HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE ROCK
Plus proche dans le style d'un Elton John que d'un Jerry Lee Lewis, Billy Joel est un artiste éclectique, à la carrière jalonnée de quelques tubes dont Piano Man, Uptown Girl, Just the Way You Are, Honesty ou bien encore Rivers of Dreams. Dompteur d'un piano rock qui se voudrait rebelle, il ne cache pas son admiration pour les pianistes classiques et les pianistes de jazz.
BILLY JOEL : JUST THE WAY YOU ARE (live)
'Je vis l'instant présent. Je continuerai à faire de la musique, parce que je ne suis qu'un musicien. Je le suis depuis l'âge de quatre ans. Aussi, je ne veux pas m'arrêter. J'aime trop ça.', avait dit l'auteur de Honesty, alors dans le creux de la vague... Son père le voyait pianiste concertiste et envisageait pour lui une autre destinée que la sienne. Les parents de Billy étaient des juifs allemands et avaient dû fuir le régime nazi en rejoignant la Suisse avant de commencer une nouvelle existence à New York, aux États-Unis.
Dans la banlieue de Long Island, le jeune Billy, tout en suivant une pratique religieuse assidue, apprend la musique à un âge où l'on commence juste à écrire… Son père étant un pianiste de formation classique et sa mère chanteuse dans une chorale, l'enfant va se trouver directement projeté dans une éducation musicale stricte.
Au fil des années, Billy Joel se rend vite compte que l'exigeante discipline du classique, avec ses exercices et ses heures de pratique quotidienne, n'est pas faite pour lui ; d'autant plus que les rythmes enlevés du rock'n'roll sont là pour l'extraire de sa torpeur d'adolescent. Lorsqu'il a 11 ans, ses parents divorcent et son père repart vivre à Vienne, en Autriche. C'est le grand-père maternel qui prendra la place du père. À l'époque, le jeune Billy aide financièrement sa mère à joindre les deux bouts en faisant des petits boulots en dehors de l'école.
Pour s'affirmer, il s'essaye à la boxe, mais au bout de quelques combats, craignant pour ses mains, il abandonne. Pour Billy, la boxe était surtout un moyen pour se défendre. Son intérêt pour la musique, plutôt que pour le sport, était devenu une source de taquineries de la part de ses camarades d'écoles.
Billy Joel a l'ambition de devenir un professeur d'histoire, mais l'adolescent fait trop souvent l'école buissonnière pour que son désir devienne une réalité. Il finit par quitter les études, sans diplôme, dans le seul but de commencer une carrière dans la musique. Billy Joel : "je leur ai dit… Au diable avec les études. Si je ne vais pas à l'université de Colombia, j'irai à 'Columbia Records'. Là-bas, vous n'avez pas besoin d'un diplôme d'études secondaires !". À 14 ans, c'est le grand saut.
Billy Joel ose l'aventure. Il garde le souvenir précieux des concerts de James Brown et de Sam and Dave. Otis Redding, Ray Charles, Elvis Presley et The Beatles marquent de leur personnalité le jeune pianiste. Le rock britannique va déterminer son style. Des Beatles, il retient un nom : Paul McCartney. Billy est sensible à ses qualités de mélodistes.
Le premier groupe de rock auquel il participe s'appelle The Echoes. Il compose ses premières chansons à l'orgue et à 15 ans, c'est son premier concert. La petite église de Hicksville sert alors de décor aux rythmes endiablés. Ensuite, ce sera The Hassles en 1967. Autour de lui gravite quelques copains : John Dizek au chant, Richard McKenner à la guitare, Howie Blauvelt à la basse et Jon Small à la batterie. À 18 ans, Billy et The Hassles enregistrent un premier disque. Le groupe gravera une seconde 'galette' deux ans plus tard.
