HISTOIRE DE LA MUSIQUE : LES PIANISTES DE JAZZ



EARL HINES, BIOGRAPHIE/PORTRAIT DU PIANISTE DE JAZZ

Sans Earl Hines, on ne peut savoir ce que joueraient les pianistes actuels, ni comment ils le joueraient". Ces mots de Dizzy Gillespie témoignent de l'importance de Kenneth Earl Hines, universellement connu sous le nom d'Earl "Fatha" Hines, dont le jeu pianistique a façonné l'histoire du jazz. Il est considéré comme l'un des premiers musiciens du jazz moderne par son utilisation originale du rythme et des accents. Il devient, à partir de 1926, l'avant-garde du style "Jazz Hot". Premier grand soliste et duettiste, avec Armstrong, il devient chef d'un big band où se rencontreront les inventeurs du be-bop (Dizzy Gillespie et Charlie Parker)... Earl Hines mérite bien son surnom de "Fatha" (papa).


LES DATES IMPORTANTES DE LA VIE D'EARL HINES

© National Archives at College Park - Earl `Father' Hines (1941)

  • 1903 - Earl Hines est né à Dusquesne, en Pennsylvanie, le 28 décembre 1903. Toute sa famille est musicienne. Son père est un cornettiste et dirige le "Pittsburgh's Eureka Brass Band", sa belle-mère est organiste d'église, tandis que sa sœur enseigne en tant que professeur de musique. Pour suivre les traces de son père, il commence par étudier le cornet, avant de s'orienter vers le piano dès l'âge de 9 ans. Doté d'une bonne oreille et d'une bonne mémoire, il relève les chansons qu'il entend dans les salles de théâtre et de cinéma, tout en prenant des cours de piano classique.
  • 1920 - À l'âge de 17 ans, il quitte la maison pour prendre un emploi dans une boîte de Pittsburgh, pour deux repas par jour et 15 dollars par semaine. Il joue dans la formation de Louis Deppe (sax), The Serenaders et enregistre son premier disque avec lui (1923), dans lequel est gravée une composition d'Earl Hines, en forme de fox-trot, intitulé Congaine. Par la suite, il enregistre, toujours avec Deppe, des spirituals et des chansons populaires.
  • 1925 - Il s'installe à Chicago (Illinois), à l'époque capitale du jazz et rencontre Jelly Roll Morton (p), King Oliver (cornet, tp) et surtout Louis Amstrong (tp) avec qui il fraternise aussitôt.
    En sa compagnie, Earl Hines joue au Sunset Café et remplace la femme de Louis Amstrong, Lil Hardin Amstrong, qui occupe la place de pianiste au sein du Louis Amstrong Hot Five. Il devient le premier partenaire digne de "Satchmo" et enregistre avec lui les plus belles "galettes" du Hot Five. Amstrong et Hines, en donnant une place plus importante au soliste, s'éloignent du jeu polyphonique propre au style "New Orleans".
  • 1928 - C'est une année fructueuse pour Earl Hines. Il enregistre ses dix premiers solos de piano, comprenant les versions de A Monday Date, Blues in Thirds et 57 Varieties. Hines travaille à ce moment-là avec Jimmie Noone's Apex Club Orchestra avant de rejoindre le deuxième Hot Five de Louis Amstrong, l'un des points culminants de l'histoire du jazz. La même année, âgée seulement de 25 ans, l'impeccable Hines dirige son propre "big band", responsabilité qui représente à l'époque, pour tout musicien de jazz, le sommet de l'ambition. Le big band fera les beaux jours du Grand Terrace de Chicago. Earl Hines le dirigera jusqu'en 1948. Les dernières années de son existence, le big band servira de tremplin à des solistes comme Dizzy Gillespie (tp), Charlie Parker (sax) et Dexter Gordon (sax).
  • 1929 - À partir de 1929, Earl Hines enregistre pour la quasi-totalité des meilleurs "Black Jazz" de l'époque : Victor en 1929, Brunswick de 1932 à 1934, Decca de 1934 à 1935, Vocalion de 1937 à 1938 et pour Bluebird de 1939 à 1942.
  • 1947 - Earl Hines fait partie des All Stars de Louis Amstrong avec lequel il participe au festival de Nice.
  • 1951 - Il déménage en Californie et forme un groupe de jazz hot inspiré par le "revival dixieland" qui durera tout au long de la décennie.
  • 1963 - Jusqu'à la fin des années 60, il donne de nombreux concerts à travers le monde (Amérique du Sud, Europe (surtout en France), Asie, Australie, Japon et Union soviétique) où chaque prestation donne lieu à des interprétations inventives et pleines d'énergie.
    Durant cette décennie, il enregistre en solo et avec des notables du jazz : Cat Anderson, Barney Bigard, Lawrence Brown, Jaki Byard (ils ont enregistré des duos en 1972), Benny Carter, Buck Clayton, Cozy Cole, Wallace Davenport, Eddie "Lockjaw" Davis, Roy Eldridge, Duke Ellington (duos en 1966), Ella Fitzgerald, Bud Freeman, Dizzie Gillespie, Paul Gonsalves, Stephane Grappelli, Sonny Greer, Lionel Hampton, Coleman Hawkins, Johnny Hodges, Budd Johnson, Jonah Jones, Gene Krupa, Marian McPartland (duos en 1970), Oscar Peterson (en duo en 1968), Pee Wee Russell, Stuff Smith, Buddy Tate, Clark Terry, Sarah Vaughan, Joe Venuti, Ben Webster, Teddy Wilson (duos en 1965 et 1970), Lester Young, Charles Mingus, Peggy Lee, etc.
  • 1970 - Dans les années 1970, après son purgatoire dans un dixieland revival qui ne lui plaît qu'à moitié, il revient comme soliste et comme directeur de petits ensembles. Il enregistre un nombre important de disques remarquables.
  • 1983 - Earl Hines décède à Oakland, en Californie, le 22 avril 1983.

