DOSSIERS DIVERS



LE MÉTIER DE DÉMONSTRATEUR EN MATÉRIEL DE MUSIQUE

Qui sont ces musiciens, ces claviéristes capables de faire surgir des instruments dernier cri, de superbes sonorités ou de faire croire à l’incroyable en repoussant les limites de leur utilisation ? Catalogué de démonstrateur, ils sont généralement au service d’une marque ou d'une société et ne sont souvent connus que des magasins de musique et de quelques musiciens professionnels…


LA DÉMOCRATISATION DU SYNTHÉTISEUR

L’apparition commerciale dans les années 60 des claviers à synthèse soustractive constitue sûrement l’événement déclencheur de l’évolution de la musique électronique. Dès cette époque, dans la pratique au quotidien, les claviéristes sont confrontés à des difficultés qu’il est peut-être aujourd’hui difficile d’imaginer : côté programmation, aucune assistance technique ou presque, pas de source d’information ou si peu, et une électronique pas vraiment stable. De quoi stimuler les neurones pour celui qui souhaitait s'y engager !

Initialement réservés à la recherche et la musique expérimentale, le synthétiseur s’est pourtant rapidement démocratisé, si bien que son emploi s’est répandu dans toutes les strates de la musique vivante. Petit à petit, sa polyvalence lui a permis d'intégrer toutes les formes de scénarios inimaginables, du groupe au grand orchestre, jusqu’à imposer sa marque de fabrique à côté du piano.

Dès les années 80, synthétiseur, boîte à rythme et séquenceur pénètrent de plain-pied dans le domaine du grand public via l’informatique. La désormais "musique assistée par ordinateur" (MAO) séduit au passage un bon nombre de claviéristes amateurs, imposant le synthétiseur comme une machine exemplaire, loin d’être inhumaine et sans âme, reflétant au contraire toute la personnalité et les qualités d’inventivité de son utilisateur.

© pixabay.com


LE RÔLE DU DÉMONSTRATEUR DU TEMPS DE L'ANALOGIQUE

Si l'arrivée des synthétiseurs a permis aux musiciens des initiatives qu’ils n’auraient certainement pas eues sans leur présence, il faut admettre que face à leur complexité, le premier devoir a toujours été d'apprendre à les utiliser correctement pour en retirer le meilleur parti. Cette frénésie du « matos », qui a démarré au cœur des années 70 et qui n’a eu de cesse de s’amplifier, a provoqué l’arrivée d’une profession hautement spécialisée : démonstrateur en matériel de musique électronique.

Démonstrateur, un métier pas toujours gratifiant, mais fort heureusement apprécié par les musiciens qui voyaient, à l'issue d'une démo de matériel, une bonne occasion de parler technique et d’échanger. Du temps du synthétiseur analogique, le "démonstrateur officiel" d'une ou de plusieurs marques occupait le terrain dans les foires spécialisées, les salons, les manifestations musicales et réalisait des tournées dans les magasins de musique en démythifiant l’usage de l'instrument, en informant et en vulgarisant son usage. Il permettait aux constructeurs d’améliorer leurs produits en fonction du ressenti de l’utilisateur lambda vis-à-vis d’un modèle ou d’un type de matériel. Cette communication était essentielle tant au point de vue de la commercialisation que de l’efficacité à proposer du matériel en tout point conforme aux attentes.

Parfois, une nouveauté était attendue comme le messie. Des bruits circulaient... et les musiciens espéraient du démonstrateur qu'il soit en mesure d’illustrer avec brio les possibilités du « matos revendiqué  » par la presse spécialisée. Il devait agir comme un musicien qui joue seul chez lui et qui maîtrise l’instrument qu’il a sous ses doigts. En quelque sorte, il préfigurait l’homme-orchestre qui avait un contrôle direct et complet sur la musique qu’il produisait. Il fallait surtout dédramatiser l'image d'un matériel jugé complexe, encore onéreux, et pas toujours compris à sa juste valeur.


DANS LES FAITS…

À longueur de journée, en dehors de ses « prestations commerciales » imposées, l'activité du démonstrateur est de tester, évaluer, corriger, enregistrer, mixer, chercher des sons, des combinaisons inédites, des « chemins de passage » sur un matériel qui ne livre pas ses « secrets » de lui-même. Autant le dire tout de suite, sans la passion, rien n’est possible dans ce domaine.

