ANALYSE MUSICALE



LES GENRES POUR PIANO À L’ÉPOQUE DU ROMANTISME : ÉTUDE, BALLADE, IMPROMPTU, NOCTURNE, RHAPSODIE ET SCHERZO

Parce que dans leur immense majorité, les compositeurs classiques ont fait du piano un champ d’explorations et le confident de leurs épanchements, cet instrument occupe une place à part dans l’histoire de la musique. De là à penser que le répertoire pianistique réalise la part la plus intime et la plus universelle du patrimoine musical, la réponse sera donnée dans des genres neufs ou totalement repensés au cours du 19e siècle, et dont les plus significatifs sont l’étude, la ballade, l’impromptu, le nocturne ou encore la rhapsodie et le scherzo.


L’ÉTUDE

Si à ses débuts le piano manque encore de fidélité dans le domaine de l’expression, son ampleur sonore et son timbre, alliés à l’apparition du double échappement mis au point par Sébastien Érard en 1821, seront jugés d’admirables par ses premiers utilisateurs. Une technique galopante naîtra, immortalisée par la sacralisation de l’Étude pianistique.

Comme détaillée dans la page "Étude pianistique, une histoire technique du piano", l’étude est avant tout intimement liée au développement de la virtuosité. Toutefois, ses origines sont très anciennes en remontant au ‘Fundamentum organisandi’ pour orgue (env. 13e siècle). D’autres pages de vélocité verront le jour tout au long des 17e et 18e siècles, mais le genre, parvenu à maturité musicale, ne connaîtra un développement foudroyant qu’à partir des années 1830, au moment même de la multiplication des concertistes virtuoses.

Flickr.com - Jeune homme au piano (Gustav Caillebotte - 1876)

L’étude est une façon d’élaborer de nouvelles techniques et de les perfectionner. Tous les degrés de difficulté existent dans l’étude, du débutant au virtuose confirmé. Sa particularité est de réunir des obstacles techniques spécifiques, souvent appuyés (redondant). Le plus souvent, ces obstacles forment un ensemble de variations sur une difficulté précise à maîtriser correctement. D'autre part, si les questions liées à l’interprétation n’interviennent qu'en second plan, cela ne signifie pas pour autant que l’étude soit réduite à une compilation d’acrobaties techniques. Il existe de nombreuses pages destinées au concert et opérant une subtile synthèse entre le rôle joué par la technique et celui accordé à l’interprétation.

Au piano, Franz Liszt et Frédéric Chopin seront les maîtres d’œuvres. L’instrument à clavier a suscité les pages les plus abouties même si le champ d’application de l’étude ne lui est pas strictement réservé. Le violoniste Paganini en est un bon exemple. « Le point solsticial de la virtuosité » dira Liszt. Mais au fil du temps les 'Études pour piano' finissent par s’essouffler comme prise à leur propre piège de perfection et, après Scriabine, Debussy offrira avec ses Douze Études pour le piano (1916) le point d’orgue à ce genre redouté. Notons qu’en 1949, une résurgence de l’Étude sera mise au point par Olivier Messiaen à travers ses Quatre Études.


LA BALLADE

C’est au 14e siècle qu’apparaît la ballade. Chanson à danser d’une haute tenue littéraire, ce qui la situe dans l’héritage de la grande tradition des trouvères, elle est éclipsée un temps pour réapparaître au 18e siècle, toujours sous sa forme vocale, soit un chant accompagné au piano ou à l’orchestre. Au départ, proche du lied allemand en étant construit sur une ballade littéraire dont il respecte le caractère narratif et légendaire, ce n’est qu’un peu plus tard que la ballade va investir le domaine instrumental.

Au piano, elle se présente sous une forme libre, assez proche du poème symphonique dont elle formerait la version réduite. Mais sa notion reste imprécise, voire indéterminée. Au sommet du genre, nous avons les quatre Ballades de Chopin, mais qui ne renvoient que très allusivement à un propos littéraire admis par pure convention. Assez souvent, la ballade est conforme à une structure de forme ABA et elle oppose fréquemment deux thèmes à caractère expressif.

Pour les compositeurs romantiques, la ballade offre au piano un heureux compromis entre virtuosité et pure expressivité : tristesse, mélancolie, évocation, avec parfois des figures rythmiques obstinées en accompagnement. Après le 19e siècle, elle tombera en désuétude, en dépit de quelques réussites isolées.


FRÉDÉRIC CHOPIN : 'BALLADE N°1 EN SOL MINEUR
(piano Arsenii Mun - extrait du concert 'Générations France Musique', enregistré le 17 novembre 2018)

L’IMPROMPTU

Le règne assez bref de l’impromptu ne dépasse qu’accidentellement les frontières du 19e siècle. Plus que tout autre genre musical, l’impromptu se prête merveilleusement à l’épanchement romantique d’un instant d’humeur. Les réussites ne pouvant ici se placer que sous le sceau de la délicatesse sensible, il n’est nullement surprenant qu’elles reviennent à l’Autrichien Franz Schubert, au Polonais Frédéric Chopin et au Français Gabriel Fauré, c’est-à-dire à trois compositeurs unis, au-delà de leurs particularités respectives, par le charme envoûtant de leur esthétique.

