DES CAUSES DÉFENDABLES
Tous les musiciens vivant dans un immeuble, qu'ils soient pianistes, flûtistes, violonistes, etc., sont confrontés au problème du volume sonore de leur instrument. Contrairement à une perceuse et à des coups de marteau ponctuels, la nécessité de s'exercer, de répéter quotidiennement, provoque chez le musicien un processus, un rite quotidien, qu'un(e) voisin(e) vous fera remarquer un beau jour en cognant sur le mur ou en toquant à votre porte. De toute évidence, l'intention ne sera pas alors de vous demander quelle est la belle mélodie que vous jouez, mais plutôt, avec une voix qui ne laisse aucun doute, que « l'amour pour la musique a toutefois des limites ! ».
© Frédéric Bisson (flikr.com)
Alors que présentement, l'actualité s'empresse de signaler comme une priorité la rénovation énergétique des logements (à juste titre), les phénomènes liés aux bruits dans les appartements sont souvent minorés, sauf quand ceux-ci concernent un nombre important de résidents et contraignent les autorités à intervenir.
Pour le "fauteur de l'ordre", ce genre de bruit appartient à la catégorie des "relations de proximité", de celle qui définit des ententes cordiales entre colocataires. En théorie comme en pratique, un pianiste ne peut s'arrêter de pratiquer sans qu'il ne perde son niveau technique et ses repères. De fait, en étant confronté à la fois par ses obligations instrumentales et par la pression exercée par le voisinage, il subit une situation stressante, capable de remettre en question ses habitudes, au point même de devoir tout arrêter le temps de trouver une solution satisfaisante pour tout le monde. Pas facile !
La raison peut être liée aux horaires, mais pas nécessairement. Le bruit est un phénomène assez étrange, puisqu'il peut perturber le locataire qui habite à quelques étages au-dessus de vous et être toléré par votre voisin de palier. Cependant, avant de rentrer dans une guéguerre, la voie diplomatique est bien évidemment la première option. Traduisez : démontrer que pour vous, pratiquer le piano représente un engagement et que, outre la nécessité de le pratiquer quotidiennement, il contribue à votre équilibre psychologique (difficile à démontrer). Mais que par ailleurs, en jouer s'impose d'autant qu'il représente un gagne-pain aussi respectueux que n'importe quelle autre activité professionnelle (plus facile à démontrer).
En retour, la réponse qui risque de fuser, aussi bête qu'inappropriée, est de s'entendre dire : « Si vous souhaitez faire du piano, allez habiter en campagne ! » Ou sur un ton plus ferme et familier : « Mets-la en sourdine ou bien... ».
Quand un musicien est pris dans des soucis qui ne peuvent que le soustraire à sa passion (et à son métier), et qu'il n'a ni les moyens ni la possibilité de partir s'isoler loin des agitations, sa raison d'être est de continuer à jouer tout en recherchant une solution pour atténuer le volume sonore de son instrument.
LA SOURDINE : UNE SOLUTION LIMITÉE ET CONTRAIGNANTE
Généralement, plus le ton monte, moins il y a de place pour la diplomatie. Heureusement, il existe une première solution qui démontre, par ailleurs, que l'indisposition provoquée par le volume sonore des instruments n'est pas un phénomène récent, puisque l'homme a inventé la sourdine, il y a fort longtemps (des écrits témoignent de son emploi du temps de Monteverdi, mais pour un usage qui, je l'imagine, n'avait rien à voir avec le sujet qui nous préoccupe ici).
Presque tous les instruments de musique peuvent être joués avec une sourdine. D'un côté, il y a celle intégrée (comme le piano, via une pédale ou une tirette sous le clavier), et de l'autre, celle qui doit être installée quand cela est nécessaire (comme la sourdine "muette" pour les cuivres). Si son rôle est d'atténuer le volume sonore, son efficacité reste toutefois limitée. Dans un conflit de voisinage, elle ne résoudra pas tous les cas, loin de là ! Mais c'est une option à envisager dans un premier temps.
© Daniel Christensen - wikimedia - Mise en place du feutre de la sourdine devant les marteaux.
Sur le piano, la sourdine est une longue bande de feutre qui vient s'intercaler entre les marteaux et les cordes. Techniquement, l'usage de la sourdine rapproche les marteaux des cordes. En diminuant leur course, l'intensité de la frappe s'en trouve altérée et entraîne ainsi un son moins puissant. Cette modification impacte directement le jeu au clavier, surtout sur les anciens pianos, en diminuant l'enfoncement des touches.
Le pianiste que vous êtes devra l'accepter et non la condamner, même si la sourdine ne possède pas que des avantages. Outre le fait d'atténuer le volume, la sourdine altère également le timbre du piano en modifiant en profondeur sa couleur. Elle nécessite un temps d'acclimatation pour l'oreille et d'adaptation technique à son usage.
En règle générale, le son produit est privé de ses harmoniques supérieurs, d'où la sensation désagréable d'obtenir un son mat, sans relief. Par ailleurs, son utilisation n'est pas sans conséquence sur les sensations de jeu et de plaisir que l'on retire de l'instrument.
Autrement, il est recommandé de ne jamais coller le piano contre le mur pour éviter, autant que possible, les vibrations conductrices, et de placer en dessous un matériau absorbant de bonne épaisseur. Le son de l'instrument se propage surtout par les points de contact avec le sol. Les vibrations aériennes provoquées par la table d'harmonie, tout en considérant leur rôle, sont d'une moindre importance, ceci étant dû, pour l'essentiel, à la portée dynamique et aux fréquences délivrées par le piano.
LES AUTRES SOLUTIONS
© Pianos Schaeffer - Un petit boîtier discret sous le clavier, c'est aussi ça un dispositif silencieux.
En 2013, le site Piano Web exposait les bénéfices d'un procédé français permettant de rendre l'instrument acoustique silencieux. Baptisé "piano silent" par Yamaha ou à travers d'autres dénominations comme "Silent" par Bösendorfer, la principale utilité de cette installation technique est d'être en mesure de couper le son naturel et de basculer immédiatement vers un dispositif électronique intégré, tout en conservant le toucher du clavier. Si le résultat sonore offre les avantages d'un piano numérique (pluralité des sons, connexion à un ordinateur...), pour un inconditionnel du son acoustique, et faute de pouvoir faire autrement, c'est là certainement l'unique bénéfice de ce dispositif (qui a aussi un coût).
Si cette solution ne peut être envisagée, l'acquisition d'un piano numérique reste l'option la plus défendable, d'autant que la modélisation physique est passée par là et qu'elle offre un compromis sonore vraiment acceptable au dire même des pianistes professionnels qui utilisent ce type de clavier chez eux ou sur scène.
Dernière proposition : l'insonorisation. Mais là, on s'attaque à quelque chose de difficile, d'onéreux et qui doit être pris en main par des professionnels, des acousticiens capables de réaliser un diagnostic portant sur l'ensemble de l'immeuble et non pas que sur l'appartement dans lequel est installé l'instrument. Il est nécessaire de comprendre les mécanismes de diffusion des résonances sonores, celle-ci dépendant des murs, de leur construction (dans du neuf ou de l'ancien), de l'architecture du couloir, des portes et des fenêtres, etc.
par PATRICK MARTIAL (06/2023)
À CONSULTER
BRUITS GÊNANTS ET VOISINAGE (un dossier complet en trois volets).
