LES QUESTIONS DU CANDIDE



SOLFÈGE, RYTHMES ET DÉCHIFFRAGE DE PARTITION (entretien)

En principe, l'apprentissage de la musique est constitué de plusieurs matières et disciplines. Si les matières servent de support à l'étude de la musique, les disciplines en sont les conducteurs.


QUAND RYTHMES, NOTES ET HARMONIE FORMENT UN TOUT

Quelles sont les matières et les disciplines les plus usitées ?

La plus connue des matières est sans nul doute le solfège, constitué lui-même d'un sous-groupe de matières (lecture de notes, rythmes, dictée musicale, théorie). Côté discipline, la lecture de partitions demeure aujourd'hui encore le moyen de communication le plus répandu chez les musiciens.

Plus disputée que le solfège dans sa façon d'être utilisée, l'harmonie ; matière intellectuelle de la musique avec sa cohorte de définitions et de règles. On peut aimer ou détester ! L'harmonie est à la base de l'évolution de la musique, d'hier à aujourd'hui. Elle dicte ses lois. Elle ordonne les sons pour les rendre plus ou moins harmonieux. Sans l'étude de l'harmonie, les mécanismes qui gèrent la musique moderne deviendraient obscurs. Cette matière est donc indispensable si vous vous destinez à étudier sérieusement l'harmonisation, l'arrangement, la composition ou l'improvisation.

En musique, il est primordial de comprendre que chaque matière est indissociable des autres : le rythme, les notes, l'harmonie forment un tout, comme le ferait un livre illustré avec ses personnages, ses décors et ses dialogues. Bien que chaque matière possède sa propre utilité, l'intérêt de mettre en avant l'apprentissage d'une seule ne se révèlera à vous que lorsque vous aurez pris connaissance de l'utilité de toutes les autres. Pas avant ! Il ne peut y avoir de vision fidèle de l'art musical que lorsque la pratique musicale est très diversifiée.

Qu'est-ce que le déchiffrage de partition ?

Il correspond à la lecture de partition sur laquelle vient se greffer l'interprétation.

Le déchiffrage aborde les différents aspects de l'écriture et leurs relations avec la technique de l'instrument. Le déchiffrage déjoue les pièges et les difficultés (doigté, nuances, indépendance, etc.), mais ce n'est qu'un élément de la musique. Même s'il se suffit à lui-même, il ne fera pas de vous forcément un musicien complet.

Son "rival" est l'improvisation. Une discipline qui repose essentiellement sur de l'harmonie (accords, gammes, tonalités). Elle est pour quelques-uns une porte vers la liberté et pour d'autres un mur difficilement franchissable.

En d'autres termes, l'étude d'un prélude de Bach ne demande pas les mêmes connaissances, ni les mêmes aptitudes humaines qu'une improvisation basée sur une suite d'accords ou qu'un relevé de notes à l'oreille…

Exactement ! C'est en prenant connaissance de l'utilité de chaque matière que vous serez apte à définir et à mieux orienter vos choix musicaux. Une longue discussion préalable entre l'enseignant et vous sera donc nécessaire.

Quelle discipline musicale doit-on apprendre en premier et dans quel but ?

Aucune discipline n'est prioritaire sur une autre. On peut, par exemple, commencer par du déchiffrage de partition et poursuivre avec de l'improvisation. L'inverse est également envisageable sans problème. Tout dépend des capacités pédagogiques de l'enseignant, de l'élève et de ses affinités musicales.

Prenons, si vous le voulez bien, l'exemple du déchiffrage d'une partition. Sa compréhension peut facilement se passer de l'étude de l'harmonie. Il existe de nombreux musiciens qui sont capables de jouer une partition tout en n'ayant aucune connaissance dans le domaine des accords et des tonalités, de ses rouages ou si vous préférez de ses mécanismes. Cette pratique-là peut même s'éterniser pendant des années. Seule la curiosité est capable de faire pénétrer l'interprète plus au cœur de la partition. C'est une question de choix et non une obligation.

La partition présente la forme (l'esthétisme des écritures et la technique qui doit être développée), mais elle n'explique pas le contenu (les idées du compositeur et leurs usages, la finalité de la partition) Pour l'interprète, il faut toujours apprendre à décoder les messages délivrés par le compositeur s'il souhaite "s'évader" de la partition… C'est un peu comme si vous preniez plaisir à déguster un bon petit plat, sans en connaître la recette. Le fin gourmet, lui, souhaitera savoir d'où provient tel goût, quels sont les ingrédients qui constituent la sauce, etc. En musique, c'est la même chose. Ainsi, les subtilités d'écriture d'une partition deviendront plus limpides lorsque vos connaissances en harmonie seront suffisantes (accords, gammes, cadence, etc.). De même, votre sensibilité à l'œuvre s'éclairera d'un jour nouveau après l'écoute de plusieurs interprétations. Peut-être, noterez-vous lors d'un passage, des différences d'approches techniques concernant la vitesse d'exécution ou des nuances sur telle ou telle phrase.

