LES QUESTIONS DU CANDIDE



LA PARTITION : SON UTILITÉ ET SES USAGES

Cette page est la suite de : SOLFÈGE, RYTHMES ET DÉCHIFFRAGE DE PARTITION


RÊVONS UN PEU…

Que se passerait-il si Mozart renaissait dans le monde actuel ?

Tout laisse à penser qu'il emploierait l'ordinateur. De là, à ce qu'il rejette le papier à musique conventionnel pour le remplacer par des logiciels d'édition de partition, il n'y a qu'un pas. Bien sûr, cette hypothèse ne tient compte ni de la personnalité du compositeur, ni des styles musicaux qui l'ont vu naître ; mais tout de même, si Mozart était un génie et un musicien progressiste, je pense que son intelligence et son désir de créativité l'auraient amené à utiliser les moyens techniques dont nous disposons actuellement.

Imaginez aujourd'hui la réaction ulcérée du mélomane confronté à un Mozart avide de célébrité et composant pour le box-office ! Imaginez un Mozart féru d'Internet et composant en MAO ! (musique assistée par ordinateur)

Vous voyez Mozart en véritable adepte de l'automatisation séquentielle… c'est difficile à croire !

Pourtant, l'un des avantages dont dispose la MAO ne repose-t-il pas sur la réalisation de composition évolutive ? Avec les séquenceurs et les logiciels d'édition de partition, le compositeur peut revenir sur sa création et la faire évoluer dans d'autres directions ou l'effacer d'un coup de baguette magique. Ainsi, ne serait-il pas séduisant d'imaginer Mozart aux commandes d'un clavier d'ordinateur et enseignant la meilleure façon de composer une sonate en quelques heures devant un parterre d'étudiants médusés ?

Mais arrêtons de rêver. Tout ceci n'est qu'un déguisement. Une réflexion pour vous démontrer, qu'à travers l'histoire, la musique a toujours été étroitement liée à la technologie environnante. Les compositeurs ont seulement suivi. Face à des instruments ayant subi de profondes transformations ou face à d'autres qui ont vu le jour, les musiciens ont poursuivi leur rêve en transformant leur approche instrumentale et la nature même de leurs compositions. La partition est le seul support musical à ne pas avoir été remis en question fondamentalement depuis le 18e siècle, si l'on excepte les nouvelles écritures apparues au cours du 20e siècle avec la musique contemporaine.

Pouvez-vous m'expliquer pourquoi la partition n'a pas été remise en question ?

La partition est un langage, un support de communication, ni plus, ni moins. Tant que les symboles d'écriture répondent à l'attente du compositeur, celui-ci ne voit pas l'utilité d'en changer.

Pourtant, la comparaison visuelle entre une partition de Mozart et de Xenakis saute aux yeux !

Xenakis comme Varèse ou Ligeti sont des compositeurs issus du 20e siècle et le 20e siècle a vu de nombreuses remises en question, tant sur le plan de la structure des compositions que sur le plan des écritures. La musique contemporaine a dû créer des symboles pour représenter ses phrases musicales, ses sonorités si particulières. Ses symboles sont parfois tellement étranges, comme la représentation du cluster avec ses gros rectangles noirs, qu'ils demeurent pour la majorité des musiciens une écriture à part, marginale et obscure. Ce n'est pas demain que l'écriture, comme Mozart, disparaîtra !

D'autre part, et sauf à vouloir refuser l'évidence, la partition n'est que le reflet d'une idée à un moment donné ; n'en déplaise aux compositeurs qui voient dans leurs créations des valeurs éternelles ! A l'époque où il n'existait aucun autre moyen pour transmettre avec fidélité la pensée du compositeur, la partition trouvait sa raison d'être ; mais aujourd'hui, avec l'arrivée de l'informatique, les logiciels de musique ont des possibilités tellement étendues que la simple reproduction de la partition n'offre qu'un intérêt très limité. D'ailleurs, tout musicien ayant transgressé, au moins une fois dans sa vie, les sacro-saintes règles du respect de la partition, et y ayant pris un certain plaisir, est en mesure de se poser cette question : pourquoi ne pas recommencer ?...

Mais si un musicien souhaite transgresser la partition originelle, il doit se détacher de certains préjugés concernant la fidélité à l'auteur, n'est-ce pas ?

