HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET DES INSTRUMENTS



LES FACTEURS D'ORGUE FRANÇAIS À TRAVERS L’HISTOIRE

Méconnus ou oubliés, les facteurs d’orgue contribuent à l’essor et à la pérennité de la musique dans les abbayes, églises et cathédrales. Entre leurs mains, l’orgue à tuyaux renaît et prospère grâce à leurs parfaites connaissances dans les domaines de la mécanique, de la soufflerie et de l’acoustique. La trop avare histoire de la musique a tout de même retenu quelques grands noms, souvent issus de longues lignées familiales, tels les Silbermann, Thierry, Dallery ou encore Clicquot et Gonzalez.


LA FAMILLE SILBERMANN

Les Silbermann, originaires de Saxe, sont beaucoup plus français qu'on ne l'imagine, non seulement parce que dès le début du 13e siècle ils se fixèrent à Strasbourg, mais aussi parce qu'ils acquirent en France, par l'apprentissage volontaire du plus célèbre d'entre eux, André, le « goût français ».

André Silbermann, créateur de la dynastie, naquit à Kleinbobritzsch en 1678 et disparut à Strasbourg en 1734. Après avoir appris les règles de son métier à Görlitz, chez le grand facteur Casparini, il se rendit en Alsace en 1699. Il fut reçu « citoyen de Strasbourg » en 1702 et c'est alors qu'il fonda sa manufacture. Deux ans plus tard, il partit se perfectionner à Paris, chez Thierry, puis revint dans la capitale alsacienne où il œuvra magistralement. On lui doit plusieurs chefs-d'œuvre : trente-quatre pour être précis. Malheureusement aucun, pratiquement, n'est resté intact...

André Silbermann eut évidemment des successeurs, dont son frère Gottfried qui, né an 1638, également à Kleinbobritzsch, retourna en Allemagne où il mourut à Dresde, en 1753. Associé d'André jusqu'en 1709, il s'établit ensuite à Freiberg. On lui doit environ 45 instruments, dont le très beau de la Cathédrale de Freiberg, datant de 1714. Gottfried s'intéressa aussi au clavicorde et construisit des pianofortes qui, dit-on, étaient appréciés de Jean-Sébastien Bach.

Le plus important disciple d’André Silbermann demeure incontestablement son fils, Jean-André, né à Strasbourg en 1712 et mort dans cette même ville en 1783. Il nous a donné 56 instruments à Strasbourg, Calmar, Bâle, spécialement, mais aucun n'est demeuré aujourd'hui d'origine. Le seul parfaitement « reconstitué » est sans doute celui d'Arleshelm (près de Bâle), grâce au talent du facteur Oskar Metzler de Zürich. Jean-André a connu personnellement Bach et Mozart. Ecrivain de talent, il a écrit une passionnante « Histoire de la ville de Strasbourg ».

La dynastie compte encore Jean-Henri, frère du précédant, né et mort à Strasbourg (1727- 1799) qui, toutefois, ne travailla pas tout le temps en Alsace, mais aussi avec son oncle Gottfried à Freiberg. Rentré en Alsace, c'est surtout au pianoforte qu'il s'intéressa.

Mentionnons encore Jean-Frédéric (Strasbourg, 1762-1805), à la fois facteur d’orgues et de pianos. Il fut titulaire de l'instrument d'André Silbermann de l'église Saint-Thomas de Strasbourg (1728) et compositeur. Il laissa un certain nombre de Lieder et de pièces pour clavier.

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LA FAMILLE THIERRY

Les Thierry forment la plus grande dynastie de facteurs d'orgues français. Leur apport dans l'histoire de l'instrument est capital - et pas seulement pour la France - d'ailleurs cette dynastie fut fondée par Pierre Thierry - 1604-1665) qui, après avoir appris son art chez Crespin Carlier entreprit personnellement d'abord quelques restaurations d'orgues à Paris : Saint-Germain-des-Prés (1636), Saint-Savarin et Saint-Paul (1645), Saint-Gervais (1649), Saint-Sulpice (1662). En province, il « releva » les orgues de la Cathédrale de Rouen (de 1657 à 1664) et de Saint-Pierre de Lagny. Son chef-d’œuvre reste, en tout état de cause, l'instrument de Saint-Germain-des-Prés dont il entreprit la nouvelle construction en 1661, mais qu'il ne put achever, surpris par la mort quatre ans plus tard. Ses fils termineront l'œuvre.

