PÉDAGOGIE



LE PIANO ET L'APPORT DE LA TECHNIQUE DANS L'INTERPRÉTATION

Depuis le début du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui, la pratique du piano n’a jamais cessé de se développer et l’arrivée des claviers électroniques a pris sa part en tentant de rendre le parcours du musicien plus agréable. Par contre, ce qui n’a guère changé, c’est la façon d’entrevoir le contact avec les touches noires et blanches…


LA NÉCESSITÉ D’UNE TECHNIQUE ADAPTÉE

Cette courte introduction permet de mettre le doigt sur un problème récurrent que de nombreux pianistes affrontent au quotidien : améliorer leur technique instrumentale dans l’intention de devenir plus performant. Or, si un tel désir permet d’atteindre des objectifs parfois plus proches de la compétition que du langage artistique, il ne peut se réaliser sans contraintes ; la première étant de maintenir le niveau avant de songer à une quelconque progression de son bagage technique.

Pour conserver son niveau, chaque pianiste a sa propre méthode. Alors que les répétitions et la scène suffisent pour quelques-uns, d’autres privilégient une approche plus ciblée à travers une pratique technique pure et un rituel précis ; mais quel que soit le cas, le plus important pour le pianiste est d’avoir un fil conducteur qui lui permet de se rassurer dans son rapport avec l’instrument. Pourquoi ?

Contrairement au musicien autodidacte qui s’en remet à lui-même pour apprendre, l'apprentissage d'un instrument part souvent d’une acceptation, d’une mise en confiance à autrui ou envers des institutions. L'apanage de tout bon enseignement n’est-il pas de conduire sur des rails celui qui ne sait pas ? La connaissance se niche alors dans une méthode ou un type d’enseignement, tandis que l’acquis s'obtient au fil du temps et des expériences.

La pratique du piano n’y échappe pas. Sous une forme d’autorité tacite, son apprentissage n’est pas sans conséquence quand l’éducation musicale intervient dès le plus jeune âge et qu’elle incite l’enfant à accepter tout ce qu’on lui présente comme il le fait à l’école. En fonction de la qualité de l’enseignement reçu, le risque est de faire intervenir une vision faussée du rapport avec la musique, et des années plus tard d'être dans l'obligation de revoir sa copie.

Par ailleurs, les médias (presse, radio, télévision) ne sont pas les derniers à souligner la prestation de haut vol d'un jeune musicien en soulignant sa précocité et ses aptitudes. L'argument d'une popularité dans les réseaux sociaux est souligné avant d'être renforcé, maladroitement, par l'idée selon laquelle une bonne démonstration artistique renvoie nécessairement à un accomplissement musical de haut vol.

Si l’expérience prévaut en musique, il est bien difficile de revoir sa position quand, absorbée par des habitudes tenaces et des rituels, le goût pour les prouesses a pris les devants en occupant une place trop importante dans la pratique. Dans un tel cas, il devient difficile de se rapprocher de cette vérité qui consiste à séparer la technique de l’art. C’est pour cette raison qu’il est dangereux de concevoir le rapport avec la musique sur un plan de performance sans y intégrer un accomplissement artistique. Seule une maturité précoce peut laisser espérer un moindre enfermement.

Allons plus loin !

La technique – celle des doigts – n’est qu’un moyen. La technique libère le geste, pourrait-on dire, mais le rapprochement avec l’art se situe ailleurs, dans une réponse plus globale qui prend en compte toutes les ressources physiques et intellectuelles, de la création à l’interprétation.

Tout est lié ! La créativité, en premier lieu, que l'on l’imagine trop souvent en dehors du circuit technique. Les auteurs de chansons qui “gratouillent” quelques accords sont assistés par le savoir des musiciens arrangeurs, des chefs d’orchestre ou, comme aujourd’hui, en étant aidés par les automatismes de quelques outils électroniques. La véritable inspiration ne peut se réaliser sans un certain détachement, une certaine hauteur, ceci pour éviter dans la mesure du possible un manque d’originalité et de discernement (bien rare est le jeune compositeur qui ne subit pas les influences directes de son éducation musicale).

Ensuite l’interprétation. Le musicien comprend vite qu’elle ne sera nullement valorisée sans détenir une technique instrumentale appropriée, donc rationnelle, sans débordement inutile. Dans ce domaine, il faut surtout insister sur la dimension physique et sur ses impacts directs sur la transmission du jeu sur l'instrument, car c’est elle qui permet de cadrer au plus juste la grandeur artistique. Tout ce qui le lie à la création et à l’interprétation, c’est-à-dire aux sons et à leur expression, relèvent des éléments physiques. Ce sont eux qui déterminent le caractère de chaque interprétation.


LE PIANO, DE LA POLYPHONIE À L’INDÉPENDANCE

Il est bien difficile d’éluder la question de la “technique pure” quand vient le moment de l’apprentissage. Le clavier du piano détient tout un arsenal de ressources sonores, et il ne suffit pas d’appuyer plus ou moins fort sur une touche pour que le miracle se produise. Deux difficultés majeures s’affrontent et se complètent : la polyphonie et l’indépendance.