Effectivement. Mais aujourd'hui, les préjugés envers les auteurs et leurs droits ont quelque peu volé en éclats ! En réalité, le plus difficile pour le musicien est d'être capable de s'affranchir, de remettre en question certaines approches techniques liées à son éducation musicale. Pour certains d'entre eux, ne plus être en mesure de s'appuyer à 100 % sur la partition leur semble absolument inimaginable à concevoir.


LES FRONTIÈRES DE LA PARTITION

Si l'on comprend que la partition est indispensable à la formation du musicien classique, pourquoi reste-t-elle le plus souvent un support immuable, quand il existe des moyens de la faire évoluer ?

La musique est toujours en constante évolution. Que ce soit lors des siècles passés ou à notre époque, la musique a toujours "fabriqué" des musiciens en avance sur leur temps. Parfois incompris ou rejetés, l'histoire les a parfois rattrapés pour en faire des symboles, des exemples à méditer. Le plus à plaindre est l'enseignement qui, au moment où il comprend son erreur et son retard d'adaptation, à déjà, face à lui, de nouvelles pistes à explorer.

La partition est indissociable de l'enseignement musical. Pourtant, depuis déjà de nombreuses années, j'assiste à une sorte d'hostilité envers elle. Dans une société où tout s'accélère, où le désir d'aboutir musicalement ne coïncide pas avec la personnalité des individus, la partition apparaît de plus en plus comme un moyen austère et trop exigeant.

Depuis longtemps, l'enseignement musical devrait prendre du recul par rapport à la partition et ne pas en faire son épicentre. Elle ne devrait pas être étroitement liée à tout un cursus, mais intervenir avec parcimonie quand le besoin se fait sentir. Ce serait un bon moyen pour démontrer que d'autres pistes existent et pour relâcher la pression sur l'élève. La partition ne devrait être qu'un tremplin vers la créativité, et non pas un outil simplement destiné à la reproduction des œuvres.

Par exemple, si nous observons l'emploi de la partition dans le domaine du jazz, j'oserai dire que c'est même un devoir que de transgresser la version originelle, non pas, parce que le musicien est incapable de la jouer correctement, mais simplement à cause des fondements historiques délivrés par cette musique. Épris de liberté, le jazz ne pourrait se cantonner à une simple évaluation sonore stricte de la partition sans que l'interprète y ajoute son grain de sel, son piment qui l'autorise parfois à tous les débordements. La musique rock, généralement plus cadrée, est de la même veine. Ce n'est pas un hasard, si ces deux courants musicaux sont devenus les porte-drapeaux de la musique dite "vivante" !

Pourquoi les partitions ne sont-elles pas plus souvent transgressées ?

Rien n'empêche un musicien, s'il en a les connaissances et l'expérience, de transgresser une partition originale pour l'adapter au profil de ses élèves… mais attention… tant que son travail n'est pas publié. Dans ce cas, les sociétés de droits d'auteurs et les éditeurs de partition ne l'entendraient pas de cette oreille ! Cette attitude est bien sûr un frein à l'élan naturel du musicien. Les jazzmen demeurent, à ce jour, les meilleurs contre-exemples aux droits d'auteur, en ayant transgressé les frontières de la partition de façon naturelle, comme si c'était un jeu de l'esprit, sans que jamais personne ou presque n'y trouve à redire.

Dans la majorité des cas, lorsqu'une partition est transgressée, l'œuvre originelle n'est jamais remise fondamentalement en question. Il arrive même que sa valeur culturelle s'en trouve renforcée par l'intérêt qu'elle suscite. C'est pour ses auteurs un moyen de rayonner médiatiquement, et s'ils sont lucides sur le monde qui les entoure, bien peu refusent cette position. Quand des procès d'intention surviennent, ce ne sont souvent que des histoires de "gros sous". La culture n'a rien à y gagner, bien au contraire, puisque ses valeurs créatives naturelles sont remises en question.


LA PARTITION : CEUX QUI SONT POUR

La partition serait-elle un moyen de satisfaction pour le musicien en manque d'imagination ?

Certainement ! Mais suivant sa formation musicale et ses ambitions, il n'est pas impossible que son besoin d'aller au-delà ne se soit pas fait ressentir. Il existe des artistes qui se contentent de peu et qui brident la part d'aventure qui sommeille en eux. La partition, en apportant généralement la garantie d'un résultat sonore précis, conforte le musicien dans ses capacités à reproduire l'œuvre. Elle satisfait sa part d'ego... Le déchiffrage d'une partition réputée difficile est capable de flatter l'orgueil du musicien lorsque celui-ci l'exécute parfaitement.