Autre exemple… Supposons que vous aimiez improviser. Vous n'êtes pas tenu de savoir transcrire les rythmes que vous pratiquez librement ; et à l'inverse, si vous interprétez un rythme écrit, vous n'êtes pas dans l'obligation d'improviser avec !

Si je vous ai donné ces deux exemples, c'est pour vous démontrer que la pratique de chaque discipline supporte plusieurs objectifs. L'apprentissage de la musique est, et doit rester, un univers maniable en s'adaptant à vous, et non le contraire. La musique et son interprétation s'inscrivent toujours dans la personnalité de celui qui la pratique, quel que soit son niveau et ses goûts. Un bon enseignant doit vous les faire découvrir, avec ses mots, sa personnalité.

SOLFÈGE, RYTHME ET THÉORIE MUSICALE

Dans l'enseignement de la musique, le solfège est toujours aux avant-postes. Serait-ce la voie royale pour le musicien débutant ?

En musique, il n'existe pas de voie d'apprentissage royale, supérieure à une autre ou englobant toutes les difficultés, toutes les facettes de la musique. Celle-ci est trop riche, trop diversifiée. Une vie n'y suffirait pas !

Pourtant, pour de nombreuses personnes, le solfège semble montrer la voie quand elles débutent…

Oui, peut-être, lors des premiers pas. Pourtant, rien ne justifie que le choix de cette voie soit pour elles la réalisation d'un parcours musical idyllique.

Dans la musique, il n'existe pas de voie toute tracée, sans ornières, sans faux pas. L'erreur y est même parfois salutaire. Si la connaissance théorique, la pratique du rythme ou la lecture de notes apportent des acquis, la pratique instrumentale apporte quant à elle son lot de découverte. Grâce à sa diversité, mais également grâce au plaisir qu'elle procure, la pratique instrumentale vous fera avancer dans vos réflexions, dans votre rapport avec la musique ; alors que le solfège, malgré son utilité, n'aura jamais ce pouvoir-là ! D'ailleurs, un apprentissage qui se referme, tel une huître, uniquement dans une seule pratique, devient vite lassant et produit à moyen terme de l'échec. Aussi, est-il conseillé de fuir les enseignements trop scolarisés ou trop cadrés, telles les méthodes qui mettent en avant "la notion de plaisir" à coups d'arguments publicitaires, mettant presque toujours en porte-à-faux les messages essentiels transmis par la musique.

Mais l'étude du solfège trouve-t-elle justification à vos yeux ?

Le rôle essentiel du solfège est de vous aider dans le déchiffrage des partitions, donc dans les écritures. Il est utile lorsqu'on souhaite progresser dans la lecture des notes et des rythmes. Toutes les disciplines liées aux écritures imposent donc sa pratique : noter ses idées musicales, transcrire un morceau relevé à l'oreille, transposer, etc. En revanche, j'émettrai plus de réserve si votre amour pour la musique s'oriente vers l'improvisation ou la créativité.

À travers l'histoire, de nombreux musiciens dépourvus de connaissances en solfège ont souvent démontré des aptitudes musicales sans égal. Ils ont parfois tracé des chemins de traverse aux couleurs très personnelles et sans avoir appris à lire une seule note de musique !

Quand on débute, faut-il toujours commencer par la lecture de notes ?

Pas nécessairement. Je pense qu'il vaut mieux commencer par l'étude du rythme, sous une forme écrite ou en "live" de façon improvisée.

La lecture de notes, ce n'est pas difficile. Pratiquement n'importe qui peut arriver à lire en clé de sol avec une certaine facilité en quelques semaines. L'assimilation des notes est à comparer avec l'alphabet. En principe, commencer très jeune donne de meilleurs résultats. Tout dépend du niveau que l'on souhaite obtenir.

Pour progresser en lecture, il faut déchiffrer, encore déchiffrer et surtout aimer cela. Un professeur ou un musicien ne doit jamais condamner celui qui y renonce. D'ailleurs, renoncer ne signifie pas abandonner. Il est toujours possible de reprendre la pratique de la lecture plus tard et sous d'autres conditions.