L’impromptu se signale essentiellement par son caractère improvisé. Très souvent, il adopte une simple forme tripartie ABA qui permet au compositeur de jouer sur les contrastes et l’esprit de variation libre. Quant à la quasi-exclusivité du piano en ce domaine, elle se justifie autant par la richesse d’un timbre infiniment varié que par l’usage, particulièrement fécond, de l’improvisation au clavier. Double source du lyrisme retenu et de la virtuosité sage qui nuancent la grande majorité de ces pages, citons : Impromptu brillant de Liszt (1824), Impromptus sur un thème de Clara Wieck pour piano de Schumann (1832) et Quatre Impromptus pour piano de Chopin (1834-1842).


LE NOCTURNE

Le nocturne est une pièce exprimant généralement une plainte douloureuse, des sentiments mélancoliques. Réservé le plus souvent au piano, on trouve à son origine le pianiste irlandais John Field, élève de Clementi et auteur d’un recueil de pièces, baptisées 18 nocturnes pour piano, et dont l'interprétation sera accueillie avec enthousiasme par le public parisien en 1832. Le nocturne reste cependant associé au nom de Chopin, au même titre que la polonaise et la mazurka, ces deux danses auxquelles il a donné des accents épiques. C’est à Gabriel Fauré (Treize nocturnes pour piano) et Claude Debussy (Trois nocturnes pour orchestre) qu’il reviendra de dépasser le modèle romantique du nocturne.

Si pour John Field, le nocturne propose une équivalence instrumentale du lyrisme italien, à base d’accords arpégés accompagnés de nombreux ornements, chez Chopin, et au moins jusqu’à Fauré, il sollicite en premier lieu l’imagination poético-mélodique, d’où une grande simplicité de structure et un sentiment persistant d’improvisation.


FRANZ LISZT : 'RHAPSODIE HONGROISE N°2
(piano Valentina Lisitsa - enregistré en live le 22 mai 2010 à Leiden en Hollande)

LA RHAPSODIE

La fortune de la rhapsodie est principalement liée à la montée des nationalismes du 19e siècle. Ce genre instrumental puisant résolument dans le fond populaire, soit par emprunt direct des compositeurs au folklore, soit par esprit d’imitation, trouvera en Liszt un compositeur de choix. La rhapsodie sera, après lui, presque toujours confiée à l’orchestre ou à l’ensemble concertant du piano et de l’orchestre, belle occasion de mettre en lumière toues les facettes de la virtuosité instrumentale.

Aucune structure n’est plus élémentaire que celle de la rhapsodie qui développe une simple succession d’épisodes contrastés. Un tel dispositif formel – dégagé de toute réelle préoccupation unitaire ou expressive – offre au compositeur une liberté au gré de son imagination et de ses capacités inventives. L’écriture rhapsodique sera de ce fait toujours teinté de virtuosité. Citons : 19 Rhapsodies hongroises pour piano de Liszt (1846-1885), Rhapsodie espagnole de Ravel (1907), Rhapsodie pour piano et orchestre de Bartók (1904) et Rhapsodie in Blue de Georges Gershwin (1924).


LE SCHERZO

Le scherzo ne s’affirme en tant que genre qu’au 19e siècle. Auparavant, il désignait quelques pièces libres de caractère enjoué, depuis les Sherzi musicali de Monteverdi publiés en 1607. Historiquement et formellement, il semble succéder au menuet dont il reprend la disposition et dont il usurpe la place dans la symphonie, mais dont il abandonne le caractère de danse gracieuse au profit d’une impétuosité toute romantique.

En dépit de nombreuses réussites ultérieures, le genre reste dominé par les quatre Scherzos pour piano, aussi inventifs dans la structure que dans le langage, de Chopin (1831-1843). Citons également le Scherzo en sol mineur de Franz Liszt (1827), les deux Scherzos pour piano de Felix Mendelssohn (1829-1835), le Scherzo pour piano op. 4 de Johannes Brahms (1854) ou encore le Scherzo pour piano et orchestre de Béla Bartók (1905).

La structure du scherzo ressemble étrangement à celle du menuet en ayant un ensemble de deux volets, chacun aussitôt repris. Mais il est bien rare que ce cadre soit strictement appliqué, l’esthétique musicale du 19e siècle ignorant les rigueurs des canons classiques. Ainsi voit-on, après Beethoven, divers compositeurs en transformer la nature, notamment par l’adjonction de nouvelles oppositions dynamiques et expressives entre les divers épisodes qui la composent. Une fois encore, il faut distinguer le genre et la forme dont la symphonie romantique use généreusement ; rappelons l’exemple célèbre de l’Apprenti sorcier, poème symphonique de Paul Dukas désigné par ce dernier de « scherzo symphonique ».

Par PATRICK MARTIAL
(source : Les genres musicaux de Gérard Denizeau – Éditions Larousse).

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