ANALYSE MUSICALE



ÉCRIRE, COMPOSER UNE MUSIQUE COMMERCIALE

Je ne compte pas ici vous donner la "recette musicale" pour faire le tube de l'été, car cela n'existe pas ; mais plutôt, dicté en cela par mon expérience de terrain, vous apporter des conseils, des réflexions concernant la musique commerciale et son approche esthétique bien particulière.


1 - COMMENT CONCEVOIR UNE MUSIQUE "COMMERCIALE" ?... COMMENT LA DÉFINIR ?

La musique "commerciale" est lié à plusieurs paramètres qui sont soit étroitement liés ou qui partiellement se rejettent. Ils se divisent en deux camps :

1 - Les Paramètres Objectifs

  • La raison économique (coût financier, investissement en retour)
  • La publicité (la diffusion médiatique, les concerts, le marketing)
  • Le style musical (rock, rap, dance, chansons à textes, etc.)
  • La réalisation technique (la qualité de production : son, arrangement, production)

2 - Les Paramètres Subjectifs

  • La raison esthétique (les effets de mode)
  • La raison sociale (les messages politiques, par exemple)
  • Les relations (principalement dans le milieu artistique)
  • Le concept d'efficacité (conjuguer simplicité, originalité et musicalité)
  • La personnalité de l'artiste.
  • L'originalité de la musique et du texte (aseptisé ou anti-conformiste)
  • La popularité de l'interprète (débutant amateur ou professionnel avéré)

Les raisons qui amènent une chanson commerciale à grimper dans les tops de vente est difficile à définir. Le top des ventes, c'est le baromètre. C'est le point d'arrivée de ce qui au départ n'est qu'une idée parmi d'autres. Si le plus souvent, nous nous basons sur des valeurs objectives pour justifier la réussite commerciale, les raisons subjectives en sont l'ascenseur. C'est là que se situe la part mystérieuse du succès. Sans cette alchimie, la "sauce" ne prend pas et point de salut pour le "tube" à venir.

2 - LA RAISON ÉCONOMIQUE ET LES MÉDIAS

La raison économique est un des paramètres fondamental. Il est certainement contestable, mais c'est un fait. C'est lui qui aura le dernier mot. Même si vous pensez que la qualité de votre chanson ou de votre musique est irréprochable, si le vent économique souffle dans une direction opposée à votre produit, celui-ci deviendra sourd à vos arguments. La raison économique est au sommet de la pyramide et elle n'est pas prête à laisser sa place à quiconque.

Au fond, qui décide de ce que le peuple a le droit d'entendre ? Faute de choix, n'avons-nous pas une quasi-obligation d'adopter ce que l'on nous propose ?

Nous ne sommes plus à l'époque où en musique classique, une certaine caste décidait de ce qui devait être de bon goût. Ce phénomène avait eu pour conséquence de rejeter des œuvres plébiscités par les amateurs de chant lyrique, une "chasse aux sorcières" s'était installée dans le monde de la musique. Une sorte d'autodafé intériorisé avait éliminé 60 % des œuvres écrites par de grands compositeurs. Reste qu'aujourd'hui, quelques grands groupes, à savoir les radios nationales, la télévision et les multinationales du disque, font toujours la pluie et le beau temps.

De tous, la télévision est le média le plus prudent. Il est souvent le dernier à plébisciter une chanson et son interprète dans une émission de variété… prudence oblige, quand on surveille d'aussi près les points de l'audimat. C'est une audience maximale qui est recherchée par l'ensemble des médias. La place pour le pluralisme, la marginalité provisoire se fait rare.

Imaginons un instant trois grands talents du passé dans des styles très différents de la chanson française : Léo Ferré, Bobby Lapointe et Francis Lemarque. Excepté à l'occasion d'anniversaire ou de rares émissions à relent nostalgique, qui passerait aujourd'hui ces artistes s'ils débarquaient sur la scène ? La chanteuse de rue, Piaf, serait-elle parvenue à tenir le haut du pavé actuellement ? Autre époque, autre style, me direz-vous… Hormis quelques radios spécialisées, ces artistes seraient oubliés si des fans-clubs ou des associations n'intervenaient pas au niveau de la mémoire collective. Ce n'est pas un hasard si des rues, des écoles ou des festivals portent leurs noms.