Si le saxophoniste ou le violoniste identifie la qualité de son jeu à l’unique son qu’il produit, le pianiste est obligé de porter son attention sur l’équilibre sonore réalisé par la pression de chaque doigt sur chaque touche. Cet aspect fondamental du jeu sur les instruments à clavier dynamique consiste à jauger individuellement la force de frappe des doigts sur chaque touche. Ce paramètre est essentiel pour bien comprendre ce que peut être la base technique relevant de ce type d’instrument.

Face à un apprentissage qui se voudrait irréprochable, cet aspect du jeu polyphonique devrait être observé à la note près en fonction de la complexité du trait technique à exécuter, mais aussi en fonction de la sonorité de l’instrument et du toucher de son clavier qui interagissent dans l’accomplissement de l’interprétation.

Plus diversement appréciés, car reposant en grande partie sur la taille et la robustesse naturelles des mains, intervient un point capital dans l’étude du piano : l’utilisation des intervalles, qui contribuent notamment à la construction des accords. Le jeu en accord est directement attelé à la polyphonie et, à première vue, il offre aux doigts un jeu simple et coordonné, bien que la façon de présenter un accord puisse aller de l’accord plaqué au brisé en passant par l’arpège.

Dans la littérature pianistique, on note également la place occupée par les grands intervalles dont les dixièmes ne sont parfois qu’un hors-d'œuvre. L’octave, généralement utilisée pour renforcer la sonorité d’une basse ou d’une mélodie, suffirait à elle seule à illustrer plusieurs cours de piano. En fonction de l’effet sonore recherché, du répertoire ou de l’intention du compositeur, il existe bien des façons de réaliser une octave avec le corps : avec ou sans le poids du bras, avec ou sans attaque des doigts, dans la façon d’enfoncer les touches, etc.

Une fois de plus, la réalisation physique entraîne tout le reste avec elle, et en priorité la musicalité de chaque trait. C’est aussi dans cet espace fusionnel que l’art parvient à se glisser dans un état éminemment créatif. Nous pourrions dire sans crainte qu’en fonction des éléments physiques engagés par le pianiste naît une technique instrumentale puisque, pour chaque geste accompli, découle un son.

Comme précisé précédemment, il faut surtout que la place accordée à la technique ne soit pas envahissante au point de perdre tout repère. La recherche technique, celle qui est indispensable, doit être toujours au service de l’expression. Elle ne doit pas sortir du cadre en respectant ce que tout musicien devrait rechercher : vivre la musique à travers la maîtrise du son. Écouter et s’écouter est capital.

L’autre versant technique, qui n’est pas pour autant plus évident que le précédent, repose sur l’indépendance de jeu des deux mains. Dans ce domaine, l’indépendance ne consiste pas seulement à réaliser une simple opposition rythmique à deux voies main gauche/main droite, mais sur l’imbrication potentielle de tous les doigts de chaque main. Les meilleurs exemples se trouvent notamment dans la musique baroque. Chez Bach, trois, voire quatre voies d’indépendance rythmique surgissent parfois au détour d’une composition, et c’est pour cela que le compositeur reste un excellent modèle pour apprendre à déchiffrer une partition sans perdre de vue l'apport technique de chaque doigt.

Ces deux paramètres, que sont l’indépendance et la polyphonie, définissent déjà le piano qui, sous sa facilité d’accès à produire un son, est finalement un instrument dont le jeu peut être d’une grande complexité technique, et c’est dans ce “peut être” qu’il existe bien des façons de faire naviguer ses doigts sur le clavier. On peut être un pianiste heureux simplement en jouant quelques harmonies ou, à l’inverse, être un pianiste torturé, jamais satisfait, en s’attaquant à une œuvre ambitieuse.


EN CONCLUSION

Ce bref exposé, qui pourtant n’évoque que deux particularités techniques de l’utilisation du piano, démontre déjà toute l’immensité des combinaisons d’expression réalisables. Le seul usage de ses entrelacs sonores explique pleinement – et sans entrer dans les détails – que des années de pratique soient nécessaires pour évaluer la richesse de ses palettes sonores.

Le piano est d’un grand intérêt en démontrant ses qualités d’instrument accompagnateur et soliste tout à la fois. Une vie n’y suffirait pas à en faire le tour, et c’est peut être pour cette raison que l’instrument reste toujours aussi attractif et dominant dans de nombreuses musiques, d’autant que son vaste répertoire est là et que son autonomie à faire parfois cavalier seul incite les plus indécis à franchir le pas.

par ELIAN JOUGLA (Piano Web - 11/2022)

À CONSULTER

HISTOIRE DE LA TECHNIQUE PIANISTIQUE

DE L'IMPORTANCE DU GESTE AU PIANO

LA TECHNIQUE PIANISTIQUE ET SES ERREURS

L'ÉTUDE PIANISTIQUE ET SON HISTOIRE


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