Pierre Thierry eut plusieurs descendants : Jean Thierry (1637-1669), Charles Thierry (1641 - ) qui travailla quelque temps avec son frère Alexandre, notamment à Saint-Germain-des-Prés, mais qui abandonna la facture pour le commerce ; Alexandre Thierry (1646-1699), le plus illustre, dont les réalisations furent toutes d'exception dont la Sainte Chapelle et Notre-Dame. Il construisit également les orgues de I'Abbaye Saint-Victor, de Saint-Louis des Invalides (ouvrage pour lequel il obtint le titre de « facteur du Roi ») et de Saint-Eustache.

La dynastie des Thierry s'acheva avec François (fils de Jean), né en 1677 et mort en 1149. Il nous donne plusieurs réussites dont une part des orgues de la Paroisse des Innocents (1723) et de Saint-Antoine du Haut Pas (1744) ; d'autre part l'orgue de Notre-Dame (de 1730 à 1735).


LA FAMILLE DALLERY

Cette famille d’organiers du nord de la France a été fondée par Charles Dallery (1702-1770). On lui doit d'énormes instruments comme ceux des Abbayes de Carble et d'Anchin. Son neveu et disciple préféré, Pierre Dallery (1735-1810), fut l’associé de François-Henry Clicquot avec lequel li travailla pendant une quinzaine d'années à partir de 1767. Enfin, Pierre-François, fils Pierre (1754-1833), qui se contenta de restaurer des instruments jugés vétustes. Peu scrupuleux, plus commerçant qu'artiste, ce dernier entreprit des travaux souvent stricts à des vives critiques. Son fils, Louis-Pierre (1797-1860), n'a pratiquement rien laissé d'exceptionnel. Son seul ouvrage connu demeure l'orgue de la Sorbonne, à Paris, qu'il acheva en 1825.


ARISTIDE CAVAILLE-COLL

Aristide Cavaille-Coll, fils de Dominique-Hyacinthe (qui construisit des orgues à Montpellier, Beaucaire, Nîmes, Gaillac), naquit à Montpellier en 1811 et mourut à Paris en 1899. Chef de file des facteurs romantiques, son importance est considérable dans l'histoire de l'orgue grâce aux nombreux perfectionnements qu'il y apporta. Parmi ses plus belles réalisations, il y a lieu de citer les instruments de Saint-Sulpice, la Madeleine, Saint-Denis, Sainte-Clotilde, Notre-Dame pour Paris ; Salnt-Ouen, à Rouen, mais aussi bien d'autres en France et à l’étranger, particulièrement en Belgique et en Hollande.


JOSEPH BEUCHET

Organier nantais (1904-1970), petit-fils et successeur de Louis Debierre, avant de diriger l'illustre maison créée par son grand-père par alliance, il fut l'un des derniers directeurs de la manufacture Cavaillé-Coll à Paris. Joseph Beuchet a construit ou restauré un grand nombre d'instruments avec une rare compétence, dont : Saint-Louis des Invalides, La Trinité, Saint-Augustin, Sainte-Clotilde, Saint-Etienne du Mont, Saint-Marcel, pour Paris ; les cathédrales de Nantes, d'Angers, d'Angoulême, du Mans, etc.


LA FAMILLE CLICQUOT

Autre grande famille d’organiers français, originaire de Reims. Ses plus illustres représentants sont d'abord Robert Clicquot (1845-1719) qui, venu de Reims s'installer à Paris, dote la capitale et la province d'instruments neufs ou refaits, tout à fait admirables. Citons : la Chapelle du Château de Versailles, Saint-Jean des Vignes à Soissons, Saint-Quentin à Rouen, Saint-Louis des Invalides à Paris. Facteur du Roi, lui aussi, il transmettra le flambeau à son fils aîné, Jean-Baptiste Simon (1678-1744) qui travailla avec lui, mais ne donna pas, personnellement, d'instruments notables, ce qui fut également le cas de Louis-Alexandre, fils cadet de Robert. Il réalisa pourtant d'importants travaux à Saint-Roch et à Saint-Paul pour Paris, à Saint-Louis de Versailles ensuite. Louis-Alexandre laissa plusieurs fils, dont François-Henry (1730-1790) qui construisit des instruments nouveaux et restaura certains de ceux signés par son père et par son grand-père : Saint-Nicolas des Champs, pour Paris ; à Poitiers, Nantes et Souvigny. pour la province. On doit à François-Henry Clicquot un « Traité pratique de la facture d'orgue », publie en 1789.

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JEAN DE JOYEUSE

On doit à ce facteur, né à Chémery-sur-Bar en 1638 et mort à Narbonne en 1669, d'avoir fait connaître à travers la province française les principes de la facture parisienne et la richesse des œuvres d'alors. Jean de Joyeuse restaura ou reconstruit plusieurs instruments avec un talent admiré de tous. Signalons pour mémoire, les orgues de la Charité à Lyon, de Saint-Etienne de Toulouse, de la Cathédrale de Perpignan (1888-1889) et de la Cathédrale d'Auch (1688)


LA FAMILLE ISNARD

Famille d’organiers dont les représentants célèbres sont : Jean-Esprit (1707-1781), moine dominicain qui construisit entre autres des orgues à Arles, Marseille, Avignon et Rodez. Son chef-d'œuvre fut l'orgue de Saint-Maximin ; Joseph (1740-1828), qui collabora avec François-Henry Clicquot.