Il n’existe pas de filières, de solutions inscrites sur des pages d’un ouvrage de référence, puisqu’il faut construire avec les particularités du neuf. Toutefois, l’expérience joue ici un grand rôle. Posséder une « maîtrise » qui jouxte des procédés techniques qui n’ont plus cours n’est pas à rejeter. Bien au contraire ! Ici comme ailleurs, l'expérience prévaut. Quand le grand saut vers l’inconnu survient pour une question de maniement, d’architecture ou d'assemblage, les connaissances peuvent alors rendre de grands services.

La majorité des instruments électroniques suivent une évolution technologique et une logique que le spécialiste doit bien sûr saisir avant que des mains plus « innocentes » se posent dessus. Des événements majeurs, comme le passage de l’analogique au numérique, l'arrivée du sampling, de la musique informatisée, ont suscité autant d’émerveillement, de découverte que de déconvenue. Pour le démonstrateur, il faut alors tout remettre à plat dans sa façon de penser, d'agir et de contrôler.

Bien qu’une formation musicale des plus classiques puisse se révéler utile lors d'une présentation d'un nouveau clavier, il n’est pas forcément nécessaire d’être un grand pianiste pour illustrer efficacement les possibilités d’un synthétiseur ou d’un sampleur. La « performance » se travaille d’abord discrètement dans un local aménagé, bien à l’abri des regards et surtout des oreilles ; l’important étant de produire à la sortie une « démo » qui synthétise les points forts du produit en quelques minutes de passe-passe bien calculé.

« L’animateur du spectacle » doit nécessairement posséder une fibre artistique : musicien, preneur de son… Parfois les techniques d’enregistrement peuvent séduire et le son conduire à la programmation ; un point d’accord qui s’amplifie parfois jusqu’à devenir le spécialiste recherché auprès des studios professionnels. Des cas feront école avec parfois le nom du programmateur inscrit sur la pochette des disques. Cependant, cette singularité artistique dans un parcours exemplaire battra de l’aile avec l’arrivée du numérique et la multiplication des home-studios. Les musiciens, en prenant le contrôle total de leurs œuvres en postproduction, seront les premiers à revendiquer leur propre vision sonore, le tout contenu dans une clé USB.


LE MALAISE DES DÉMOS CIRCULANT SUR INTERNET

Dans les années 80, les premières cassettes de démo commencent à circuler avant que des cassettes vidéos VHS ne promettent l’instrument de l’année. Pour la plupart, les musiques et les sons sont alors conçus par un personnel accrédité par la marque (Roland, Yamaha, Korg…) ou la société qui la représente. La mission : présenter un produit de façon efficace dans un temps imparti, souvent court et permettant de dévoiler les différentes facettes sonores de l'instrument : compositions ciblées, musique branchée, tessiture calculée soigneusement. Rien n'est laissé au hasard.

Image publicitaire pour un salon de musique (photo non contractuelle)

Au tournant du 21e siècle, les salons se raréfient et ceux qui résistent deviennent des R.V. annuels. L'offre se diversifie en proposant stands, concours et spectacles… Pendant ce temps, l’image, qui a fait sa propre révolution à travers les clips, prend les commandes et continue d'imposer sa dictature. Boostée par Internet, la démo de matériel devient le terrain de jeu idéal du musicien amateur. Des vidéos commencent à circuler sur la Toile et celles que l’on qualifie parfois de « démo » volent rarement au-dessus des pâquerettes ! De mauvaises qualités, maladroites, éludant les faiblesses – car il en existe toujours – la plupart se révèlent incomplètes, montrant des possibilités techniques souvent énormes en 3, 4 minutes (voire moins), là où il faudrait au moins une demi-heure !

Exit le démonstrateur aguerri. Dans le meilleur des cas, les marques font appel à des musiciens célèbres, non seulement pour une question de marketing, de valorisation, mais aussi pour renforcer leur image professionnelle. Ceci n'est certes pas nouveau, car par le passé de célèbres artistes présentaient du matériel dans les magazines spécialisés. Vangelis, Jarre, Hancock ou Aznavour, entre autres, se sont prêtés au jeu de la photo publicitaire. Toutefois, concernant les tests, ceux-ci étaient et sont toujours confiés à des musiciens rompus à l’exercice. Ne mélangeons pas tout !

De nos jours, le démonstrateur professionnel ne se hasarde que fort peu sur la Toile, alors qu’Internet pourrait être une excellente vitrine pour expliquer, montrer ou démontrer les + et les – d’un produit. En attendant, il reste un conseiller précieux pour les constructeurs en continuant d'appliquer ses théorèmes dans l'ombre. Sur le Web, certains parlent de leur expérience en les conjuguant au passé et publient parfois des ouvrages ciblés. En fait, il ne reste de ce métier exigeant et hautement distinctif que des traces qui s’effilochent au fil du temps, et c’est regrettable.

Par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 10/2019)

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