HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE ROCK
Fats Domino est un pianiste au jeu technique subtil qui a toujours su combiner dans un style inimitable les musiques de son enfance, telles que le blues, le ragtime et le boogie-woogie. Son ascension soudaine provient de ses chansons novatrices qui marquent de leur sceau les prémices d'un style musical qui allait devenir quelques années plus tard le rock'n'roll. The Fat Man (1950), Rockin' Chair (1951), Goin' Home (1952), Ain't That a Shame (1955), Blueberry Hill (1956), Blue Monday (1957), I'm Ready (1959) et What a Price (1961) sont aujourd'hui devenues des chansons cultes de la musique rock.
Fats Domino parle le français de la Louisiane avant l'anglais. Il débute dans sa ville natale avec son père, violoniste dans un groupe de dixieland, et son oncle, musicien dans les orchestres jazz de Kid Ory et d'Oscar Papa Celestin. Ses débuts sont difficiles. Employé à 3 dollars la semaine au Hideaway Bar, il est découvert en 1949 par le directeur d'Imperial Records, Lew Chudd.
Sortie en 1949, la chanson The Fat Man devient, aux yeux des historiens de la musique rock, l'un des premiers titres du rock'n'roll. Elle propulse sur le devant de la scène un certain Antoine Dominique Domino, un homme dont la forte corpulence lui vaudra d'être surnommé 'Fats'. C'est grâce à cette chanson que le public noir découvre ce personnage à la stature imposante et qui va tracer durant plus de 40 ans une carrière de chanteur/pianiste exceptionnelle en vendant plus de 70 millions de disques.
Sa réussite est d'autant plus importante à ses yeux que ses origines créoles sont dans les années 40 un handicap majeur quand on habite non loin du Mississippi. Pour lui, les bons côtés de la vie se partagent entre sa foi catholique, la musique et sa famille (Fats Domino est le benjamin d'une famille qui compte sept frères et sœurs). La pratique musicale va être pour lui un moyen de vaincre sa timidité maladive. Face à la pauvreté de la famille, les cours sont exclus et Fats apprendra la musique sur un vieux piano en autodidacte.
Ayant délaissé les études scolaires dès l'âge de 10 ans, Fats Domino n'a d'autre solution que de trouver du travail et entre dans une manufacture. Comme la pratique du piano occupe tout son temps de libre, Fats devient rapidement un bon pianiste. Dès lors, il tente sa chance dans la musique et se produit dans quelques bars et night-club de la Nouvelle-Orléans…
À 14 ans, il se lie d'amitié avec Robert Buddy Hagans, un saxophoniste qu'il a rencontré dans une boîte de la Nouvelle-Orléans. Le musicien deviendra un des plus fidèles compagnons de route du pianiste chanteur. Autour de Fats et de Buddy, d'autres musiciens viendront se joindre à eux : le guitariste Rupert Robertson, le batteur Victor Leonard et plus tard le bassiste Billy Diamond.
À cette époque, l'influence du boogie-woogie est très présente chez de nombreux musiciens. C'est une musique très à la mode et si Swanee River Boogie d'Albert Ammons est au programme, il n'y a là rien que de plus normal. Au fil des années, Antoine Dominique Domino, alias Fats Domino, voit sa popularité franchir les limites de la Nouvelle-Orléans.
À 21 ans, il se produit au Hideaway, une boîte en vogue qui attire un large public. Les spectateurs sont venus exprès pour écouter ces chansons dont tout le monde parle. Le trompettiste et compositeur Dave Bartholomew, également agent pour le label indépendant Imperial Records, très séduit par son show, lui fait signer aussitôt un contrat... Par la suite, une collaboration fructueuse va naître entre les deux hommes. Ils vont composer, arranger la presque totalité des morceaux ensemble. Le plus souvent, Fats apporte les idées et Dave les met en forme. Tous les titres vont être 'calibrés' pour convenir au pianiste chanteur. C'est ainsi que la chanson The Junker's blues, nouvellement habillée, deviendra The Fat Man, le premier grand succès de Fats Domino.
À travers The Fat Man, l'esprit du boogie-woogie est bien-là, mais il se dégage une énergie, un balancement tout à fait singulier qui fait que cette chanson est bien plus qu'un simple boogie-woogie. Ce balancement rythmique très appuyé, va devenir, en quelque sorte, la marque de fabrique du style 'Fats Domino'. Le pianiste chanteur va ouvrir la porte à une certaine libération rythmique, directe, en amplifiant les racines musicales de son enfance, mêlant musique blues et musique créole.
FATS DOMINO : THE FAT MAN (ext.)
Comme pour beaucoup d'artistes noirs, l'époque est dure. Le racisme, tout comme l'injustice, est depuis longtemps comme une institution normalisée. La soi-disant supériorité de la race blanche fait loi et la musique de Fats n'échappe pas à la règle. Ses chansons, tout en n'étant pas porteuses de messages subversifs, sont un affront à celles des blancs. Plus tard, la reconnaissance de sa musique par Elvis Presley sera d'une aide précieuse en touchant les teenagers blancs.
Fats Domino donnait à son rythme le nom de 'big beat'. Le rythme du piano est encore ternaire et s'appuie fortement sur l'utilisation de triolets. Ce style d'accompagnement pianistique perdurera jusqu'aux slows des années 60... Sans le savoir, Fats allait conduire d'autres musiciens à emboîter ses pas. En pleine période 'pop', on retrouve les traces de son influence chez The Beatles avec Lady Madonna (qu'il reprendra à son tour) et chez Stevie Wonder avec Boogie on Reggae Woman. Ce rythme typique que l'on retrouve avec retenue dans Blueberry Hill ou d'une façon plus prononcée dans Ain't That a Shame influencera également les musiciens adeptes du reggae et de son cousin le ska.
Fats Domino a été un musicien qui a influencé la musique du rock'n'roll jusqu'en haut de la pyramide, pourtant, l'histoire de la musique n'a pas retenu à sa juste mesure toute l'importance de l'artiste, comme pour Elvis Presley, Jerry Lee Lewis ou Chuck Berry. Avec le temps, son aura s'est dissipée lentement. Son ascension fulgurante dans les années 50 a dû faire face à l'invasion de la musique pop anglaise dans les années 60. Malgré un come-back retentissant en reprenant Lady Madonna et d'autres succès des Beatles (album Fats Is Back), l'artiste ne retrouvera jamais le faste d'antan.
Aujourd'hui, il ne quitte plus sa ville natale, la Nouvelle-Orléans. Il demeure un artiste intègre pour le fan de rock, une marque de fabrique, le fondateur d'un style musical lié à une époque révolue et à des chansons empreintes d'un certain optimisme... Tout le contraire d'un pur rock'n'roll dur et intransigeant ! Pourtant, de nombreuses stars du rock'n'roll ont salué à leur façon tout le talent de l'artiste en reprenant ses grands succès : Billy Joël, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Elvis Presley, Little Richard... et même au-delà des frontières du rock (Blueberry Hill par Louis Armstrong).
Sa renommée l'amènera à faire quelques apparitions au cinéma, dans Rattle & Rock Shake et The Girl Can't Help It, en 1956, où on le voit interpréter son fameux titre Blue Monday. Ensuite, l'artiste fera de courtes apparitions dans d'autres films, Shake, Rattle and Roll, The Big Beat, Jamboree et dans la comédie Any Which Way You Can aux côtés de Clint Eastwood, en 1980.