'est pour cela sans doute que tant de films avec des chansons sont créés dans les années 1930 (à travers les comédies musicales, mais pas seulement), devenant un support commercial qui participe à la popularité du film. Aujourd'hui, c'est davantage pour des raisons économiques ou comme marque de fabrique que les bandes sonores sont accompagnées de deux ou trois chansons à succès, le plus souvent au générique du début et en fin de film. Il reste à la charge du compositeur désigné, le reste des illustrations sonores.

En 1940, Bernard Herrmann, un compositeur hollywoodien dont il faut souligner l'importance, écrit la musique du film Citizen Kane, d'Orson Welles. Il s'insurge d'emblée contre la machine hollywoodienne. Il devient responsable de la musique de A à Z, non seulement l'écriture et l'orchestration, mais aussi en participant par un travail étroit avec le monteur du film, chose qui n'existait pas auparavant dans le contexte et la réalisation des musiques à Hollywood. On doit à ce compositeur, à l'écriture musicale travaillée, de célèbres musiques pour l'image : La splendeur des Amberson d'Orson Welles, Sueurs Froides d'Alfred Hitchcock ou plus près de nous La mariée était en noir de François Truffaut. Herrmann était quelqu'un d'intransigeant et refusait d'emblée le rouleau compresseur auxquels les producteurs hollywoodiens voulaient le soumettre.

Outre Bernard Herrmann, il faut souligner l'importance d'un compositeur comme Léonard Rosenman quand il a travaillé avec Elia Kazan pour les films de James Dean (À l'Est d'Eden) et celle de Jerry Goldsmith, à la génération suivante -1960/1980 - (La planète des singes). Eux aussi ont voulu travailler d'une manière très personnelle, celle d'avoir la responsabilité de la bande musicale dans sa globalité.


LA MUSIQUE CLASSIQUE À L'ÉCRAN

Il n'y a pas de honte, loin de là, quoi qu'en disent les critiques musicaux, à adopter de la musique classique à l'écran, surtout dans la mesure où l'on utilise des romans ou des citations. Alors pourquoi ne pas utiliser de la musique préexistante dans les films (Brève rencontre de David Lean avec le 1er concerto de Rachmaninov).

La musique classique rend service lorsqu'elle appartient organiquement au film, ce n'est pas quelqu'un qui met un disque et qu'il va reposer plus loin. Si l'on prend par exemple Le carrosse d'or de Jean Renoir avec l'utilisation qu'il fait de la musique de Vivaldi ; Renoir disait : "l'intérêt d'une musique classique, c'est de nous donner beaucoup de rigueur dans l'émotion". Renoir désirait un contrepoint qui soit totalement inséré dans le film, comme également il l'utilisera plus tard dans le film Pickpocket.

Le metteur en scène Robert Bresson fait de même avec Un condamné à mort s'est échappé et l'introduction musicale de la Messe en ut de Mozart dans la scène de promenade du prisonnier et le cœur qui n'apparaît qu'une fois, dans la séquence finale de l'évasion. La 7e symphonie de Beethoven dans Lola de Jacques Demi, réalisé 4 ans après Un condamné à mort s'est échappé, la musique y est plus sensorielle qu'organique, elle devient nostalgique et romantique en utilisant le mouvement Adagio. Citons aussi les cas de Visconti, avec l'utilisation de la 7e symphonie de Bruckner pour dépasser un peu le néoromantisme d'un de ses films, en utilisant une musique proche du 20e siècle, et de Stanley Kubrick pour Barry Lyndon, avec l'utilisation de la musique baroque d'Haendel, sans oublier Orange Mécanique et la musique de Beethoven reprise et réarrangée par Walter Carlos, bande musicale d'une opportunité rare. Stanley Kubrick utilisera même de la musique antique pour les besoins du film Dangerous moonlight.

En somme, beaucoup de facilité dans l'utilisation de la musique classique ; car finalement cela permet au metteur en scène d'imaginer sans grand effort l'univers musical de son film. Il me semble plus intéressant de travailler avec un compositeur, sauf si la musique classique est référentielle : Viridiana de Bunuel, avec l'alléluia du messie d'Haendel, en considérant cet exemple, on arrive à un style de contrepoint dont je parlais auparavant, mais c'est tout de même une solution de facilité. La fonction de la musique de films ne doit pas être pléonastique, mais doit exprimer le point de vue du compositeur, quel qu'il soit ; mort ou vivant ; sur un montage d'images et de sons. Tout film est un cas particulier. L'exemple de l'utilisation de la musique pour le film Aimez-vous Brahms d'Anton Litvak est dans son utilisation excessive, souvent inutile. Une surabondance de musique peut nuire à un film. Le silence est une forme de musique que quelques metteurs en scène utilisent à bon escient.