Mais Billy Joel n'est pas satisfait. Il a dans sa tête un projet plus ambitieux. Avec le batteur de l'ancien groupe, Jon Small, il fonde un duo au nom provocateur, Attila. Ni plus, ni moins, Billy Joel vise l'exercice difficile de jouer les basses sur un clavier dédié, comme le faisait un certain Ray Manzarek des Doors. Parti trop tôt dans l'aventure ou par manque d'expérience, Attila est un échec. Billy ira jusqu'à maudire cette expérience-là. Découragé par ses premières tentatives musicales, il se lance dans le métier de chroniqueur pour un magazine de musique rock…
Aux échecs musicaux s'ajoute celui d'une relation amoureuse. Billy glisse alors dans une dépression qui le conduit à une tentative de suicide. Suivra un séjour dans un hôpital psychiatrique (la chanson qu'il écrira en 1985, You're Only Human, traitera du suicide chez les adolescents).
BILLY JOEL : HONESTY
Dès le début des années 70, Billy Joel décide d'écrire seul ses premiers albums, de 'Cold Spring Harbor' (1971) à 'Turnstilles' (1976)…
Les débuts sont difficiles. Pour Cold SpringHarbor, outre l'erreur technique survenue lors de la phase de mastering - faisant sonner la voix de Billy Joel trop haut - les conditions de production se révélent désastreuses pour le chanteur. Billy est coincé par des droits d'auteur et d'édition envers son producteur et manager Artie Ripp. Plus tard, grâce à la puissante compagnie 'Columbia Records', le contrat qui le liait avec Ripp devient caduc. Les seules conditions à cette rupture seront l'apparition du logo 'Family Productions' à côté de celui de la Columbia pour les cinq prochains albums et des compensations financières plutôt avantageuses. L'argent généré par la vente de ses disques ne rapportera, comparativement à la notoriété de son auteur, que très peu d'émoluments (7 000 dollars pour Piano Man).
Après une tournée de plusieurs mois pour promouvoir l'album malheureux, Billy Joel épouse Elisabeth Weber (l'ex-femme de Jon Small, batteur d'Attila). C'est elle qui prend alors les choses en main en gérant la carrière de son mari. Elle sera pour lui sa muse, sa source d'inspiration pour de nombreuses chansons.
Les albums s'enchaînent. À chaque disque, la personnalité de Billy Joel s'affirme davantage. Les paroles de ses chansons proviennent souvent de sa propre expérience, du vécu. Ainsi, pour Piano Man, il dépeint son travail de 'pianiste de bar' à Los Angeles, alors que dans la chanson Vienna, il fait référence à sa visite chez son père en Autriche.
Parfois, le chanteur fait référence à des lieux, comme avec la chanson It's Still Rock & Roll to Me, dont les paroles illustrent l'ambiance commerçante du Northen Boulevard de Manhasset, à Long Island. Quant à sa musique, elle se ressource aussi bien dans le classique, le jazz, le blues, que le gospel ou le ska. Billy Joel, que l'on a souvent comparé à Elton John, propose une musique riche, aux multiples influences, beaucoup plus ouverte que son ami anglais.
Après le succès de Piano Man en 1973, suivra l'album Streetlife Serenade (1974) qui reprend pratiquement les mêmes thèmes que l'album précédant. Il en profite pour lancer un 'coup de gueule' dans la chanson The Entertainer en dénonçant le dictat des chansons commerciales calibrées au format 3 minutes, montre en main. Alors que Columbia Records' demande à Billy Joel d'enregistrer plus de chansons, de reconduire le même genre de musique, le chanteur se défendra en refusant de produire une musique stéréotypée, facile ou convenue.
Après avoir passé trois années à Los Angeles, il revient vivre sur la côte Est et enregistre Turnstiles (1976)… Pour la première fois, Billy Joel joue en studio avec ses propres musiciens (Russell Javors & David Brown - guitares, Richie Cannata - saxophone, flûte, clarinette, orgue - Doug Stegmeyer - basse, Liberty DeVitto - batterie) et produit le disque. Le chanteur est alors à un tournant de sa carrière. Le piano devient un instrument phare, en témoigne le prélude de la chanson Angry Young Man. La consécration arrive avec le titre Just the Way You Are, un véritable tube qui lui vaut distinctions et reprises par de nombreux artistes.