Le chanteur, dont le profil est prédéterminé par les marchands, ne peut s'imposer hors du moule. Si le chanteur officie au titre d'interprète, il est également un objet de consommation dans les mains des maîtres du show-biz. Sans être caricatural, il faut reconnaître que la tendance, depuis quelques années, est de substituer à la voix qui signifie et au texte qui exprime, le concept d'un produit qui se vend. Le tube de l'été est toujours un produit très recherché, même si depuis quelque temps les médias ne courent plus après avec autant de ferveur.

Les artistes déjà en place doivent s'autoparodier pour continuer à exister. Julien Clerc fait du 'Julien Clerc' (l'expérience de l'album Studio a été justement une expérience), Laurent Voulzy fait du 'Laurent Voulzy'. La pression est grande, même pour eux. C'est la nécessité du marketing qui officie et qui fait la loi.

À l'époque de Brassens, les chanteurs partaient à l'assaut des médias comme on partait en guerre, la fleur au fusil. Il fallait être un battant et y croire. Bien sûr aujourd'hui, nombre d'artistes ont encore la foi, mais le média investit dans l'artiste et le modèle à sa convenance. Si hier, la réussite de l'artiste passait par des scènes prestigieuses (Olympia, Bobino à Paris ou le Carnegie Hall à New York), aujourd'hui ce sont les stades ou les scènes à forte capacité (Zénith de Paris) qui proclament la notoriété de l'artiste.

LA VOIE INTERNET

La tendance actuelle est de trouver un public sans réellement exister de façon physique, au contact d'un public à travers les moyens modernes de communication, Internet en tête. Depuis l'époque d'Eddie Barclay dans les années 1960, les producteurs de disques et autres personnes influentes ont déserté les scènes pour aller à la rencontre de l'artiste. Déjà à l'époque du "Disco", il n'était pas rare de rencontrer l'artiste, maquette sous le bras, qui déambulait dans les couloirs des maisons de disques, dans le vague espoir qu'une personne présente daigne écouter ses enregistrements. La relation était au cœur de la réussite. Elle favorisait des rencontres. Elle ouvrait une porte, qui elle-même en ouvrait une autre.

Maintenant, le jeune ou moins jeune artiste dépose sa carte de visite sur Internet avec plus ou moins de professionnalisme, dans le vague espoir qu'au hasard d'une recherche, une personne influente au niveau des médias ne le remarque. L'Internet nous a montré, lors des dernières élections présidentielles, l'impact qu'il avait sur la vie politique. L'artiste ne se déplace plus, le producteur non plus, tout se passe en vase clos, par ligne interposée. Est-ce un bien ou un mal, il est trop tôt pour répondre, mais c'est un phénomène économique et social que l'artiste d'aujourd'hui ne doit pas ignorer. Bien qu'étant encore au stade expérimental, créer un "tube" avec l'Internet suscite curiosité et étonnement de la part des médias (télévision en tête).

Les annuaires recensant les artistes sont légion. Sauf à avoir le sens de la recherche et de la curiosité poussée, cela devient  l'aiguille dans la botte de foin " tellement le nombre d'artistes croît. Heureusement, l'Internet est devenu le "bouche-à-oreille" des temps modernes et cela peut aller très vite. Grâce aux millions d'Internautes qui se connectent tous les jours, des plates-formes communautaires américaines comme Myspace ou Virb sont devenues au fil du temps d'excellentes cartes de visite. Des artistes professionnels ou pas peuvent présenter sur une simple page leurs dernières créations, un portrait personnel succinct et un agenda dans lequel figure les dates de concert ou d'exposition. Pour donner plus d'authenticité et de véracité au contenu de la page, des artistes "amis", c'est-à-dire inscrit également sur la même plate-forme et partageant un même esprit, une même fibre artistique, sont là pour attester de la qualité de l'artiste.

Cependant, une page Internet, même bien construite, ne peut donner corps à quelque chose qui n'est que virtuel… l'artiste ne peut exister à moyen terme sans le recours aux vieilles recettes. La promotion, les tournées, les interviews ne sont peut-être plus les voies royales, mais ces moyens renforcent à coup sûr l'identité et la popularité de l'artiste.

3 - LA PUBLICITÉ COMMERCIALE

L'impact de la publicité est considérable. Les moyens se sont diversifiés et amplifiés. La publicité, c'est l'image de l'artiste. Elle le sert plus qu'elle ne le dessert. Elle le porte, le transporte vers les autres. Il est donc important pour l'artiste de faire les bons choix. De la banale publicité sur Internet à l'affiche placardée à chaque coin de rue, l'impact n'est certainement pas le même pour le surfeur ou le passant. Le détail d'une photo, la posture, les couleurs des caractères comme le slogan doivent être calculés avec précision tout en respectant l'identité de l'artiste et le sens donné à son spectacle, ce qui fait qu'aujourd'hui comme demain, celui-ci sera en mesure de l'accepter tel qu'il est. Quand on subit de trop près les phénomènes de mode, que l'on n'a pas le recul nécessaire pour analyser l'impact d'une publicité sur l'image médiatique, on risque de manquer d'authenticité et de regarder cela avec une certaine gêne ou du mépris quelques années après.