EARL HINES : ROSETTA

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Le bouillant pianiste Earl "Fatha" Hines s'est fait connaître par une de ses propres inventions, le "piano-trumpet style", inspiré par le jeu des trompettistes. Comme il n'existait pas à l'époque d'amplificateur puissant, c'était, selon lui, la seule façon d'être entendu par les spectateurs dans les salles bruyantes.

Aujourd'hui, son style force le respect, comme cette aptitude naturelle à jouer la syncope, à swinguer de ces deux mains pleines, l'une revendiquant sans cesse la place de l'autre. Sa main droite, à la fois mélodique et rythmique, assure un jeu puissant, avec l'intervention de notes jouées en octave et en trémolo pour prolonger leurs durées tandis que la main gauche abandonne le jeu mécanique de la "pompe" chère aux pianistes de stride, en devenant plus syncopée quitte à surprendre son auditoire.

Si Earl Hines émeut sans doute moins que Willie Smith 'The Lion', moins moderne que lui, il étonne toujours par ses audaces de pianiste faussement "stride", avec ses emportements, ses trouvailles et son swing, à l'image d'un Erroll Garner, qui marquera la génération suivante. Earl Hines est un des pianistes majeurs du jazz, toutes périodes confondues.


QUELQUE PART EN PENNSYLVANIE...

Earl Kenneth Hines naît le 28 décembre 1905 à Dusquene, Pennsylvanie, un faubourg de Pittsburgh. De nos jours, c'est un haut quartier de Pittsburgh ; en 1910, plus de 12 km séparent Duquesne de la ville. Les Hines habitent au bout de la ville, dans la Grant Avenue, dans une maison de douze pièces ; la famille (1) comprend alors son père, sa belle-mère, ses grand-parents, ses deux cousins et leurs parents, un oncle enfin qui n'est pas marié. Earl Hines est élevé par sa belle-mère et a un demi-frère et une demi-sœur. Ils ont deux chiens, un bulldog anglais, un grand colley ainsi que deux vaches ; aussi la famille dispose-t-elle d'une assez grande propriété qui s'apparente à une ferme et il y a peu de dépense alimentaire.