En dehors de quelques réalisateurs comme Jean Grémillon ou Charlie Chaplin qui ont été musiciens, très peu de gens contrôlèrent l'impact de la musique pendant les premières décennies du parlant. C'est un des problèmes qui a traversé l'histoire de la musique de film : ce retard extraordinaire du cinéma sur l'évolution du langage, de son adaptation à l'image ; tenant surtout à des raisons économiques et commerciales.

On ne voit dans le cinéma des années 1930 aucune musique signée Ravel, Bartok ou Roussel ; car si ces compositeurs dits "sérieux" s'abstiennent de figurer aux génériques, c'est surtout parce qu'ils ne sont pas sollicités ; alors que nombre d'entre eux désirent écrire pour le cinéma. Schönberg et Varèse, entre autres, ont vainement tenté de travailler à Hollywood. Charles Kœchlin, également passionné de cinéma, écrit une épitaphe sur la comédienne Jean Harlow : "Seven stars symphony". Il y a aussi les chansons de Don Quichotte à Dulcinée de Ravel, destinée au film de Pabst, dont la musique en fin de compte est confiée à Ibert. Cela dit, un compositeur estimable ne fait pas nécessairement un musicien de cinéma convaincant. Honegger et Milhaud, avec leurs essais, en ont apporté la preuve. On note fort heureusement quelques exceptions : Hans Sleyerd compose en 1944, pour le film Pluie de Stevens, quatorze manières de décrire la pluie, dédiées à Arnold Schönberg ; Prokofiev qui, pour le chef-d'œuvre d'Eisenstein, Alexandre Nevski, fait sonner des trompettes jusqu'à saturation des micros, pour obtenir un effet dramatique saisissant.

Du fait de leurs positions dans le monde musical, à la fois, les compositeurs "classique" ont inquiété les metteurs en scène et surtout paniqué les producteurs.


LA MUSIQUE DE FILMS 'MADE IN FRANCE'

En prenant conscience du rôle que peut tenir la musique, les réalisateurs français, dès le début des années 1940 et à l'inverse du cinéma hollywoodien, se débarrassent de la tutelle du stéréotype musical sur l'image. La musique du cinéma français se démarque rapidement et son discours devient riche et varié. Elle devient moins aléatoire, plus scénarisée en suggérant d'une autre façon le choc des images. C'est pendant cette période que commence à se développer l'idée selon laquelle une bonne musique de films doit rester discrète, invisible.

En n'apparaissant qu'à certains moments du film, la musique est forcément moins pléonastique et elle participe au rythme du film par ses interventions et ses commentaires. Elle devient l'un des termes de la dialectique cinématographique française. La musique n'accompagne plus d'image en image, elle ménage un décryptage qui accentue la profondeur du champ sonore du film, lui donnant une vérité chargée d'évidences.

Au début des années 1950, on a définitivement compris que la musique pour le cinéma est une discipline artistique spécifique, avec ses exigences et ses contraintes dépersonnalisantes (si on le désire). La musique se met à l'unisson des autres registres esthétiques que rencontre l'écran ; tout comme le scénariste qui est obligé de composer avec les autres constituants de l'écriture générale de l'œuvre… l'auteur, pour ne pas le nommer.

Malgré son importance de plus en plus croissante dans le rôle qu'elle tient dans la réussite de certains films (Marcel Carné, Les feuilles mortes du film Les portes de la nuit), la musique de film bénéficie, si l'on peut dire, de préjugé dépréciatif. Elle n'est pas encore considérée, sauf dans de rares cas, comme un art "majeur", une discipline indispensable à la réussite d'un film, elle se pose sur la pellicule pour servir le film, c'est tout. Les compositeurs restent encore des musiciens inconnus du grand public et de nombreuses musiques seront redécouvertes bien des années plus tard, grâce à la volonté de quelques passionnés et à coup de rééditions discographiques.

À consulter sur Cadence Info : LA MUSIQUE CLASSIQUE AU CINÉMA

Par ELIAN JOUGLA

SUITE : COMPOSITEUR ET METTEUR EN SCÈNE

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