À partir de l'album Turnstiles et jusqu'en 1986, Billy Joel ne va pas cesser d'aligner de nombreux tubes : New York State Of Mind, The Stranger, Honesty, My Life, Uptown Girl… L'album The Stranger, enregistré en 1977, se vendra à plus de neuf millions d'exemplaires aux États-Unis. Glass Houses, enregistré en 1980, entrera dans le Top 40 et remportera le Grammy Award de la meilleure performance vocale rock.
La musique de Billy Joel devient plus percutante. Il ne surfe pas sur la vague disco. Il l'ignore. Ses chansons s'habillent de rock musclé. Son expérience de musicien de piano-bar, assortie d'une volonté farouche de ne jamais se répéter, le poussent vers toujours plus de diversité, du très rock Glass Houses au plus traditionnel Song in the Attic (1981), en passant par The Nylon Curtain (1982). Dans cet album, Billy illustre les préoccupations socio-politiques de toute une génération. La chanson Allentown décrit le sort des chômeurs en Pennsylvanie, tandis que Goodnight Saigon évoque les anciens combattants du Vietnam. C'est l'album pour lequel l'artiste est le plus fier. Il sera d'ailleurs salué par la critique. À travers ce disque, Billy Joel voulait se rapprocher quelque part des Beatles et de leur concept discographique ambitieux…
En 1985, deux albums 'Greatest Hits' saluent la performance de l'artiste. Vingt millions d'exemplaires seront vendus aux États-Unis !
Alors que sa nouvelle femme Christie Brinkley donne naissance à leur fille, Alexa, le chanteur poursuit son aventure artistique. Après Modern Woman de la bande originale du film 'Y a-t-il quelqu'un pour tuer ma femme ?' (Ruthless People), il enregistre l'album The Bridge au début de 1986. Dans ce disque, Ray Charles apporte sa contribution à la chanson Baby Grand, tandis que Steve Winwood joue de l'orgue sur Getting Closer. C'est à cette époque que Billy Joel participe au dessin animé de Disney, Oliver et Compagnie (1988) et dans lequel il double le chien Dodger. Il enregistre une chanson pour le film : Why Should I Worry ? Billy entame ensuite de longues tournées, dont une qui le conduit de Moscou à Leningrad, alors encore séparés du reste de l'Europe par le Rideau de fer.
En 1989, la sortie de l'album Storm Front, coïncide avec des changements majeurs dans la carrière de l'artiste. Un procès voit le jour. Billy Joel poursuit son manager Frank Weber pour fraude et manquement à de nombreuses obligations financières. En janvier 1990, Billy Joel gagne le procès et reçoit deux millions de dollars.
Quatre ans après Storm Front, Billy Joel sort River Of Dreams. Avec une couverture de l'album peinte par sa femme Christie Brinkley et une chanson, Lullabye (Goodnight My Angel) dédiée à leur fille, l'album semble bien être une affaire de famille. À la fin des années 90, il désire vouloir arrêter sa carrière de rocker pour changer de style. Il publie Fantasies & Delusions (2001) qui comprend une suite de pièces pour piano classique. Si les morceaux sont tous écrits par Billy Joel, ils seront cependant interprétés par le pianiste Richard Joo.
Depuis, le chanteur n'a pas écrit, ou tout au moins déclaré de nouvelles chansons. Toutefois, l'artiste continue à se produire sur scène, même si sa présence se fait plus rare que par le passé.
Par Patrick Martial
LIRE : BILLY JOEL INTERVIEW, SON MÉTIER ET SA PASSION DU JAZZ