La partition, à cause de son rayonnement dans l'enseignement et de son omniprésence dans tout un pan de l'histoire de la musique, suscite des désirs, des rêves chez de nombreux musiciens, débutants ou pas. C'est la raison pour laquelle, encore aujourd'hui, la partition conserve autant d'intérêt dans la pratique musicale. Mais attention ! la partition peut se révéler également dangereuse en jouant un rôle très sécuritaire, en conduisant l'interprète sur des rails.

Au point que le musicien y perde tout repère ?

Si son emploi est excessif et mal dirigé, sans aucun doute ! La partition ne vous apprend pas comment jouer, ni en bien, ni en mal. La partition est neutre. C'est au musicien d'y apporter tous les sentiments, toute l'expérience dont il dispose. Or cette expérience ne peut pas s'acquérir seulement à travers la partition. Une telle attitude est réductrice et ne correspond pas à la réalité de ce qu'est la musique.

La partition qui se présente au musicien est en aval de l'œuvre, pas en amont, pas à sa source. Si le musicien passe la majorité de son temps le nez dans la partition, il aura peu de chance de s'en échapper et de se réaliser autrement ; et lorsqu'il s'en apercevra, il sera souvent trop tard. Ce genre de cas est fréquent chez les musiciens classiques.

Même chez les pianistes ?

Oui, même chez les pianistes. Ils n'échappent pas à ce constat amer. Pour eux, la partition possède plusieurs avantages, dont celui d'une certaine indépendance musicale... Une partition piano peut se suffire à elle-même et donne souvent l'impression au pianiste d'exister musicalement. Donc, quand le résultat sonore attendu est au rendez-vous, tout va bien, mais malheureusement, quand celui-ci fait défaut, le musicien perd pied et se trouve démuni.

Comme avec les partitions modernes...

Oui, de nombreuses partitions modernes du commerce ne sont pas satisfaisantes... En tout cas, c'est en constatant cela que le pianiste prend conscience de sa solitude, de ses insuffisances liées à sa culture et à sa formation musicale. Cela peut se produire même après plusieurs années de pratique instrumentale !

Si les partitions modernes ne sont pas toujours le reflet exact de que l'on attend, quelles sont les solutions envisageables ?

Les pistes sont nombreuses. Elles dépendent une fois de plus du parcours du musicien. Si celui-ci est un candide, il doit être vigilant et ne pas suivre tout enseignement musical les yeux fermés. La partition est séductrice, et si elle forme le musicien dans la pratique de la lecture et du rythme, elle le laisse démuni quand il s'agit d'harmoniser ou d'arranger. Il est important pour tout musicien d'être indépendant et de ne pas être assujetti au pouvoir d'une partition comme d'un enseignant. C'est fondamental ! Cette indépendance peut s'acquérir à condition de ne pas s'enfermer trop longtemps dans une recherche de situation sécuritaire. Comme je l'ai souvent dit… en musique il faut oser ! Cette attitude permet de prendre du recul et évite une certaine routine, un certain "endormissement" préjudiciable.

LA PARTITION : CEUX QUI SONT CONTRE

Rencontrez-vous des personnes hostiles à la partition ?

Oui, bien sûr ! La partition possède également ses opposants. Nombreux sont ceux qui voient dans la partition un mur infranchissable… et quand ils évoquent le sujet, je ne peux les blâmer. La partition possède un côté scolaire. D'ailleurs, n'existe-t-il pas des "Études" pour piano, violon, trompette ou guitare, aussi ennuyeuses qu'envahissantes ?

Ce sont généralement les adultes débutants qui sont les plus hostiles à la partition. Son côté rigide est souvent critiqué. Cette réticence à son utilisation est d'autant plus justifiée que les souvenirs des études scolaires d'hier viennent s'y mêler, apportant la confusion et renforçant les craintes. Cependant, n'oubliez pas que la partition n'est qu'un moyen parmi d'autres de s'exprimer musicalement. Pour le musicien souhaitant prendre des chemins de traverse, une partition de Mozart ou de Bach demeure un excellent outil de travail et de réflexion. Avec l'aval d'un professeur expérimenté, l'harmonie, l'arrangement, voire la composition peuvent y trouver leur place.


LA PARTITION MODERNE

Quels sont les différents types de partitions piano que l'on rencontre en musique 'moderne' ?

Dans le commerce, il existe deux types de partitions pour piano : la partition type 'piano d'accompagnement' et la partition type 'piano conducteur'. Dans celle d'accompagnement, la mélodie n'est pas intégrée dans la partie piano. Le plus souvent, la partie mélodique ou chant est écrite sur une portée supplémentaire en clé de sol, avec les paroles écrites au-dessous.