Dusquene est implanté sur une colline et la maison est au sommet de cette colline. L'école est au pied de la Grant Avenue, à plus de trente-cinq pâtés de maisons de distance. Pour aller à l'école, les enfants passent devant une école catholique située à huit pâtés de maisons et il n'y a pas un jour qu'ils n'y passent, sans qu'ils y voient des combats et de véritables échauffourées. Il ne s'agit pas, a priori, de conflit racial, mais seulement de rixes entre les enfants catholiques et protestants. L'hiver venu, les enfants jouent aux boules de neige et l'été, à se lancer des sacs de sable et à se battre entre eux, mais toujours en ayant le respect de l'autre et prêt à l'aider si besoin en était.

Il y a seulement douze familles noires à Duquesne sur une population de 19000 habitants. La discipline est sévère, mais juste et sans aucune discrimination raciale. Noir ou blanc, un enfant est blâmé de la même façon s'il ne suit pas le droit chemin. Les pique-niques scolaires, en été, sont fréquents et on demande souvent au père d'Earl des concerts : en effet, il joue du cornet (instrument plus petit que la trompette) ; l'oncle du côté maternel, bon musicien, joue des cuivres ; nul doute qu'il existe un potentiel génétique du côté maternel apte à développer des dons de musicien [qu'on se souvienne de la famille Bach...]. Du reste, la tante d'Earl, aussi du côté maternel, est une chanteuse d'opérette. Earl baigne donc dans la musique.

La terre est fertile, le blé semé ne devrait pas tarder à germer... il était fatal que, bientôt, l'Esprit rencontrât l'âme… Le père d'Earl avait quatorze musiciens dans son orchestre, l'Eureka Brass Band, qui jouait régulièrement lors de pique-niques au parc Kennywood, dans des tramways... À la maison, l'enfant, qui a l'habitude de voir sa belle-mère jouer de l'orgue, essaye de l'imiter. C'est vers cette époque qu'un piano fut installé dans le salon familial.

Son premier professeur est Mme Emma D. Young ; elle lui enseigne manifestement des bases solides, mais se trouve rapidement dépassée par les capacités de l'élève qui prend tout seul contamment trois leçons d'avance. Elle conseille alors aux parents d'Earl de le confier à un professeur allemand qui, selon toute apparence, a un caractère digne de celui du père de Clara Schumann ; il s'appelle Von Holz.

La première décision qu'il prend est d'interdire à l'enfant la pratique du base-ball et après avoir eu plusieurs entorses des métacarpo-phalangiennes, Earl convient de cette sage décision... Toutefois, le maître doit reconnaître à son élève de rares dispositions, puisqu'il dit un jour à ses parents qu'il préfère des "résultats à de l'argent". Dès lors, les progrès sont rapides. Entre-temps, l'enfant assiste à des spectacles de groupes itinérants qui se déplacent de théâtre en théâtre. Servi sans doute par ce que les musiciens appellent "l'oreille absolue" et une bonne mémoire, Earl peut reproduire sur son clavier les mélodies qu'il a entendues des mois auparavant, et avant même qu'elles soient éditées. On commence alors à lui demander de jouer du piano à tout propos et il est possible que la présence de jeunes filles ait constitué, pour notre musicien qui n'est encore qu'un adolescent, un motif supplémentaire de s'appliquer...