LA FAMILLE GONZALEZ

D'origine espagnole, Victor Gonzalez, né en 1877 et mort à Paris en 1956, fut le disciple de Cavaille-Coll. En 1925, il décida de monter sa propre maison dans la région parisienne, à Châtillon-sous-Bagneux. C'est lui qui imposa au Congrès d'orgue de Strasbourg, en 1932, un retour à la facture traditionnelle, c’est-à-dire celle où existe un véritable équilibre entre les trois familles de jeu : Fonds, Mutations et Anches. Victor Gonzalez apparaît aujourd'hui comme le plus important facteur français du 20e siècle et son influence a été capitale - voire décisive - nombre d'organiers français et étrangers s'étant inspirés de lui, même lorsqu'ils prétendent le contraire !

On doit à Victor Gonzalez un certain nombre d'instruments, neufs ou restaurés, remarquables par leur harmonie et, avant tout, la composition des plein-jeux. Citons : Reims, Saint-Eustache, Saint-Merry, Château de Versailles (reconstitution scrupuleuse du bel instrument de Clicquot), orgue monumental du Palais de Chaillot - travail qu'il entreprit en compagnie de son fils Fernand qui, né en 1906, ne put œuvrer davantage avec son père puisqu'il devait mourir pour la France le 9 juin 1940 -, etc.

À la mort de Victor Gonzalez, le flambeau de la firme a été repris par son petit-fils par alliance, Georges Danion (né en 1923), lequel, avec une rare compétence, a su garder l'esthétique d'ensemble de Victor Gonzalez. En outre, Georges Danion a considérablement développé la maison de son grand-père en fondant une manufacture à Rambervillers, dans les Vosges (anciens ateliers de la Société Jacquot-Lavergne), et en aménageant un nouvel atelier à Brunoy, près de Paris.

On doit à Georges Danion, en dehors de l'entretien des œuvres de Victor Gonzalez, des restaurations ou des orgues neuves tout à fait exceptionnelles : Saint-Eustache, Studio 104 de I'O.R.T.F., Saint-Vincent de Peul, La Madeleine, orgue de I'Ecole Militaire, à Paris, Basilique d’Argenteuil, Chapelle du Prytenée militaire de la Flèche, Cathédrale d'Auch de Limoges, de Chambery, du Mans, de Chartres, de Troyes. Nous n'aurions garde d'omettre l'excellent relevage de l'orgue historique de l'église Saint-Sauveur du Petit-Andely.


LA FAMILLE ROETHINGER

Fils d’organier, né à Strasbourg en 1886 et mort dans cette même ville en 1953, Edmond-Alexandre Roethinger, après son apprentissage chez Koulen, où officiait son propre père, et des voyages d'études en Allemagne du sud et à Paris où il échangea de fructueuses idées avec Cavaille-Coll, fonda en 1893 sa propre maison dont le but était de maintenir le plus possible la tradition des Silbermann. Roethinger fut l'un des premiers à prôner, à la suite de Victor Gonzalez, la facture néoclassique.

À sa mort, son fils Max (né en 1897), mais surtout son petit-fils André (né en 1928), reprirent la manufacture qui, quittant Strasbourg, s'installa à Schiltigheim dans la banlieue de la capitale du Bas-Rhin. André Roethinger œuvra pour un retour au classicisme français. On lui doit des instruments remarquables, neufs ou restaurés, tels celui de la Cathédrale de Strasbourg en 1959 (l’instrument avait déjà été entièrement refait par son grand-père en 1934) ou de Saint-Nicolas du Chardonnet, à Paris. N'oublions pas de mentionner, à l’actif de la Maison Roethinger, l’admirable travail de relevage du Silbermann d’Ebersmûnster, dû à Edmond-Alexandre, ainsi que l'orgue de la Cathédrale d’Amiens. La manufacture Roethinger a, malheureusement, fermé ses portes définitivement en 1968.

Par M. Louvet

Sources documentation :

- Félix Clément : Histoire de la Musique.
- Dom Bedos : L'art du facteur d'orgue.
- Norbert Dufourcq : L’orgue.
- Michel Louvet : Présence de la France dans l'histoire de l'Orgue / Orgues en France (dans « Le Courrier Musical de France ») / La dynastie des Roethinger (dans « Les Carnets du Rhin »).

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