La partition 'piano d'accompagnement' est celle que l'on rencontre le plus souvent dans le commerce. Elle est intéressante si vous souhaitez chanter en vous accompagnant. Maintenant, si vous n'avez pas les compétences pour la réadapter ou si votre désir n'est pas de chanter, la partition type 'piano conducteur' est vraiment préférable. Avec ce genre de partition, la mélodie est intégrée dans la partie piano. Le piano joue en même temps l'accompagnement et la mélodie. C'est le genre de partition idéal pour le pianiste qui joue tout seul.

Et dans le cas des partitions avec des accords ?

La partition avec accords demande une certaine expérience si l'on souhaite évaluer correctement sa difficulté. Pour vous aider, voici les principaux éléments à observer par ordre d'importance :

Premièrement, le tempo et le style du morceau originel. Le tempo donne une idée précise de la rapidité de l'enchaînement des accords. C'est un point important à considérer lorsque l'on désire improviser. Le style doit être connu de vous et avoir été pratiqué.

Deuxièmement, le nombre d'accords par mesure. La difficulté est proportionnelle à leur nombre et au tempo d'exécution. Au-delà de deux accords par mesure, soyez vigilant au tempo imposé.

Troisièmement, les types d'accords présents sur la partition. La difficulté varie en fonction de votre connaissance et de votre pratique des accords. Pour des partitions jazz, une pratique des accords à quatre notes s'impose.

Quatrièmement, l'écriture rythmique de la mélodie. Le tempo a également ici toute son importance. Une écriture basée sur des blanches et des noires à un tempo de 180 à 220 la noire peut se révéler plus difficile à exécuter proprement que des croches ou des doubles-croches à un tempo de 60 à 80 la noire.

Cinquièmement, le doigté de la mélodie, quand celui-ci n'est pas écrit. Le côté "débrouille" est important en musique moderne et la partition n'y échappe pas. Le pianiste 'moderne' bataille souvent pour trouver un bon doigté, 'propre' et efficace… Il va sans dire, que si sa technique pianistique est faible et s'il souhaite éviter de mauvaises habitudes qu'il pourrait regretter plus tard, une partition avec un doigté écrit s'impose !


LES COMPOSITEURS ET LA PARTITION

Comment la partition est-elle perçue par les compositeurs d'aujourd'hui ?

Excepté les autodidactes, la partition conserve toujours auprès des compositeurs une bonne image dans le sens où elle est censée refléter leurs idées créatrices. Mais à cause de l'arrivée des moyens informatiques, la partition n'a plus le même aura que par le passé. Son pouvoir de communication est devenu moins essentiel, moins vital pour le compositeur...

Aujourd'hui, la notoriété d'un compositeur se bâtit sur des critères bien différents de ceux qui existaient à l'époque de Mozart ! La partition est devenue avant tout un moyen technique pour déposer ses œuvres auprès des organismes de droits d'auteurs. Seul l'enseignement et les interprètes trouvent encore dans la partition un réel intérêt.

Si vous souhaitez mieux comprendre les attentes des compositeurs actuels, je ne peux que vous conseiller de lire cette page : La composition et le compositeur.


L'AVENIR DE LA PARTITION

Pensez-vous qu'un jour la partition disparaisse ?

La partition a semé ses certitudes. En conductrice attentive, elle impose ses lois. Pour le musicologue, elle est un témoin historique privilégié et pour l'enseignant, l'assurance d'un enseignement au risque calculé.

La partition ne laisse filtrer que très peu d'éléments extérieurs capables de la perturber. Seule l'interprétation a le droit de séjour et seul l'interprète confirmé sera à même de décoder ses messages. Cette marge de manœuvre, pourtant étroite, a satisfait jusqu'à présent des générations et des générations de musiciens. Alors pourquoi aller cherchez plus loin ? Pourquoi imaginer sa disparition ?

Quitte à me répéter, il existera toujours des interprètes qui utiliseront la partition de façon platonique, se satisfaisant d'une émotion réduite à son minimum, sans imagination. Tous les musiciens ne souhaitent pas devenir ni des créateurs en puissance, ni des révolutionnaires du langage musical, n'est-ce pas ? D'ailleurs, en auraient-ils la capacité ?


Entretien réalisé auprès d'Elian Jougla par W. D. Lugert  Mag. 'Musik und Unterricht' (Piano Web - 11/2010)


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