Pour autant, il semble qu'il s'apprête à exercer le métier de coiffeur... Il commence son apprentissage avec un nommé Giles comme garçon cireur... On croit rêver ! Quoi qu'il en soit, il rencontre un homme qui devait orienter le reste de sa vie : Lois Deppe. Lois vient voir Earl en ce temps-là pour savoir s'il souhaitait avoir un engagement d'un soir… Earl se rappelle qu'à cette époque, il n'avait aucune notion de ce que pouvait bien recouvrir le terme de "blues" et des gens qui pratiquaient cette sorte de musique.

C'est vers dix ou onze ans qu'il commence à jouer de l'orgue à l'église baptiste à laquelle il appartient. Grâce à son apprentissage auprès de ce professeur allemand que nous avons évoqué et avec qui il a étudié la méthode Czerny et des compositeurs comme Chopin, il ne trouve pas la musique d'église difficile, mais il a des problèmes pour atteindre les pédales. Il joue le dimanche pour le service de onze heures du matin et le service de nuit. Souvent, la venue d'un ministre du culte allonge la durée du service qui peut alors durer trois heures. Il gagne trois dollars par mois, mais certains trouvaient que c'était trop cher payé pour les services d'un gamin.

Earl insiste sur les bons rapports qu'il a avec son père qui dirige un club de sport (Earl Hines a toujours éprouvé une passion pour le sport, en particulier la boxe et le base-ball : il existe plusieurs photos de lui où on le voit avec Cassius Clay ou d'autres). Il commence un peu à voyager en fonction des déplacements de son maître, le Pr Von Holz. Earl Hines aimait jouer du piano et parfois improvisait un passage au détour d'un morceau classique qu'il étudiait avec son professeur ; celui-ci s'en apercevait, mais ne pouvait que féliciter son étudiant par l'art qu'il avait d'insérer parfois des passages improvisés de façon telle qu'ils s'incorporaient remarquablement au "contexte" musical…

… Sur le plan musical donc, l'éducation de l'enfant le conduit d'abord à étudier les maîtres classiques ; ce n'est que dans un second temps qu'il réalise que les thèmes qu'il écoute, quand il va au théâtre avec ses parents, possèdent aussi une "âme" et peuvent vivre pourvu qu'on leur procure, pour ainsi dire, le fixe et le volatil... Il ne connaît donc rien au jazz quand il aborde les mélodies populaires. Le premier thème qu'il se rappelle avoir joué est WI'll See You in C-U-B-A ; le morceau de musique lui est apporté par Lois Deppe, à qui il doit d'avoir pu débuter dans le show business ; c'est à l'occasion d'une visite chez des parents à Pittsburgh, à East Liberty. Il apprend ensuite Squeeze Me et Panama. La tante d'Earl, Sadie Philipps, habite à Pittsburgh et pratique l'opérette. Elle est en rapport avec les grands musiciens du moment et comprend immédiatement que l'enfant est un génie et qu'il faut qu'il quitte Pittsburgh où il ne ferait que végéter.

Earl s'en souvient encore en 1975, lors de ses soixante-dix ans : il offrit une canne à Eubie Blake où étaient gravés ces mots : "Celle dont je n'ai pas eu à me servir"... Un jour qu'Earl se promène dans la rue avec un batteur du nom de Harry Williams, il est abordé par hasard par Lois Deppe qui lui demande s'il souhaite un boulot. Earl commence à lui expliquer qu'il est trop jeune, qu'il ne connaît rien au jazz... Lois Deppe est alors accompagné par un pianiste qui joue uniquement à l'oreille et dans d'étranges clefs, comme le Si naturel, le La naturel et le Mi naturel. Cela limite les capacités de Lois Deppe qui a appris à jouer des mélodies en Do. Il pense qu'ainsi il aurait quelqu'un qui pourrait jouer facilement les chansons les plus récentes. Lois lui dit qu'il peut ainsi gagner quinze dollars ; le club s'appelait le Learderhouse à Townsend.

C'est vers cette période qu'Earl comprit qu'il serait pianiste professionnel…


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