Conseil : la publicité ne doit pas être la préoccupation de tous les instants, cependant n'hésitez pas à projeter loin en avant, par l'imaginaire, votre concept publicitaire et les moyens financiers, les investissements à prévoir. N'attendez pas d'être face au mur pour y réfléchir. L'image publicitaire doit être débattue en vous et en dehors de vous. Elle demande réflexion, recul et une certaine forme de maturité.


4 - LA POSITION DU COMPOSITEUR COMMERCIAL

Faire de la musique commerciale (appelé par certains… musique "alimentaire") n'est pas basée heureusement sur un savant mélange d'harmonies, de sons provenant du dernier synthé à la mode ou d'un manuel sur " l'art de composer une mélodie en 10 leçons ". C'est avant tout, pour le compositeur, une démarche personnelle. C'est peut-être, pour lui, une façon d'accepter des entorses à son "règlement intérieur", à son esthétique créatrice ou bien le signe d'un sentiment fort, une sorte d'appel qu'il ressent rapidement au contact de son instrument.

Prenons l'exemple des compositeurs pour le cinéma. Ce qui est fascinant chez la plupart d'entre eux, c'est la capacité avec laquelle ils passent d'un vieil air à la mode à un style dans l'air du temps, sans oublier leurs capacités à adapter des musiques folkloriques en provenance des quatre coins du monde. Pour peu que l'on s'intéresse de près à un grand compositeur de cinéma, il n'est pas bien difficile de remarquer cela.

Dans la musique de films, le compositeur est soumis à l'exigence du style du film (aventure, comédie, drame, etc.) et à un "timing" précis sous l'exigence bienveillante du metteur en scène (dans la plupart des cas). Avec une approche musicale aussi exigeante, le compositeur de cinéma est comme un fonctionnaire ; il n'a que très peu de place pour s'exprimer avec une totale liberté.

Pourtant, malgré la difficulté de la tâche, on remarquera que les meilleurs compositeurs savent et trouvent assez d'inspiration pour glisser des mélodies accrocheuses, soit au cours d'un générique ou de certaines scènes spécifiques. Ce qui démontre finalement que la popularité d'une musique est étroitement lié à la capacité de celui qui l'a créée et que les contraintes, ici, le temps, la collaboration, le sujet imposé, passent au second plan. D'ailleurs, il est toujours intéressant d'écouter les musiques créées par les compositeurs de cinéma en dehors des exigences de cette discipline pour s'apercevoir que le style d'écriture est à peu près le même.

Chaque style a son exigence, la musique de pub doit être reconnaissable dès les premières notes, alors que le compositeur classique a le temps d'exposer son thème principal. Celui qui écrit une chanson ou une musique instrumentale à vocation commerciale est beaucoup plus libre que le compositeur de musique de films. Ses restrictions se contentent de coller aux habillages exigés par les modes du moment. Si à une certaine époque un titre dépassait trois minutes, il était rejeté ; aujourd'hui, ce n'est plus un critère majeur. En revanche, la production des musiques s'est standardisée.

Présenter un morceau qui ne tourne pas rond ou au mixage défaillant, c'est le rejet de la maquette. Nous ne sommes plus au temps des Beatles. Aujourd'hui, le moindre artiste amateur est dans l'obligation de présenter un produit "propre" pour que son travail soit considéré… les machines sont passées par là. La frontière entre amateur et professionnel, hier identifiable, ne l'est plus vraiment. L'arrivée de nouveaux styles comme la musique techno, essentiellement basée sur l'emploi de machines, a permis à de nombreux artistes de produire des musiques avec une bonne qualité sonore et des moyens quasi familiaux. Dans la plupart des cas, la différence essentielle se situe au niveau du choix des possibilités de production ; un home-studio ne pouvant rivaliser avec les gros studios d'enregistrement (traitement acoustique ou intervention de grandes formations, par exemple).

