HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE JAZZ
Timide et réservé, Jimmy Yancey est l'un des grands spécialistes de blues et de boogie-woogie. Son jeu est souvent sombre et parsemé d'influence espagnole. Encore aujourd'hui, il conserve une importante influence sur tous les adeptes du boogie-woogie.
Tout le long de sa vie et sans le savoir, Jimmy Yancey, en implantant et en vulgarisant le boogie-woogie, a joué un rôle important en posant les bases de ce qui va s'appeler des années plus tard le rock'n'roll.
Jimmy Yancey est remarqué très tôt pour ses aptitudes dans le chant et la danse, mais c'est le piano qui l'emportera. Comme de nombreux jeunes pianistes noirs, il est inspiré par le blues naissant. Pianiste quasiment autodidacte, son style se développe dans les années 1910/1920 sur la base du boogie-woogie, mais dans un tempo assez lent.
Si sa main droite est davantage mélodique qu'harmonique, délicate et inventive qu'agressive et mécanique, sa main gauche s'éloigne peu à peu du ragtime et développe des formules rythmiques répétitives basées sur des grilles de blues. À la façon d'un train qui roule, la main gauche produit alors des lignes de basse mélodiques et dansantes. Jimmy Yancey en est le précurseur, bien que celui-ci s'en défende à cause de ses origines familiales éloignées de la Côte-Est, malgré ses diverses prestations dans sa ville natale et bien avant que la mode du boogie-woogie des années 1930/1940 ne s'empare de la ville de Chicago. De même, la plupart des lignes de basse utilisées par le pianiste reposent plutôt sur des triades, comme on le retrouvera plus tard chez Fats Domino, que sur des jeux en octaves qui vont devenir à la mode.
Alors jeune pianiste prometteur, Jimmy Yancey, préférant la sécurité de l'emploi à l'incertitude artistique et en dépit de son influence dans les milieux du jazz et du blues, s'accroche à son emploi de jour comme jardinier au Comiskey Park de Chicago, pendant 25 ans. Son style influence rapidement des pianistes comme Albert Ammons, Clarence "Pinetop" Smith ou Meade "Lux" Lewis qui reprennent l'esprit du maître, mais avec une dynamique et une énergie plus vivace. Ce sont eux qui populariseront et feront connaître auprès des producteurs de disques le fameux pianiste.
JIMMY YANCEY : YANCEY STOMP
En 1936, Meade "Lux" Lewis enregistre son morceau Yancey Special, un boogie-woogie inspiré par le jeu pianistique de Jimmy Yancey. Peu de temps après, les producteurs de disques commencent à enquêter sur ce mystérieux pianiste nommé "Yancey". Enfin, en 1939, alors âgé de 41 ans, Jimmy Yancey sort de l'ombre et rattrape le temps perdu en enregistrant à une cadence soutenue de nombreuses pièces et compositions toutes personnelles (Yancey est connu pour avoir rarement dépassé deux prises lors de ses enregistrements studio). Il popularise sa ligne de basse qui devient la "Yancey bass" que l'on peut entendre dans des titres comme : Pee Wee Crayton's, Guitar Slim's, Bues after hours ou The things that I used to know.
Bien que les critiques citent la pureté et l'originalité de son approche, ses disques se vendent mal et le chapitre des premiers enregistrements prend fin après seulement 15 titres gravés. Cependant, il retourne en studio en 1943, mais cette fois-ci pour mettre en vedette sa femme Estella "Mama" Yancey, comme chanteuse. Seize titres sont enregistrés (mariés depuis 1917, le couple faisait de la musique ensemble à la maison. "Mama" possédait une voix de blues naturelle qui épousait très bien la musique de son mari).
Il faut attendre 1950, pour que le couple soit à nouveau réuni en studio pour enregistrer de nouveaux titres sous le label Atlantic Record. Sur les 17 titres enregistrés, seulement 5 font entendre la voix de "Mama" Yancey. Cette série d'enregistrements sera la dernière qui réunira le couple. Deux mois plus tard, Jimmy Yancey s'éteindra d'une attaque diabétique. Toutefois, pendant de nombreuses années après la mort de son mari, "Mama" Yancey continuera à chanter et à enregistrer pour de nombreux labels.
Les enregistrements de Jimmy Yancey sont rares et les traces sonores des émissions de radio inexistantes. Heureusement, quelques enregistrements (aux qualités variables) réalisés au domicile du pianiste enrichissent la discographie sommaire. Ils offrent au pianiste candide un aperçu supplémentaire du style apporté par Jimmy Yancey.
Le 23 janvier 1986, Jimmy Yancey est intronisé au Rock and Roll Hall of Fame, pour avoir contribué à l'élaboration du boogie-woogie en tant que style. Mama Yancey sera présente à cette cérémonie quelques mois avant de décéder.
Une des particularités de ses interprétations se situe dans la conclusion que le pianiste cherchait à résoudre dans la tonalité de mi bémol. Ce fléchissement atonal, parfois dissonant et sans préparation harmonique, donne cette couleur étrange que vous pouvez entendre dans quelques morceaux, comme ceux cités dans cette page.
Le "mi bémol" constitue la signature de l'artiste et sa singularité dans un monde musical où le coda final est souvent très convenu. Cette transgression harmonique peut être considérée comme une implication théorique et formelle, si bien qu'elle a motivé le compositeur néerlandais Louis Andriessen à composer une pièce pour ensemble à vent intitulé On Jimmy Yancey (1973).