Et le rythme, quelle est sa place ?

Historiquement parlant, le rythme existait bien avant les écritures, librement, sans attache intellectuelle, comme une respiration. Les écritures ont "conditionné" le rythme. N'oubliez pas qu'un rythme écrit n'est pas un rythme vivant. L'écriture produit uniquement des rythmes "morts", immuables. L'écriture explique un mécanisme "mathématique" qu'il faut ensuite personnellement décoder, assimiler et interpréter.

L'apprentissage du rythme est une tâche exigeante et parfois ingrate qui disparaît quand le résultat est là. Un sentiment de victoire vous envahit alors. La difficulté est enfin vaincue ! Au piano, à cause des problèmes d'indépendance main droite/main gauche (et des pieds), il existe des rythmes extraordinairement difficiles à exécuter. Lors du déchiffrage de partition, il arrive bien souvent que le musicien éprouve plus de difficultés à soigner le rythme qu'à lire les notes. Ceci est dû au nombre très important de combinaisons rythmiques qui peuvent se présenter et qui précipitent le musicien dans un travail "à reculons", l'obligeant à remonter aux sources, en partant d'un rythme moins élaboré.

Faut-il posséder un don pour comprendre les rythmes ?

Tout dépend du sens que vous donnez au mot "don" ? Les expressions "Avoir le sens du rythme" ou "Le rythme dans la peau" résument à elles seules un côté quelque peu magique… mais qui n'a rien à voir avec un don !

Contrairement aux enfants, beaucoup de personnes adultes se fabriquent leur propre idée sur la question. Les occasions dans la vie ne manquent pas : taper des mains en rythme lors d'un concert, participer à un "bœuf" improvisé lors d'une soirée, etc. Chaque occasion produit ses effets, positifs ou négatifs. Quand on est en bonne relation avec le rythme, on participe et on y pénètre naturellement avec ses propres moyens, sa propre technique, même si celle-ci est rudimentaire. En rythme, il faut toujours positiver. L'enfant, lui, garde la spontanéité de la découverte et ne se pose pas les questions qui pourraient troubler son esprit.

Nous pouvons évoquer une certaine forme de "sensibilité" rythmique seulement quand la relation avec le rythme agit directement sur l'individu ; lorsque aucun frein intérieur ne forme barrage à sa perception sensorielle. Alors, aidé de sa mémoire et d'une bonne dose de concentration, la personne sera en mesure de reproduire de façon parfaite ou avec un surcroît de fidélité le rythme entendu.

Et quand un rythme est écrit ?

Dans le domaine de l'écriture, le problème est sensiblement différent. La connaissance du rythme, avant d'être reproduite de manière libre, naturelle, est d'abord assimilée intellectuellement. Plusieurs techniques existent. Généralement, on apprend chaque figure rythmique individuellement avant de créer des mélanges. Une fois assimilée, l'interprétation hasardeuse du rythme laisse place à une précision beaucoup plus mécanique et carrée. Et à un niveau encore supérieur, la figure rythmique sera organiquement et mentalement intégrée par le musicien pour devenir "instinctive" dès que celle-ci surgira au hasard de la partition.

Concernant toujours la pratique rythmique, doit-on envisager une certaine forme d'intelligence si l'on souhaite y pénétrer avec facilité ?

Je crois que l'on prend la pleine mesure de son intelligence rythmique au contact des autres musiciens, surtout en musique "moderne" ou l'interactivité rythmique est capitale. Ne dit-on pas d'une rythmique "qu'elle tourne bien", "qu'elle possède un bon groove" ? Ce langage-là, impropre à la culture classique, trouve toute sa justification auprès de la musique dite "vivante", comme le jazz, le rock ou la chanson.

Ces expressions ont commencé à apparaître quand on a essayé d'expliquer les mécanismes du swing dans le jazz. Cette façon de pousser en avant, cette sensation que tout s'accélère… Toutes ces impressions sont bien difficiles à expliquer avec des mots ! C'est ce qui pousse des musiciens comme Stevie Wonder ou Herbie Hancock, quand on les interroge sur la question, à pointer un doigt en direction de l'enceinte diffusant une musique de fond et en s'empressant de proclamer à qui veut bien le croire… Vous entendez, c'est ça le swing !

On dit également : "jouer au fond du temps", "jouer en avant". Ce sont d'autres façons de conduire le rythme dans son ensemble, en le retenant ou en le laissant "filer". Toutes ces expressions ne peuvent s'écrire par des notes ou des silences sur une partition. Tout au plus, elles peuvent être indiquées en début de morceau par quelques mots qui servent de conducteur. Elles sont avant tout le reflet d'un sentiment.