5 - LA RYTHMIQUE COMMERCIALE : MESURE ET TEMPO

Les "habillages" de la musique commerciale sont principalement axés sur la prédominance de la rythmique (batterie, basse, guitares, claviers). Depuis une trentaine d'années, sa place est devenue essentielle. Elle en est le moteur central… batterie et basse mises en avant. Tout compositeur qui est "in" doit comprendre les mécanismes des rythmes modernes. Les rythmes métronomiques façon "disco" ont évolué et sont devenus plus techniques. Ils sont aujourd'hui facilités par des machines aux rythmes préprogrammés (roll, breaks). Évidemment, la finesse du talent du compositeur fera qu'il passera outre ses automatismes pour aller vers quelque chose de plus personnel.

La plupart des musiques commerciales sont basées sur du 4/4… le temps des succès en 3/4 est révolu depuis longtemps. Quand une valse rencontre un succès populaire, ce n'est souvent qu'un cas isolé. Cette danse prend habituellement sa source dans la nostalgie du temps qui passe. Dans ce cas, sa construction musicale est toujours basée sous sa forme classique et non moderne (jazz ou autre). La Valse d'Amélie Poulain, pour ne citer qu'elle, en est un parfait exemple.

L'utilisation de mesure complexe (5/4, 7/4) ou ternaire (6/8, 12/8) se font rares. Le slow ternaire façon années 1960 a disparu. Nous sommes depuis l'apparition de la musique disco dans des rythmes essentiellement binaires. On retrouve dans la musique techno des années 1990/2000, l'essence même du rythme disco avec notamment l'utilisation du charleston ouvert/fermé et la pulsation de la grosse caisse à la noire. Seul le tempo est devenu plus vif. Pour renforcer le côté machine, la construction des breaks est devenu l'apanage des programmeurs, utilisant des roulements quasiment impossible à réaliser humainement.

Conseils : au début de la mise en place de la rythmique, partez toujours avec un rythme très simple. Ensuite, en fonction de l'aménagement des autres parties (basse, clavier, guitare) vous corrigerez la partie batterie/percussion. Bien sûr, ce n'est pas une règle formelle, mais en construisant votre imaginaire sur un rythme simple, vous avez la liberté de vous évader vers d'autres styles musicaux, alors qu'en utilisant un rythme complexe, même bien construit, celui-ci aura tendance à vous enfermer.

Sauf à avoir écrit votre morceau au départ avec un piano ou une guitare, de manière bien stylée (pas simplement en plaquant des accords), il n'est pas sûr qu'à la fin, le style dégagé par l'emploi de ces instruments se retrouve comme à l'original… l'intervention des différents arrangements successifs auront peut-être eu raison de leurs constructions.


6 - LES HARMONIES COMMERCIALES

À ma connaissance, les harmonies n'ont pas évolué, c'est le système tempéré qui veut ça. Elles auraient même tendance à régresser par l'emploi économique qu'en font les musiques actuelles. Une composition comme La mer de Charles Trenet avec son enrichissement harmonique (deux accords différents en moyenne par mesure) aurait peu de chance d'être le succès du jour. La construction harmonique des chansons d'hier portait la mélodie, elle lui donnait du souffle, elle la relançait.

Aujourd'hui, les harmonies sont employées comme des tableaux sonores qui s'étalent dans le temps, passant d'un groupe de quelques accords tournant en boucle (avec parfois seulement deux accords) à un autre et ainsi de suite, créant un phénomène hypnotique dans l'oreille de l'auditeur, comme une mise en conditionnement. Les harmonies ne sont plus là pour suggérer une surprise, un étonnement, mais plutôt pour conforter et conserver l'auditeur dans un baume auditif.

L'utilisation des harmonies, bien que reposant pour la plupart sur des règles et des lois acoustiques, est étroitement liée à la personnalité du compositeur. Il est le seul maître à bord dans leurs utilisations. Certains compositeurs sont prolixes et ont tendance à mettre sous chaque note de la mélodie un nouvel accord alors que d'autres sont plus économes. Il n'y a dans cela aucun calcul. Il existe pour chaque compositeur une façon instinctive de conduire les harmonies, de se les approprier. Tous les compositeurs n'accordent pas la même importance à l'harmonie. Ainsi, le compositeur allemand Jean-Sébastien Bach a matérialisé leurs emplois à l'extrême, bien plus que Mozart ou Beethoven, n'hésitant pas à les utiliser comme fil conducteur dans ses préludes et ses fugues.

2e PARTIE : COMPOSER UNE MUSIQUE COMMERCIALE

Par ELIAN JOUGLA (06/2007)


À CONSULTER

LA COMPOSITION ET LE COMPOSITEUR

LA MUSIQUE MODERNE


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