Tout le monde n'accède pas au sens du rythme avec la même facilité ou pour être plus exact, à certains types de rythme. Par exemple, il existe des personnes qui assimilent plus facilement les rythmes binaires que les rythmes ternaires (et inversement). Pour autant, il ne faut pas conclure qu'un musicien qui comprendra les rythmes ternaires deviendra un bon jazzman (NB : de nombreux rythmes jazz sont ternaires).

Le rythme n'est qu'un élément de la musique, mais un élément central qui construit et solidifie l'art musical. Pour le musicien, sa connaissance est vitale s'il souhaite épouser et respecter au mieux l'esprit d'un compositeur, d'un style ou si son aventure musicale le pousse à jouer avec d'autres musiciens.

Il est donc difficile de comprendre, sinon d'enseigner le rythme dans ce qu'il a de plus profond et d'essentiel ?

Oui, c'est exact. En dehors des figures rythmiques écrites qui peuvent s'expliquer mathématiquement et se travailler par mémorisation et répétition, tout ce qui concerne la précision, l'expression ou la sensibilité du terrain rythmique reste du domaine psychique. Ceci explique les "communions" rythmiques qui se produisent parfois à l'intérieur d'un groupe de jazz ou de rock lorsqu'ils connaissent bien leur façon respective d'appréhender le rythme.

Pour l'enseignant, l'apprentissage du rythme est donc une bonne occasion de prouver sa réelle utilité, de démontrer ses capacités pédagogiques ?

Oui, en effet. Mais malheureusement, l'apprentissage du rythme est souvent négligé. Trop souvent, les apprentis musiciens sont les premiers à proclamer leur insuffisance dans cette matière. Il existe plusieurs raisons à cela : soit l'élève éprouve des difficultés à comprendre la figure rythmique, soit le rythme n'est pas assez travaillé pour être assimilé... soit c'est l'enseignant qui en est la cause. Celui-ci, à court d'argument ou perdant patience, zappe la difficulté en laissant croire à son élève la parfaite exécution de la figure rythmique et passe à autre chose. Ce genre d'attitude se produit surtout quand le professeur est limité dans le temps, comme quand la durée du cours est trop courte ou quand l'enseignement s'exécute en collectif. Si cela se produit fréquemment, il en résulte des conséquences catastrophiques dès que l'élève se trouve projeté en face d'un autre enseignant "plus exigeant" ou lorsqu'il se trouve en présence d'autres musiciens plus en accord avec le respect du rythme.


Nous avons évoqué le déchiffrage de partition, le solfège. Vous avez même émis des mises en garde concernant l'apprentissage du rythme, mais en amont de tout ceci, existe la théorie musicale…

Avec la théorie musicale, nous retournons à nouveau dans le domaine des écritures… sauf, si vous travaillez la musique par "imitation". Dans ce cas, les connaissances théoriques n'aident pas ou alors très peu. Un pianiste joue, vous l'écoutez ou vous le regardez jouer et aussitôt vous essayez de reproduire la courte phrase qu'il vient d'exécuter. Évidemment, une telle approche à des limites, mais elle n'est pas à négliger si l'on souhaite développer certains réflexes, voire développer un certain "feeling" avec l'instrument. L'improvisation peut également se passer de la théorie comme de l'harmonie, même si ces matières peuvent aider le musicien à mieux comprendre certaines relations avec son instrument. N'oubliez pas que des connaissances en théorie ne feront jamais de vous un bon improvisateur, mais seulement un intellectuel averti. L'essentiel de l'improvisation repose sur d'autres critères que nous aurons l'occasion d'évoquer plus tard.

La théorie musicale est vaste et absorber tout l'ouvrage d'Adolphe Danhauser ne s'impose vraiment pas, sauf pour ceux qui voient dans la musique un discours réservé à une certaine élite. Seules quelques connaissances sont essentielles pour démarrer (comme la théorie de base proposée dans les cours en ligne avec l'étude des altérations, des silences, de la mesure…) ; alors que d'autres sont secondaires, voire inutiles en encombrant l'esprit. Apprendre le nom des degrés de la gamme ne vous empêchera pas de jouer une gamme et savoir ce qu'est une modulation ne vous empêchera pas de moduler à votre insu ! La "théorie de base" proposée par le site est facile à assimiler. Elle vous permettra au bout de quelques jours de reconnaître aisément les principaux signes de la partition.


À SUIVRE... SUITE : LA PARTITION, SON UTILITÉ ET SES USAGES


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